Campagne présidentielle au Burundi : Dieu, le virus et les journalistes
Politique

La Croix, 08/05/2020

Le Burundi est épargné par le coronavirus, selon les chiffres qu’il communique à l’OMS. C’est pourquoi, la vie et la campagne politique ne sont pas affectées par cette pandémie, d’autant que les autorités affirment que le pays est protégé par Dieu. La liberté de la presse est toujours aussi menacée par le régime en place.

La campagne présidentielle, législative et municipale bat son plein au Burundi comme si de rien n’était. Le Covid-19 n’a pas affecté les préparatifs, les déplacements, les réunions politiques en vue du scrutin programmé le 20 mai.

Puisque le pays est épargné par la pandémie (19 cas, un mort au 6 mai 2020, selon les données recueillies par le département Afrique de l’OMS), les autorités ont jugé bon de ne rien changer à la vie des Burundais. Tout est ouvert, tout fonctionne normalement : marchés, commerces, cultes religieux, matchs de football, vie sociale dans la rue.

Sous le signe de Dieu

Ces décisions sont motivées par la croyance, très ancrée au sommet de l’État, que le pays est protégé par Dieu. Prières, jeûnes, prophéties et lecture de la Bible rythment l’exercice du pouvoir du président sortant, Pierre Nkurunziza, fervent évangélique membre de l’Église du Rocher, et de ses proches. Parmi les nouveautés lancées, le retour de la devise du temps de la monarchie sur les monuments publics, « Imana, Umwami, Uburundi » (Dieu, Roi et Burundi) au côté de celle de la République « Unité, travail, progrès ».

S’inscrivant dans cette effervescence mystico-politique, le général Évariste Ndayishimiye, le candidat du parti présidentiel, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), a ainsi déclaré à propos de la menace représentée par le Covid-19 : « Soyez sans crainte. Dieu aime le Burundi et s’il y a des personnes qui ont été testées positives, c’est pour que Dieu manifeste sa puissance au Burundi. »

Une élection jouée d’avance

Ce dernier, appelé à succéder à Pierre Nkurunziza, apparaît toujours comme le grand favori de l’élection. Les cinq autres candidats autorisés à se présenter le 20 mai font plutôt de la figuration dans ce processus électoral contrôlé par les agents du régime. Toutefois, le principal opposant, Agathon Rwasa, candidat du Conseil national pour la liberté (CNL), surprend par l’affluence à ses meetings à Bujumbura et dans les provinces.

Ce qui ne change pas non plus dans ce pays, depuis la réélection controversée de Pierre Nkurunziza en 2015, c’est le sort réservé à la liberté de presse. Quatre journalistes de l’un des derniers médias indépendants burundais, Iwacu, étaient appelés à comparaître devant la cour d’appel de Bujumbura, le 6 mai. Christine Kamikazi, Agnès Ndirubusa, Térence Mpozenzi et Égide Harerimana ont été arrêtés le 22 octobre 2019, alors qu’ils étaient venus couvrir une attaque d’un groupe de rebelles burundais basés dans l’est de la RDC.

En décembre 2019, tous les quatre ont été condamnés en première instance à deux ans de prison pour « complicité d’atteinte à la sûreté de l’État ». Or, selon les ONG de défense de la liberté de la presse et des droits humains comme RSF et Amnesty International, le dossier d’accusation ne repose sur rien de solide.

Retour en prison pour les quatre journalistes d’Iwacu

À l’issue de l’audience du 6 mai, les quatre journalistes d’Iwacu ont été remis en prison, en attendant le verdict de la Cour d’Appel : dans 30 jours, selon le compte Twitter d’Iwacu. « Ces journalistes, comme l’ensemble de la presse du Burundi, devraient pouvoir aborder tous les sujets, y compris les plus sensibles, sans crainte de représailles à l’approche de l’élection présidentielle du 20 mai. L’accès à une information libre, indépendante et critique est une condition indispensable à la tenue d’un scrutin crédible et transparent », souligne Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Un des journalistes les plus connus d’Iwacu, Jean Bigirirmana, enlevé en juillet 2016, est toujours porté disparu.

RSF rappelle qu’Iwacu n’est pas le seul média dans le viseur du régime. Deux grandes radios internationales, la BBC et VOA, ont été suspendues indéfiniment « de manière complètement arbitraire », juge-t-il. Selon son classement mondial de la presse, le Burundi occupe aujourd’hui la 160e position sur 180.

Laurent Larcher