Au Burundi, le nouveau président bousculé par une mystérieuse rébellion
Sécurité

Le Monde, 14 septembre 2020

Trois mois après qu’Evariste Ndayishimiye a succédé à feu Pierre Nkurunziza, le pays vit au rythme d’attaques sans qu’on connaisse l’identité des assaillants ni leurs intentions.

C’est la première épreuve sérieuse pour le président Evariste Ndayishimiye. Alors qu’un relatif espoir planait depuis son arrivée à la tête du Burundi, en juin, après cinq ans de crise politique et sécuritaire et quinze ans sous la férule de Pierre Nkurunziza, le pays semble de nouveau plongé dans l’incertitude. Depuis trois semaines, il vit au rythme d’attaques armées, d’arrestations de masse par les services de sécurité et de perquisitions dans l’ancienne capitale politique, Bujumbura.

Un journal local, Iwacu, évoque une infiltration en plusieurs vagues depuis la République démocratique du Congo (RDC), via le lac Tanganyika, qui aurait commencé fin août. Mais le mystère plane encore sur l’identité des assaillants et leurs intentions. Certes, un court communiqué estampillé « Red Tabara », un mouvement rebelle né en 2015, fait état de sa confrontation « avec les policiers accompagnés de nombreux miliciens Imbonerakure [jeunes du parti au pouvoir] », le 23 août dans le sud du pays, mais son authenticité est encore à confirmer et aucune reconnaissance officielle des faits n’a jusqu’à présent filtré. Des tweets d’un compte attribué au mouvement revendiquent en outre une attaque dans le nord, où au moins six personnes ont été tuées le 10 septembre.

 « Nous sommes dans une démarche inhabituelle qui ne fait qu’ajouter à la confusion, commente Gérard Birantamije, politologue à l’université du Lac Tanganyika. Normalement, quand une rébellion entre dans un pays, elle se déclare, clarifie ce qu’elle veut pour chercher des soutiens et des ralliements. Là c’est le contraire. Les rares informations qui filtrent viennent d’acteurs atypiques. Les attaques sont globalement rapportées par les Imbonerakure un peu partout. Mais le gouvernement, la police et l’armée, eux, restent silencieux. Ce sont les miliciens qui communiquent, plus que les acteurs institutionnels et même plus que les rebelles. »

Dans ce contexte pour le moins étrange, certains évoquent un changement de stratégie. « Les rébellions burundaises se seraient rendu compte que trop de communication tue la communication, poursuit un observateur avisé. Elles se présentent comme combattant une autre ancienne rébellion… même s’il s’agit du régime en place. »

« Aucune main tendue »

La plupart des rébellions du pays ont vu le jour avec la crise de 2015, alors que Pierre Nkurunziza décidait de briguer un troisième mandat présidentiel. L’ex-chef de l’Etat étant décédé en juin, certains anciens rebelles se demandent pourquoi continuer la guerre. Gérard Birantamije nuance : « Ces rébellions se sont positionnées contre le régime et pas seulement contre Nkurunziza. Evariste Ndayishimiye, son successeur et héritier, n’a émis aucun signal envers ces forces, aucune main tendue, il n’a rien proposé jusqu’à présent pour pousser ces groupes à déposer les armes. Peut-être estime-t-on en haut lieu que les rapports de forces sont en faveur du régime et que ce dernier n’a pas besoin de reconnaître leur existence, continuant de ce fait à les assimiler à de vulgaires bandits de droit commun. »

L’étrangeté du climat est aussi due au fait que le Burundi était habitué à accuser les pays voisins, particulièrement le Rwanda, chaque fois qu’une attaque rebelle était menée sur son sol. Mais il semblerait que ce soit terminé depuis que les deux pays montrent une timide volonté d’évoluer vers une décrispation, après cinq ans de tensions diplomatiques. Le 26 août, des représentants de leurs renseignements militaires respectifs se sont même rencontrés à la frontière en présence du mécanisme conjoint de vérification de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, une organisation engagée sur les questions sécuritaires. Le Rwanda vient en outre de faciliter le rapatriement d’un millier de réfugiés burundais, autre sujet épineux qui alimentait la discorde.

Au niveau régional, la tâche ne s’annonce pas facile non plus. Le pays a décliné l’invitation du président congolais, Félix Tshisekedi, à un mini-sommet qui devait se tenir dimanche 13 septembre à Goma et qui a été annulé à la dernière minute. Ce rendez-vous aurait été l’occasion d’un premier face-à-face entre Evariste Ndayishimiye et son homologue rwandais, Paul Kagame, en plus de l’Ougandais Yoweri Museveni et de l’Angolais Joao Lourenço. Un pari un peu risqué pour la présidence congolaise. Contacté le 11 septembre pour commenter la montée d’attaques rebelles au Burundi, le porte-parole de Félix Tshisekedi, Kasongo Mwema Yamba Y’amba, a simplement répondu que la présidence de la RDC était « toujours en attente des résultats des travaux des experts ».

Par Armel Gilbert Bukeyeneza (Bujumbura, correspondance)