Mort de Pierre Nkurunziza au Burundi : «Le coeur du système reste stable»
Politique

RFI, 10/06/2020

La mort de Pierre Nkurunziza, le président du Burundi, survenu à l’hôpital du Cinquantenaire de Karusi est survenue, mardi 9 juin, d'un arrêt cardiaque, selon le communiqué officiel. Un deuil national de sept jours a été décidé. Pierre Nkurunziza devait rester en fonction jusqu'au 20 août prochain et l'investiture de son successeur, le général Évariste Ndayishimiye, candidat désigné du parti au pouvoir qui a été proclamé vainqueur de la présidentielle du 25 mai.

Thierry Vircoulon, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri) répond aux questions de Carine Frenk.

RFI : En sait-on un peu plus sur les circonstances de ce décès ?

Thierry Vircoulon : Il n’y a rien d’officiel, mais selon certaines sources, il aurait été victime de l’épidémie du Covid-19 et son épouse aussi probablement.

Mais Pierre Nkurunziza avait nié l’existence de la pandémie au Burundi ?

Non seulement elle était dissimulée par le régime, mais au mois de mai, les autorités avaient expulsé l’équipe de l’OMS [Organisation mondiale de la santé] qui s’occupait du Covid-19 au Burundi. Donc, en effet, il y avait une volonté délibérée de masquer cette épidémie. Et cela va être de plus en plus difficile pour ces autorités de nier l’ampleur de l’épidémie au Burundi.

Quelles peuvent être les conséquences de ce décès ?

Sur le plan politique, je pense qu’il y aura assez peu de changements, puisque le CNDD-FDD [Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie] est au pouvoir depuis 2005. Le leadership du CNDD-FDD est très stable depuis cette époque. C’est la poignée des généraux CNDD-FDD qui vraiment est le cœur du système. Et ce cœur reste stable depuis longtemps. Et l’élection a conduit à un changement de président, mais elle n’a pas conduit à un changement de régime puisque c’est toujours le même parti qui reste au pouvoir. Et par conséquent, on peut dire que cette élection a abouti à un nouveau président pour un ancien régime. Je pense que la continuité est probablement ce qui a le plus de chance de se passer au Burundi dans les mois et peut-être les années qui viennent.

Mais la question des hommes est tout de même importante en politique ?

Elle est assez peu importante en fait. Ce qui compte, ce sont les systèmes de pouvoir et notamment les systèmes d’intérêt qu’ils sous-tendent. C’est cela qu’il faut voir. Par exemple, le CNDD-FDD contrôle une bonne partie de l’économie du pays. Cela ne va pas changer avec la mort de l’ancien président.

Mais est-ce que ce décès peut fragiliser le pouvoir ?

Non, je pense qu’il y a peu de chance. Cela va plutôt consolider le nouveau président.

C’est-à-dire que le général Evariste Ndayishimiye n’aura pas à gérer l’influence de son prédécesseur ?

Oui. Je pense que cela va faciliter son installation et le fait qu’en effet, il n’y ait pas de tentative… Quand Pierre Nkurunziza était là, évidemment certains faisaient le scénario qu’un ex-président et un président, c’était peut-être un peu trop, qu’il y aurait des systèmes de double commande un peu comme on le voit à Kinshasa actuellement. Et évidemment avec la mort de Pierre Nkurunziza, ce scénario ne peut plus se produire.

En matière d’isolement, peut-on s’attendre à une évolution ?

Oui. La question qui se posait dès après l’élection et qui se pose peut-être encore plus maintenant avec le décès de Pierre Nkurunziza, c’est celle d’une réouverture politique du Burundi, et en tout cas du rétablissement de certaines relations diplomatiques qui s’étaient beaucoup refroidies. Et comme maintenant, le nouveau président a tous les leviers en mains, on va voir si en effet, il décide de mettre fin à la politique d’isolement du régime ou s’il va continuer sur cette voie. Mais pour le moment, rien ne permet de dire qu’il va pencher d’un côté plus que de l’autre.

Que faut-il retenir des 15 années de la présidence de Pierre Nkurunziza ?

En fait, ces 15 années ont bien commencé et mal fini. Le mandat 2005-2010 était celui du pluralisme politique et où on était un peu dans une dynamique de démocratisation au Burundi. Mais avec l’élection de 2010, on a vu les premières répressions contre l’opposition, non seulement contre les FNL [les ex rebelles des Forces nationales de libération] à l’époque. Après lorsque Pierre Nkurunziza a imposé son troisième mandat en 2015, il y a eu une crise politique majeure et violente avec une répression très forte qui a chassé quasiment toute l’opposition, y compris l’aile modérée du CNDD-FDD d’ailleurs, du pays. Et les cinq dernières années ont représenté un repli en fait du pouvoir sur lui-même au Burundi.

Pierre Nkurunziza, c’était aussi un président atypique ?

Il avait des traits extrêmement surprenants, ça c’est clair, notamment certaines prières faites en public. Il faisait des tournées de prières dans tout le pays, etc. Il avait transféré la capitale Bujumbura dans la ville de l’ancienne capitale monarchique, à Gitega. Il y avait toute cette ambiance à la fin de sacralisation théocratique un peu autour de sa personne et de sa présidence.