Burundi - 57 ans d’indépendance : le Président refait l’Histoire
Politique

La Libre Belgique, 3 juillet 2019

À l'occasion de la Fête nationale, le président burundais a surpris son peuple

À l’occasion de la Fête nationale, il a fait l’apologie de la monarchie.

Le Burundi a célébré ce 1er juillet le 57e anniversaire de son indépendance, accordée par la Belgique en 1962. Pour l’occasion, le président Pierre Nkurunziza, qui a soumis le pays à la terreur, depuis 2015, pour imposer sa volonté de se présenter à un troisième mandat - pourtant interdit par l’accord de paix d’Arusha, qui mit fin à la guerre civile (1993-2005 ; 300 000 morts) - a présenté son pays d’avant l’arrivée du colonisateur allemand comme un paradis ("un pays merveilleux", "un pays de lait et de miel" où Dieu était placé "avant toute chose", suivi du Roi et de l’amour de la patrie).

Il a stigmatisé la colonisation et les années qui ont suivi qui furent, dit-il, celles où "les étrangers ont gardé une mainmise sur le Burundi" et "soutenu" les dictatures militaires, cherchant à "garder le contrôle sur notre administration, notre politique et notre économie". Jusqu’aux élections de 2005, qui ont vu l’arrivée au pouvoir de Pierre Nkurunziza.

Ce dernier a célébré ses réalisations : la constitution de diverses commissions ; la rédaction d’un plan national de développement 2018-2027, "la construction d’un nouveau palais présidentiel" (par des Chinois) qui sera bientôt inauguré ; les soins médicaux gratuits pour les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans ; l’enseignement primaire gratuit ; le déplacement du siège des institutions de Bujumbura-la-frondeuse vers Gitega, l’ancienne capitale royale ; la réorganisation des corps de défense et sécurité.

Changements de noms

Ce qui a frappé les Burundais est cependant le changement de noms décidé par le chef de l’État. Ainsi, le stade Prince Louis Rwagasore - héros de l’indépendance - est débaptisé au profit d’Intwari, "les Braves" ; Rwagasore sera honoré quand un nouvel hémicycle pour l’Assemblée nationale sera construit à Gitega. Le nouveau palais présidentiel célébrera Ntare Rushatsi, fondateur de la dynastie qui régna sur le Burundi jusqu’en 1966, quand Ntare V fut renversé par un coup d’État militaire de Michel Micombero.

Les boulevards rappelant trois coups d’État militaires sont débaptisés : celui du 28 novembre (Micombero) est désormais dédié au roi Mwezi Gisabo, qui résista aux Allemands avant de céder en 1903 ; celui du 1er novembre (putsch du colonel Jean-Baptiste Bagaza, en 1976) s’appellera Melchior Ndadaye et celui du 3 septembre (le premier coup d’État du major Pierre Buyoya, en 1987) rappellera désormais "la personnalité héroïque du lieutenant-général Adolphe Nshimirimana". Ce dernier fut un compagnon de guérilla de Pierre Nkurunziza, puis n° 2 de l’armée avant de diriger le Service national de renseignement et d’être un des artisans de la terreur jusqu’à son assassinat, en août 2015.

Le nouveau roi du Burundi ?

Ces changements de noms sont compris comme une volonté de Pierre Nkurunziza d’effacer les trois républiques et célébrer une fois de plus la monarchie. En mai dernier, il avait ordonné de remplacer la devise nationale "Unité, travail, progrès" sur les monuments nationaux, par la devise royale, "Dieu, le Roi et le Burundi".

Nombre de Burundais ont remarqué que la nouvelle Constitution, que M. Nkurunziza a fait adopter en 2018, prévoit un référendum sur le rétablissement de la monarchie. D’aucuns se demandent même s’il n’a pas l’intention de se faire introniser roi tant sont nombreuses, dans la bouche du Président, ces dernières années, les références à la royauté. Ainsi, comme les rois bénissaient les semences au début des semailles, Pierre Nkurunziza prie publiquement pour elles. Il aurait laissé entendre qu’il était un descendant de Ntare Rushatsi. En 2017, il a décidé de réglementer "aux niveaux national et international", l’usage du tambour Ingoma qui symbolise le royaume. À 55 ans, il se fait appeler "Mutama", appellation réservée aux personnes âgées et respectées, et donne d’interminables "conférences de moralisation" auxquelles sont contraints d’assister tel ou tel corps de la nation.

Pendant ce temps, les militants du parti au pouvoir et certains responsables administratifs diffusent des messages appelant à éliminer les opposants et la milice les attaque en toute impunité.Marie-France Cros

Marie-France Cros