Burundi : l'ombre de la Covid-19 derrière le décès du Pierre Nkurunziza
Politique

France Culture, 10/06/2020

 Officiellement le président burundais est décédé d'un arrêt cardiaque mais la presse africaine estime que c'est la Covid-19 qui l'a emporté, lui qui n'avait de cesse de minimiser sa gravité.

Survenu lundi à l'âge de 55 ans, c'est "un décès inopiné qui pose beaucoup de questions", selon le titre choisi pour son article par la spécialiste Afrique du Soir belge Colette Braeckman.

Beaucoup de questions, d'abord, sur les circonstances de ce décès officiellement du à une "crise cardiaque" mais justement l'insistance de la presse internationale à bien dire que c'est la cause "officielle" du décès, nous met la puce à l'oreille : quand du Washington Post à Al Jazeera, en passant par la BBC, on nous dit en grand titre que Pierre Nkurunziza est mort "d'un arrêt cardiaque" entre guillemets, ou "selon les autorités burundaises", c'est une manière de nous dire sans le dire qu'en fait il y a de fortes chances pour qu'il soit mort d'autre chose... et plus précisément de la Covid-19.

C'est le journal en ligne nigérien The Cable qui met les pieds dans le plat, en citant deux sources, la radio burundaise RPA et le quotidien rwandais Taarifa selon qui, donc, cela ne fait guère de doute : Pierre Nkurunziza, le président autoritaire et tout-puissant du Burundi depuis quinze ans a succombé à cette épidémie qu'il avait tant pris soin de minimiser et de mépriser ces derniers mois auprès de sa population. On se rappelle notamment que le Burundi et son président avaient expulsé les équipes de l'OMS, les accusant d'ingérence au moment de la récente élection présidentielle.  

C'était le 20 mai, alors qu'on savait pertinemment que le coronavirus faisait déjà des dégâts dans cette région africaine des grands lacs : Pierre Nkurunziza avaient tenu à maintenir de scrutin qui avait sans surprise donné la victoire au dauphin qu'il s'était lui-même choisi, le général-major Evariste Ndayishimiye.

Pour le quotidien sud-africain The Mail and Guardian,  c'est cette légereté coupable avec laquelle Pierre Nkurunziza a traité la pandémie qui l'a finalement emporté. "Il a mis la politique avant la santé de son pays, et il maintenant il est mort", conclut sans appel l'auteur de cette nécrologie Simon Allison. On savait la femme du président contaminée et soignée avec trois de leurs gardes du corps depuis une dizaine de jours au Kénya ; à présent c'est donc le président lui-même qui succombe d'un mystérieux arrêt cardiaque deux jours après s'être mêlé, comme si de rien n'était, à la foule d'un match de volley.  

"Tout le monde meurt d'un arrêt cardiaque", écrit Marie-France Cros dans La Libre Afrique, reconnaissant à son tour que "cette formulation officielle à l'avantage de ne pas mettre le défunt en face de ses contradictions" des derniers mois au sujet de la Covid-19. Par contre, quid des obsèques nationales que le Burundi ne devrait pas manquer d'organiser pour son défunt "guide suprême" ? Il y a un risque bien réel qu'elles n'accélèrent encore la propagation de l'épidémie...

Mais l'autre grande question que pose le décès de Pierre Nkurunziza, c'est celle de sa succession au sommet du pouvoir burundais. Tout juste élu, le dauphin Evariste Ndayishimiye aurait pu prétendre à une prestation de serment plus rapide que prévue ; mais finalement c'est le président de l'Assemblée nationale qui va assurer l'intérim en attendant la cérémonie prévue le 20 août. La Constitution du Burundi sera respectée... faut-il y voir avec la Libre Afrique "le reflet d'une lutte entre pouvoir civil et influence des militaires", ces généraux habitués à codiriger le pays derrière le président ? 

Ce qui est sûr c'est que l'élection du général-major Ndayishimiye a été vivement critiquée par l'opposition qui n'a pas reconnue le résultat du scrutin. Est-ce que la mort du "guide" Nkurunziza  va redonner de la vigueur à ceux qui contestaient son pouvoir et ont subi ces 5 dernières années une répression féroce ? Il y a là, veut croire Simon Allison dans le Mail and Guardian, "une chance pour le Burundi de prendre enfin au sérieux l'épidémie de Covid-19 et de renverser le système politique pourri et violent auquel présidait Pierre Nkurunziza".

Pas si sûr : mardi soir, rapporte la Libre Afrique, la police a procédé dans les bars de Bujumbura à des arrestations de Burundais qui avaient commis le crime de laisser un peu trop éclater leur joie à l'annonce de la mort du président.