Les Burundais en exil attendent les élections sans illusions |
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Le Monde, 20 mai 2020 Le président sortant, Pierre Nkurunziza, n’est pas candidat à sa succession pour le scrutin du mercredi 20 mai. 17 h 59. Il ne reste plus qu’une minute avant le journal. Patrick Mitabaro, feuilles volantes à la main, s’installe face au micro. Dans ce studio d’à peine trois mètres carrés, l’ingénieur du son et le présentateur sont coude à coude. Alors que résonnent les clairons du jingle de la radio Inzamba – « trompette » en kirundi, la langue nationale burundaise –, le journaliste inspire un grand coup et lance les titres : « Des représentants de l’OMS déclarés persona non grata à Bujumbura, l’opposition mise en cause par la police pour des tensions lors de la campagne électorale… » A quelques jours des élections présidentielle et générales au Burundi, prévues le 20 mai, la quinzaine de journalistes de cette radio burundaise en exil sont sur le pont. Le scrutin est organisé en pleine pandémie mondiale due au coronavirus et, pour la première fois depuis la fin de la guerre civile au début des années 2000, le président Pierre Nkurunziza ne se présente pas. C’est son dauphin, Evariste Ndayishimiye, qui est le candidat du CNDD-FDD (Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie), le parti au pouvoir. Son principal opposant, Agathon Rwasa, également issu d’une ancienne rébellion hutu, attire les foules lors de ses meetings. Le candidat du Conseil national pour la liberté (CNL) a appelé ses militants à rendre « coup pour coup » s’ils sont attaqués par les Imbonerakure, la ligue des jeunes du parti du président sortant, qualifiée de « milice » par l’ONU. « Il y a actuellement une réelle intolérance politique au Burundi, qui laisse présager que, quel que soit le résultat, aucun des deux camps ne voudra céder. Le CNDD-FDD et le CNL ont déjà commencé à clamer la victoire. On risque donc d’observer le pire », soupire Patrick Mitabaro. « Le système ne change pas » Autrefois rédacteur en chef d’Isanganiro, une radio privée burundaise, Patrick est aujourd’hui contraint de couvrir cette campagne électorale tendue depuis le pays voisin, le Rwanda. Le 14 mai 2015, ses studios à Bujumbura avaient été attaqués par les forces de sécurité, au cours de la répression qui a suivi la tentative de putsch manqué du général Godefroid Niyombare. Le même jour, trois autres radios privées avaient connu le même sort. Le pays, plongé dans une crise depuis le mois d’avril 2015 et l’annonce de la candidature de Pierre Nkurunziza à un troisième mandat, assiste alors à la fuite d’un grand nombre de ses journalistes indépendants. C’est donc avec les moyens du bord, depuis leur logement respectif, que les journalistes d’Inzamba continuent aujourd’hui de couvrir l’actualité burundaise. La radio émet exclusivement sur Internet, par l’intermédiaire de YouTube ou de Facebook. « Nous recevons beaucoup d’encouragements et de soutiens de nos auditeurs, qui nous disent de persévérer. C’est notre façon de continuer à informer les Burundais, surtout en période électorale, sur les violences commises quotidiennement dans le pays. Des violences qui n’ont jamais cessé depuis 2015 », explique Patrick Mitabaro. Si Inzamba, comme les autres médias burundais en exil tels que la Radio publique africaine et la télé Renaissance, s’écoutent et se regardent sous le manteau à Bujumbura, ils sont suivis avec assiduité à Kigali, où résident environ 10 000 réfugiés burundais. Pourtant, dans l’enceinte de la Maison Shalom, lieu d’accueil et de formation pour ceux qui ont fui le régime du CNDD-FDD, les élections du 20 mai ne soulèvent que peu d’espoir et encore moins d’intérêt, malgré le départ annoncé de Pierre Nkurunziza et la personnalité réputée plus conciliante de son dauphin. « Les hommes peuvent changer, mais le système ne change pas. Le CNDD-FDD est bien un système. Et, tant qu’il ne sera pas démantelé, le Burundi restera sous le joug du CNDD-FDD », déclare Jean-Aimé Nshimirimana, assis devant une table jonchée de médicaments. Ce quadragénaire, battu par des hommes non identifiés en 2015 alors qu’il était en déplacement professionnel, ne s’est jamais remis de ses blessures. « Spectacle » Dans les cuisines du restaurant de la Maison Shalom, où le jeune Chadrick travaille depuis son arrivée au Rwanda, le ton n’est guère plus modéré, et les phrases toujours au conditionnel. « J’ai entendu parler de l’opposant Agathon Rwasa et de son programme », lance cet ancien étudiant en hôtellerie, qui a passé plus d’un an en prison après avoir participé à des manifestations contre le troisième mandat de Pierre Nkurunziza. « S’il était vraiment capable de changer les choses, s’il était élu et s’il restait fidèle à ses promesses, en travaillant pour tous les Burundais, alors nous pourrions peut-être rentrer », dit-il. Selon le HCR, plus de 300 000 Burundais ont fui leur pays, principalement vers les pays voisins, depuis avril 2015. Le jeune homme reste très sceptique. « Je ne pense pas que ces élections seront libres. Ce n’est qu’un spectacle, en faveur du CNDD-FDD. Même si le pays n’appartient pas à ces hommes, mais aux nouvelles générations. » Dans un communiqué publié le 14 mai, la commission d’enquête de l’ONU sur le Burundi, qui n’a jamais été autorisée à se rendre dans le pays, s’inquiète d’une « spirale de violence » à l’approche des scrutins. Elle note que plusieurs candidats de l’opposition aux élections législatives et communales ont été arrêtés et détenus et souligne « le manque d’indépendance et d’impartialité de la commission électorale ». De son côté, le gouvernement a accusé le parti d’Agathon Rwasa d’être à l’origine de violences et de tensions pendant la campagne. Par Laure Broulard (Kigali, correspondance) |