Burundi : les têtes brûlées de la RN1, lancés sur leurs vélos chinois
Société

L'Expansion, 27/05/2010

Benjamin Neumann, avec l'AFP

 Ils sont jeunes, n'ont peur de rien et prennent pourtant tous les risques pour quelques dollars par jour. Ce sont les têtes brûlées de la Route Nationale 1 (RN1), qu'ils dévalent à 70 km/h, chargés de dizaines de kilos de denrées pour les marchés de Bujumbura. Pas un jour sans une chute. Pas un mois sans un décès.

Au risque de leur vie et pour une poignée de dollars par semaine, de jeunes hommes dévalent sur leurs vélos chinois lancés à 70 km/h les lacets sinueux de la Route nationale 1, chargés de dizaines de kilos de denrées pour les marchés de Bujumbura, la capitale du Burundi. Ces dizaines de transporteurs font partie intégrante du paysage et personne, hormis les autres usagers de cette route qui file vers le nord du pays, ne leur prête plus vraiment attention.

A quelques kilomètres de Bujumbura, dans les collines luxuriantes surplombant la capitale burundaise et le lac Tanganyika, les vélos entament une dernière côte avant la descente finale sur la capitale. Avec leurs robustes vélos dépourvus de vitesses, les transporteurs en sueur sont contraints de mettre pied à terre. Un petit groupe d'adolescents en guenilles propose leurs services.

Moyennant 200 ou 300 francs burundais (moins d'un quart de dollar), ils aident à pousser les vélos sur environ 500 mètres d'une côte pentue. Là, un garage improvisé sur le bord de la route propose ses services : gonflage des pneus, changement des roulements à bille, derniers réglages des freins, avant d'entamer une vertigineuse descente.

Les quelque 100 kilos de marchandises dans le dos rendent désormais tout freinage d'urgence illusoire: il s'agit à présent de parfaitement négocier les virages ainsi que les dépassements des semi-remorques. Et de prier pour la fiabilité des pneus. « J'ai des amis qui sont morts. D'autres sont devenus infirmes à cause de leurs fractures », témoigne Vital Nsabimana, 17 ans. Lui aussi a connu la frayeur de la chute. Il s'en est tiré à bon compte avec quelques éraflures seulement.

« Je descendais. Un pneu a crevé dans un virage. J'ai été renversé avec les bananes avant de glisser sur la chaussée », se souvient le jeune homme, qui a rejoint la "profession" à l'âge de 14 ans. « Si je deviens infirme mais que je peux continuer à pédaler, je continuerai. C'est ce qui me fait vivre », explique Vital, qui voulait devenir mécanicien. A l'instar de ses collègues, Vital travaille dur pour espérer récolter deux dollars un jour normal, cinq quand les affaires marchent très bien.

 Les têtes brûlées de la RN1 sont tous des micro-entrepreneurs : leur vélo leur appartient, ils achètent la marchandise qu'ils transportent et ils ne dégagent leur marge qu'en la revendant un peu plus cher à Bujumbura. « Il y a des jours, on a des pertes : parfois on ne trouve personne (à Bujumbura) pour acheter notre marchandise. On est obligés de la laisser sur place pour le lendemain, avec le risque de ne pas la retrouver », explique Vital.

Révérien Mugabonihera, 35 ans, fait un voyage par jour six jours de la semaine. Il met environ deux heures et demi pour parcourir, avec trois sacs de charbon sur le porte-bagage, les 30 kilomètres qui séparent Bugarama de Bujumbura. « J'achète un sac 12.000 FBU et le revends 13.000 sur le marché », témoigne ce père de six enfants, rencontré sur le chemin du retour, poussant son vélo.

D'autres ne se donnent pas cette peine : des grappes de transporteurs revenant de Bujumbura s'accrochent régulièrement aux remorques des poids-lourds empruntant cette route, avec une dextérité déconcertante. « Je ne prends jamais ce risque », explique Révérien. « C'est dangereux parce que le camion prend de la vitesse et on peut tomber », renchérit Richard Bigirimana, 15 ans. Pas un jour sans une chute. Pas un mois sans un décès. Il en va ainsi de la RN1 et de ses as du guidon, purs produits du Burundi, où deux tiers de la population, dépendante à 90 % de l'agriculture de subsistance, vit en dessous du seuil de pauvreté.