Burundi - élections générales : la campagne électorale est ouverte
Politique

La Libre Belgique28 avril 2020

La campagne pour les élections présidentielle, législatives et communales au Burundi, attendues le 20 mai, s’est ouverte lundi par deux grands meetings – en dépit de la contagion du coronavirus -, ceux des deux grandes forces en présence: le CNDD-FDD, au pouvoir depuis 2005, à Bugendana (province de Gitega, centre) et son rival pour le vote hutu, le CNL (ex-Palipehutu-FNL) d’Agathon Rwasa à Ngozi (nord). Peu de gens comptent cependant sur des scrutins libres et transparents. [Photo : Meeting du CNL à Ngozi, le 27 avril 2020.]

Comme c’est généralement le cas en Afrique, l’attention va surtout au scrutin présidentiel qui, le 20 mai, verra s’affronter sept candidats (trois ont été refusés par la commission électorale nationale, qui n’est pas considérée comme indépendante par les observateurs) mais dont deux seulement comptent.

D’abord le général-major Evariste Ndayishimiye, 52 ans, le candidat officiel pour succéder à Pierre Nkurunziza, qui a presté trois mandats de cinq ans bien que l’accord de paix d’Arusha, qui a mis fin à la guerre civile (1993-2005; 300.000 morts), interdise qu’un chef de l’Etat demeure plus de dix ans au pouvoir. L’obstination de M. Nkurunziza à s’y maintenir coûte que coûte a, en 2015, suscité des protestations spectaculaires, qui ont été étouffées par l’épuration du CNDD-FDD de ses « frondeurs »; la répression sanglante des protestataires et de ceux qu’on supposait les appuyer, notamment les Tutsis, visés en raison de leur ethnie; l’imposition de la terreur dans les campagnes contre toute personne supposée appuyer l’opposition, même hutue; la fuite de 400.000 personnes (sur 11 millions d’habitants) à l’étranger. Le déchaînement de violence a aggravé la crise économique dans un pays déjà parmi les plus pauvres du continent.

Le poids de l’appareil d’Etat pour Ndayishimiye

Face à lui, les Burundais retiennent Agathon Rwasa, 56 ans, le président du parti CNL (Congrès national pour la Liberté). Il s’agit du populaire parti FNL (Forces nationales de libération), obligé à changer de nom en 2019 dans une tentative du pouvoir de dérouter les électeurs au profit du CNDD-FDD. Le FNL portait ce nom depuis 2009, venant de Palipehutu-FNL (Parti pour la libération du peuple hutu, créé en 1980 dans les camps de réfugiés burundais en Tanzanie) à la connotation trop ethnique pour satisfaire aux règles de la réconciliation après la guerre civile. Historiquement, le CNDD-FDD est donc un rival, pour le vote hutu, du CNL.

Agathon Rwasa ne fait pas figure de « gentil »: sous sa direction, les FNL ont commis plusieurs massacres, dont celui de réfugiés congolais à Gatumba (environ 150 morts) en 2004.

Dans la compétition du jour, Evariste Ndayishimiye bénéficie du poids de l’appareil d’Etat et de l’effet de la répression organisée depuis quatre ans par son parti contre celui de son rival, afin de l’empêcher d’établir des permanences, de tenir des meetings, d’organiser des événements. De nombreux militants du CNL ont été arrêtés, beaucoup ont été blessés et plusieurs tués – la plupart du temps impunément pour les assaillants qui, selon les rapports de défenseurs des droits de l’homme, sont toujours des miliciens Imbonerakure du parti au pouvoir, avec ou sans l’appui des administrateurs locaux et de la police.

Voter contre le CNDD-FDD plus que pour Rwasa

En face, si Agathon Rwasa a été dans le passé la bête noire des Tutsis, des membres de cette ethnie se préparent aujourd’hui à voter pour lui parce qu’il est le seul candidat crédible dans l’opposition au régime CNDD-FDD. « Il bénéficie d’un soutien important – silencieux, bien sûr, par peur de la répression – chez les catholiques, dans des milieux tutsis et même chez beaucoup de militants du CNDD-FDD », a précisé un membre de ce parti à La Libre Afrique.

Le meeting du CNL, lundi, tenu à Ngozi (nord) – la province natale de Rwasa mais aussi du président sortant Nkurunziza, ce qui pouvait passer pour un défi – a ainsi remporté un gros succès (voir photos) malgré la peur de la répression. « Beaucoup le soutiennent pour mettre fin à une époque », ajoute cette source. Selon plusieurs analystes, en effet, outre ses partisans, extrêmement fidèles et courageux, Rwasa peut compter aussi sur les Hutus fatigués de la crise, qui voteront contre le système CNDD-FDD plutôt que pour le CNL.

Par Marie-France Cros.