Décès du président Burundais : Des doutes sur la version officielle
Politique

La Libre Belgique, 10 juin 2020

 Le président du Burundi, Pierre Nkurunziza, est décédé : des doutes sur la version officielle

Confirmant les informations qui circulaient depuis ce mardi matin, un tweet et un communiqué du gouvernement burundais ont annoncé mardi après-midi "le décès inopiné de Son Excellence Pierre Nkurunziza".

Selon le communiqué du gouvernement burundais, le décès du Président sortant est "survenu à l’hôpital du Cinquantenaire 'Natwe Turashoboye' de Karuzi, suite à un arrêt cardiaque".

Selon ce texte, Pierre Nkurunziza aurait "passé l'après-midi du 6 juin à assister à un match de volley-ball à Ngozi" et c'est la nuit suivante que pris d'"un malaise, il s'est vite rendu à l'hôpital de Karuzi pour se faire soigner". Et le communiqué d'insister: "Il a été reçu en hospitalisation pour état de malaise. Le dimanche, son état de santé s'est amélioré et il s'est entretenu avec les personnes qui étaient avec lui. A la très grande surprise, dans l'avant-midi du lundi 8 juin, son état de santé a brusquement changé avec un arrêt cardiaque". Malgré des soins, le patient n'a pu être sauvé, ajoute le texte officiel.

Doutes sur la version officielle

Cette version du décès du chef de l'Etat ne va pas sans susciter des doutes. Dans la nuit du 27 au 28 mai derniers, l'épouse du Président, Denise Bucumi, avait été évacuée vers le Kenya en avion médicalisé et des médias kényans avaient annoncé qu'elle était en soins intensifs, atteinte du coronavirus. Des rumeurs circulant au Burundi avaient alors indiqué que Pierre Nkurunziza, resté au pays (dont il ne sort plus depuis le coup d'Etat raté contre lui en 2015), s'était isolé chez lui avec des médecins. Depuis mardi matin, des informations circulaient donnant le chef de l'Etat sortant pour mort.

Tout le monde meurt évidemment d'un arrêt cardiaque. La présentation du décès présidentiel offerte par le communiqué officiel a l'avantage de ne pas mettre le défunt en face de ses contradictions: depuis des mois, il assurait que le Burundi était épargné par la pandémie de coronavirus parce qu'il était "protégé par Dieu" en raison de la piété de ses habitants. Le couple Nkurunziza fait lui-même montre d'une grande ostentation religieuse. Pierre Nkurunziza affirme avoir été "choisi par Dieu" pour gouverner le Burundi et son épouse est "révérende pasteur" de l'église du réveil "Eglise du Rocher". On sait cependant que la maladie a frappé le Burundi comme les autres pays et que le manque de précautions des autorités a aggravé les choses, ainsi que la campagne pour les élections générales du 20 mai dernier, qui a rassemblé des foules nombreuses sans précaution.

Dans ces conditions, admettre que le chef de l'Etat a succombé au coronavirus reviendrait à reconnaître que celui qui a été nommé "guide suprême" du pays pouvait se tromper, ce qui ne correspond pas à l'idéologie officielle en vigueur depuis l'arrivée au pouvoir de M. Nkurunziza et de son parti, le CNDD-FDD.

Reste que le décès du président Nkurunziza risque de semer la panique dans les cercles dirigeants du pays. Il faudra lui organiser des funérailles nationales; qui osera y venir muni d'un masque, signe d'incrédulité devant la parole du défunt? Quels chefs d'Etat étrangers, dans ces conditions, feront-ils le déplacement à Bujumbura?

Qui lui succédera?

L’article 121 de la Constitution prévoit qu’en cas de décès du chef de l’État lui succède, à titre intérimaire, le président de l’Assemblée nationale, le temps d’organiser des élections. Il s’agit actuellement de Pascal Nyabenda, proche de M. Nkurunziza, qui l’avait proposé comme candidat du CNDD-FDD à la présidentielle lors des élections générales du 20 mai dernier.

Le groupe des généraux qui dirigent le pays avec le chef de l’État lui avait préféré le général-major Evariste Ndayishimiye. Et ainsi fut-il fait. Malgré des fraudes importantes et le manque de crédibilité des scrutins, M. Ndayishimiye a été proclamé élu par la Cour constitutionnelle. Selon le calendrier électoral, il doit prêter serment le 20 août.

Il aurait été logique d’avancer la date de cette prestation de serment mais ce n’est pas ce qui a été choisi. En début de soirée, mardi, Pascal Nyabenda - qui serait lui-même en mauvaise santé depuis plusieurs mois - a prêté serment. Faut-il voir dans cette inhabituelle précipitation le reflet de luttes entre “civils” et “militaires” maibntenant que le “guide suprême” a disparu?

Remarquons, au passage, que si Evariste Ndayishimiye est populaire auprès de la base du parti - mais habitué à se soumettre aux volontés des généraux qui dirigent le pays - le décès de Pierre Nkurunziza lui enlève un poids des épaules: le guide suprême pouvait imposer ses vues au chef de l’État.

Dans la soirée, on signalait que la police procédait mardi soir à des arrestations dans les bistrots de personnes accusées de célébrer la disparition du chef de l’Etat, qui a plongé le pays dans la terreur depuis 2015.

Marie-France Cros