Burundi - Elections du 20 mai : la fuite en avant du CNDD-FDD
Politique

La Libre Belgique, 14 mai 2020

Effrayé par le succès immense des meetings électoraux du CNL, principal rival du parti au pouvoir CNDD-FDD, ce dernier fait appel à toutes les astuces. Conscientes que cela risque de ne pas suffire pour maintenir le statu quo qu’elles souhaitent, les autorités sont passées à la menace d’une réédition de la sanglante répression de 2015.

A quelques jours des élections présidentielle, législatives et communales au Burundi, la tension ne cesse de croître. C’est que les autorités du CNDD-FDD (ex-guérilla hutue; au pouvoir depuis 2005) constatent avec frayeur l’immense succès des meetings du CNL (ex-FNL, ex-Palipehutu) et de son président Agathon Rwasa.

Bien sûr, il y a aussi du monde à ceux du parti au pouvoir et de son candidat à la Présidence (le président sortant Pierre Nkurunziza ne se représente pas, après quinze ans à la tête de l’Etat, alors que l’Accord de paix d’Arusha n’autorise qu’un maximum de dix ans), le général-major Evariste Ndayishimiye. Mais pour aller aux meetings du CNL, il faut du courage pour braver les embûches (troncs abattus sur le chemin du cortège) et la répression: les principaux animateurs des meetings, filmés, sont ensuite souvent tabassés par des membres de la milice du parti au pouvoir, les Imbonerakure. Tandis qu’aux meetings du CNDD-FDD, on y va soit par conviction, soit par prudence si l’on est fonctionnaire – histoire de garder son poste – soit par obligation; dans certaines villes de province, les écoles ont ainsi été fermées les jours de meeting du parti au pouvoir et les écoliers sommés de s’y rendre.

Un électorat fatigué de la répression et du rackett

Car si CNL et CNDD-FDD chassent sur les mêmes terres – l’électorat hutu – le premier récoltera les voix de tous les mécontents (y compris les Tutsis, considérés comme des opposants) du régime, responsable d’une violente répression de tout ce qui semble opposition, de la fuite de 400.000 réfugiés à l’extérieur, d’une profonde crise économique, d’exactions permanentes de la part des Imbonerakure, notamment le rackett.

En perte de vitesse, le tout puissant CNDD-FDD tente d’influer sur le résultat des scrutins qu’il redoute. Le CNL a ainsi dénoncé le fait que des militants de son parti n’avaient pas reçu leur carte d’électeur; d’autres ne sont pas dans le fichier électoral. Certains continuent d’être tués (comme Richard Havyarimana, responsable du parti à Mbogora, dont le corps a été retrouvé le 7 mai dans une rivière, roué de coups, après avoir été arrêté par des Imbonerakure) et de nombreux autres arrêtés: certains parce qu’ils sont candidat à une des élections; d’autres, comme à Ngozi, parce qu’ils sont accusés de « recruter les membres du CNDD-FDD par force »; ou pour « fraude électorale » à Burambi (Rumonge). Début mai, Agathon Rwasa a demandé à ses militants « de ne plus se laisser agresser par qui que ce soit sans jamais se défendre », ce qui accroît le niveau de violence.

Une Commission électorale partiale et pas d’observateurs

Le vice-Président du Burundi, Gaston Sindimwo (du parti Uprona) a dénoncé la complicité de la CENI (Commission électorale nationale indépendante), tandis que le porte-parole de son parti a dénoncé le fait qu’elle ait « largement accordé au CNDD-FDD la majorité des membres des centres de vote ». Le président local de la Commission électorale à Songa (Bururi), Jean de Dieu Nshimirimana, a été arrêté le 11 mai pour avoir refusé de faire entrer des militants du CNDD-FDD parmi les membres du bureau de vote déjà constitué.

Comme si cela ne suffisait pas, les autorités burundaises – qui ont déjà refusé tout observateur de l’Onu ou de l’Union européenne – et qui avaient, dans un premier temps, accepté que l’East African Community (EAC, dont le Burundi est membre) en envoie une vingtaine, ont signifié le 10 mai que ces derniers seraient soumis à une quarantaine de deux semaines, en raison de la pandémie de Covid-19, ce qui permettra de les libérer… pour la prestation de serment du nouveau Président.

Le coronavirus à la rescousse

Selon le CNL, les autorités – qui ne reconnaissent que 27 cas de coronavirus et un seul mort au 13 mai, le Burundi étant « protégé par Dieu » – envisageraient de déclarer la pandémie au lendemain des scrutins, afin que le confinement interdise toute protestation contre les résultats électoraux officiels.

Cela n’a pas empêché le ministère des Affaires étrangères de déclarer personae non gratae le représentant de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) au Burundi, ainsi que trois de ses experts. Outre un désaccord notoire entre l’équipe locale de l’OMS sur le nombre de victimes de la maladie – qui ferait « des ravages » à Bujumbura et que la campagne électorale a diffusée – un autre conflit résulterait, selon BurundiDaily, de l’utilisation par les autorités burundaises, pour leur campagne électorale, de fonds de l’OMS.

La police menace

Dans un communiqué daté du 8 mai, le Conseil des évêques catholiques du Burundi a dénoncé les « rapts », « les provocations, les bagarres, les menaces et intimidations à travers le pays ». « Nous sommes préoccupés par le fait que certains ne sont pas prêts à accepter le résultat des urnes en cas d’échec ». Et les évêques de demander aux dirigeants politiques de « respecter le droit à la vie, à la dignité, de renoncer à la banalisation des assassinats et de respecter la loi électorale » et aux autorités et forces de l’ordre « un traitement équitable de tous les candidats ».

La réplique n’a pas tardé. Le 12 mai, Pierre Nkurikiye, porte-parole de la police, a déclaré, après avoir accusé le CNL de « fraudes électorales »« A ceux qui sont chauds aujourd’hui, qu’ils soient instrumentalisés ou pas, nous leur demandons de se calmer. Ou ils seront refoidis (…) Ce n’est pas la première fois que la police burundaise et ses collaborateurs se chargent des insurgés ». Déclaration qui a été comprise par tous comme une claire menace de déclencher à nouveau le fer et le feu contre l’opposition, comme en 2015.

Par Marie-France Cros