Présidentielle : le Burundi se choisit un successeur à Pierre Nkurunziza
Politique

TV5MONDE, 19.05.2020

Ce 20 mai 2020 marque un tournant dans l'histoire politique du Burundi. L'élection présidentielle doit désigner un successeur au tout-puissant président Pierre Nkurunziza, à la tête de ce petit pays d'Afrique orientale depuis 2005. La campagne s'est tenue dans un climat de violence et a été maintenue malgré l'épidémie de Covid-19.

Les quelque 11 millions de Burundais connaîtront le nom de leur nouveau président de la République dans quelques jours. L'élection de ce mercredi 20 mai a été maintenue malgré la crise sanitaire du coronavirus et une campagne sous tensions. Le scrutin va marquer la fin du règne de Pierre Nkurunziza, au pouvoir depuis 15 ans.

Son "héritier" désigné, le général Evariste Ndayishimiye, part avec l'avance politique que lui confère toute la machinerie de l'Etat burundais, mise à son service, et celle du CNDD-FDD, le Conseil national de défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie. L'homme est issu du sérail et est présenté comme plus modéré que son mentor.

"Si c'était une élection normale"

Face à lui, six autres candidats. L'un d'entre eux, Agathon Rwasa, semble avoir mobilisé les foules contre son adversaire principal. "Il a réussi à créer une dynamique autour de lui", confirme le journaliste burundais Esdras Ndikumana. "Il a réuni des foules parfois monstrueuses pendant la campagne. On sent qu'il pourrait avoir une chance si c'était une élection normale", ajoute-t-il.

L'ancien chef rebelle se présente sous la bannière du Congrès national pour la liberté, le CNL. Mais il se montre pessimiste sur l'impartialité des élections de ce mercredi - des législatives et des communales se tiennent le même jour que la présidentielle. Interrogé par la radio RFI, Agathon Rwasa assure que les conditions pour une élection équitable "ne sont pas réunies". Il y a, selon lui, "beaucoup, beaucoup d'irrégularités parce que le CNDD-FDD veut se maintenir, coûte que coûte". Il croit malgré tout que "la population est déterminée au changement".

Le changement pour le Burundi, cela signifie la fin de plusieurs années de crise politique et de violences, entamées après la réélection pour un troisième mandat de Pierre Nkurunziza en 2015. Depuis, 1200 morts au moins ont été dénombrés par l'ONU dans un bilan arrêté en 2017, et environ 400 000 personnes se sont enfuies dans les pays voisins.

Violences et arrestations arbitraires

L'opposition burundaise espère aussi se débarrasser d'un pouvoir autoritaire installé ces dernières années par le président sortant. Celui-ci avait surpris, en 2018, en annonçant qu'il renonçait à se présenter à un quatrième mandat, alors qu'une nouvelle Constitution, tout juste adoptée, lui permettait de le faire.

Mais la campagne s'est tenue dans un climat de violences et d'agressivité, dont chaque camp se renvoie la responsabilité. La Ligue burundaise des droits de l’homme ITEKA a recensé au moins 12 morts en deux semaines depuis la fin avril, des actes de tortures contre six personnes et l'arrestation arbitraire de près de 90 personnes. Elle estime que la majorité de ces actes ont été commis par des représentants du pouvoir (police, services de renseignement ou milices du parti du président sortant, les Imbonerakure) à l'encontre de membres de l'opposition.

L'épidémie de coronavirus n'a pas empêché les candidats de réunir des foules immenses lors de réunions publiques. Les dernières ont eu lieu à Bujumbura, samedi dernier, pour Evariste Ndayishimiye, et dimanche près de Gitega, la capitale, pour Agathon Rwasa, sans mesures sanitaires significatives capable de limiter la propagation du virus.

Les représentants de l'OMS expulsés

Le Burundi n'a recensé officiellement que 42 cas positifs parmi ses habitants dont un seul décès. Mais des médecins et certains membres de l'opposition accusent le pouvoir de dissimuler le nombre réel de cas de Covid-19 dans le pays. Le pouvoir a par ailleurs expulsé la semaine dernière, sans fournir d'explications, les quatre représentants de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) présents sur place pour apporter leur aide aux autorités sanitaires du Burundi.

Le scrutin va se dérouler en l'absence d'observateurs internationaux. Les autorités n'ont accepté la présence ni des Nations unies, ni de l'Union européenne, ni de l'Union africaine pour vérifier que les opérations de vote se déroulent sans irrégularité.

La seule mission prévue, celle de 20 représentants de la Communauté des États de l'Afrique orientale (EAC), a été annulée, sous prétexte de la nécessité d'une quarantaine pour éviter les risques de contamination au Covid-19. C'était pourtant le gouvernement burundais lui-même qui avait demandé cette présence dans un premier temps.

Absence des observateurs nationaux

L'opposition dénonce par ailleurs le fait que même les observateurs nationaux, issus de l'Église catholique ou de la société civile burundaise, ne seront pas les bienvenus dans les bureaux de vote.

Le candidat Léonce Ngendakumana, du parti d'opposition Frodebu, s'insurge lui contre l'absence d'affichage des listes électorales par la Commission électorale (Ceni). "C'est la preuve que (la Ceni) a préparé une fraude électorale massive" affirme-t-il à l'Agence France-Presse. Pour explication, le président de la Ceni indique que ces listes "ne peuvent pas être affichées faute d'espace suffisant" mais qu'elles sont bien "disponibles".

"Les ingrédients pour une montée des violences"

Samedi, lors du dernier meeting de son "héritier", Pierre Nkurunziza est venu encourager celui qu'il rêve de voir à sa place. Dans ce qui ressemblait à un discours d’adieu, le président sortant a prévenu, selon des propos rapportés par le site Iwacu, "maudit soit qui voudra tenter toute fraude électorale".

Le camp du président semble dire qu'une défaite n'est pas envisageable et menace ceux qui refuseront d'accepter le résultat. En face, l'opposition se prépare à ne pas reconnaître l'éventuelle élection du candidat issu du pouvoir. De quoi faire ressurgir la crainte d'une grande partie de la population, celle d'affrontements post-électoraux, comme le pays a connu à plusieurs reprises. "Les gens ont peur des tensions" s'alarme le journaliste Esdras Ndikumana. Pour lui, "tous les ingrédients sont réunis pour une montée des violences après l'annonce des résultats".

Liste des sept candidats à la présidentielle 2020 au Burundi

Dieudonné Nahimana, association New Generation

Evariste Ndayishimiye, CNDD_FDD (Conseil national de défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie)

Domitien Ndayizeye, coalition Kira-Burundi

Léonce Ngendakumana, Frodebu

Francis Rohero, mouvement Orange

Agathon Rwasa, CNL (Congrès national pour la liberté)

Gaston Sindimwo, Uprona

Par Antoine Fonteneau