Burundi: la présidentielle de 2020 aura-t-elle lieu ?
Politique

La Libre Belgique, 28 décembre 2019

L’année 2020 devrait être importante pour le Burundi. En janvier, le parti au pouvoir CNDD-FDD (ex-guérilla hutue transformée en parti politique) devrait choisir son candidat à la présidentielle du 20 mai.

Le président sortant Pierre Nkurunziza, qui a plongé le pays dans une crise profonde en imposant en 2015 un troisième mandat pourtant interdit par l’Accord de paix d’Arusha (qui mit fin à la guerre civile, 300 000 morts), a assuré qu’il ne se présenterait pas, sans convaincre les Burundais qu’il abandonnera réellement le pouvoir. Les supputations vont de l’élection d’un Président fantoche au rétablissement de la monarchie avec proclamation de la royauté de Nkurunziza…

Un pays sous la terreur

Depuis 2015, la situation est devenue catastrophique: plusieurs milliers de morts et disparus; 480 000 personnes parties en exil; crise économique et malnutrition; destruction de la plupart des médias indépendants; la population placée à la merci de la milice du CNDD-FDD, les Imbonerakure, qui font régner la terreur. Et elle continue à se dégrader, au point que “la vie quotidienne devient de plus en plus périlleuse”, indique une source à La Libre Afrique.be.

Politiquement, bien que le pouvoir affirme que le calme est revenu et que les réfugiés doivent rentrer au pays, les entraves sont systématiques pour empêcher le fonctionnement des partis d’opposition qui n’ont pas pris la route de l’exil: réunions, congrès, meetings, création d’une permanence – tout est interdit sous un prétexte ou l’autre, chaque activité d’un parti devant être autorisée par le ministère de l’Intérieur ou l’administration provinciale ou locale. Si l’activité se déroule quand même, les Imbonerakure intimident ou battent les récalcitrants – voire les tuent – ou incendient leurs locaux. De nombreuses personnes disparaissent. 

Le CNL dans le collimateur

La principale victime de cette répression est le parti hutu CNL (ex-FNL, obligé à changer de nom) d’Agathon Rwasa, dont la popularité croît au rythme du rejet du CNDD-FDD par le public; plusieurs analystes pensent qu’il serait le vainqueur de la présidentielle si elle avait lieu honnêtement aujourd’hui. 

Le Frodebu, autre parti hutu, fait également les frais de toute velléité de s’opposer, comme l’a montré le rapt puis l’annonce de la détention par la police, en novembre dernier, du fils de Léonce Ngendakumana lorsque celui-ci s’est préparé à annoncer sa candidature à la présidentielle pour son parti. Dans les deux cas, le pouvoir s’en prend aux formations qui pourraient capter le vote hutu à son détriment. 

D’autres partis ont, plus “simplement”, été victimes du détournement de leur nom au profit de vassaux du pouvoir, soudainement reconnus détenteurs légaux de la formation.

Les scrutins auront-ils lieu?

L’impopularité du CNDD-FDD est si grande que d’aucuns s’attendent à une suppression des scrutins de mai (présidentiel, législatif, communal). Le prétexte pourrait aisément être trouvé: le manque d’argent. Bien que les Imbonerakure obligent la population à contribuer “volontairement” au financement des élections, on serait loin du compte, le régime ayant rejeté l’aide internationale pour ne pas avoir à accepter d’observateurs. 

La crise économique contribue à la fatigue de la population. Tous les prix augmentent, en raison de la rareté des devises. Celle-ci s’explique par la suppression des aides bilatérales au gouvernement, sanctionnant ses exactions; mais les centres de santé, ponts, hopitaux, écoles et l’agriculture sont toujours subventionnés par les donateurs, par ONG interposées. En outre, la diminution du contingent burundais sous casque blanc en Somalie pour le compte de l’Union africaine a privé le régime d’importantes rentrées en devises. “Catastrophique dans un pays où on importe quatre fois plus qu’on exporte”, indique à La Libre Afrique.be une source à Bujumbura.

La Banque centrale a indiqué, il y a peu, ne disposer de devises que pour moins d’un mois d’importations – au lieu des 4 mois exigés par l’East African Community, dont le Burundi est membre. 

“Les Burundais meurent en silence”

Affaiblis par la malnutrition, “les Burundais meurent en silence”, dit une de nos sources, alors que plus de 60% des 12 millions d’habitants sont infectés par le paludisme et, de plus en plus, par le choléra qui a gagné Bujumbura. Mais le régime refuse de reconnaître ces épidémies.

A cela s’ajoutent des offensives de rebelles armés depuis trois mois. A chaque fois, les assaillants arrivent du Congo, par la forêt de Kibira; l’armée burundaise n’arrive cependant pas à défendre cette zone réduite. 

Trahisons

“Il ne faut pas oublier que ces assaillants sont largement des anciens de l’armée burundaise et comptent des amis dans les rangs des militaires et policiers”, souligne une de nos sources. “D’autres sont d’anciens rebelles de Nkurunziza ou Rwasa qui ont repris le maquis et connaissent bien la Kibira. Sans compter que les forces armées sentent que le régime arrive à sa fin; elles n’ont pas envie de mourir pour lui. Alors elles envoient au front des Imbonerakure, jeunes désoeuvrés affamés et sans perspectives, pas ou peu formés et mal équipés, qui meurent par dizaines. Même vêtus d’un uniforme, on les reconnaît à leurs baskets” au lieu de bottes militaires.

Par Marie-France Cros.