Les propos de l’envoyé spécial belge jugés "irréfléchis, offensants et partiaux"
Opinion

@rib News, 14/06/2010

Missié Frank E. De Coninck ou Tintin au Burundi !

Par Buramatari Hilde – 11 juin 2010

Ambassadeur Frank E. De ConinckDe par une rapide recherche sur le net, l’on apprend que De Koning, en néerlandais, signifie ‘le roi’. Soit ! Seulement voilà, ce que le net ne dit pas, c’est que tous les Coninck ne débitent pas nécessairement une parole royale. Ou plutôt si, puisque de bien mystérieux mobiles peuvent amener certains, fussent-ils de férus diplomates, à confondre une séculaire querelle linguistico-ethnique à laquelle ils sont habitués dans leur royaume et une simple situation de déni démocratique. Et l’analyse se corse quand on a servi à la cour royale, au Vatican, dans les rouages de Kigali post 1994, à Kinshasa durant la guerre d’occupation et … au Burundi post Arusha ; on semble avoir mal à changer d’époque. Surtout quand on ne connaît pas les Burundais, car uwutazi umurundi amunyererako !

Voici quelques jours déjà, j’ai lu, stupéfaite, penaude et franchement révoltée, des propos d’un autre âge impérial que je croyais derrière nous, sortis de la bouche d’un diplomate belge qui, pourtant, non seulement traine derrière lui de longues années de carrière dite « diplomatique », mais aussi devrait être au fait des réalités burundaises, puisqu’il a occupé le poste qui est le sien d’ « envoyé spécial » pour les Grands Lacs déjà durant la période qu’on a nommée du doux nom de transition. Pauvres Grands Lacs toujours confondus avec possession du roi Léopold II ! Les propos de M. l’Ambassadeur Frank E. De Coninck, ne sont pas seulement peu diplomatiques, mais ils témoignent à la fois d’une légèreté et d’une arrogance qui frisent l’inacceptable. Ils appellent de la part des politiques et de l’élite burundais d’être plus fermes dans les relations « privilégiées » avec cette ancienne métropole en mal de puissance, alors que le royaume est au bord de l’éclatement suspendu aux élections, tiens, comme par hasard du 13 juin !

Le jeudi 3 juin 2010, M. Frank E. De. Coninck, envoyé spécial de la Belgique dans la région des Grands Lacs Africains a, en effet, donné à l’ambassade de Belgique à Bujumbura, une conférence de presse au cours de laquelle il a tenu des propos d’une très grande gravité, qui témoignent à la fois de sa légèreté dans une situation particulièrement sensible et historique, et d’un incroyable et inadmissible mépris pour le peuple burundais et sa classe politique, voire de tout qui connaît la situation d’une Belgique aujourd’hui donneuse de leçons.

Sans prendre de gants et avec une arrogance plutôt paternaliste et une attitude condescendante, le diplomate belge gradué ès lettres a déclaré d’une part que la communauté internationale n’a pas le rôle de trancher les divergences entre les partenaires politiques burundais. Mais d’autre part, il est allé un rien trop loin, notre envoyé spécial ; allez-y savoir d’ailleurs ce qu’il a de si spécial, puisque dans les trois pays concernés sont accrédités des ambassadeurs autrement très compétents, en tout cas en ce qui concerne le Burundi, même si J. Smets pourrait de temps en temps cacher sa partialité, et même si souvent il leur manque à tous le courage de dépasser le côté marchand de la diplomatie. Normal n’est-il pas pour des ambassadeurs libéraux de leur état ! De Coninck s’est, en effet, autorisé la prise de position selon laquelle, compte tenu des différents rapports des observateurs internationaux, les élections communales du 24 mai 2010 étaient « dignes, transparentes et pacifiques ». « Nous rejoignons les autres observateurs internationaux pour affirmer que le processus électoral s’est déroulé dans de bonnes conditions en respectant les critères de la dignité et de transparence », a-t-il souligné.

Monsieur Grands Lacs tout droit venu en sauveur de Belgique a quand même reconnu qu’il y a eu « quelques irrégularités » pouvant être corrigées, tout en précisant que la Belgique ne sous-estimait pas ces irrégularités. Quel toupet ! Peut-on imaginer qu’au soir du 13 juin prochain, l’on proclame des résultats acceptables par Flamands et Wallons et Bruxellois, après bourrage d’urnes, corruption des mandataires, coupure électrique généralisée dans tout le pays au moment du dépouillement, prolongation illégale du temps imparti au vote, intimidation par la police ou des militants zélés du CD&V ou du Vlaams Belang, etc. ?  Et puis diantre, qu’est-ce que la Belgique a à donner son satisfecit sur les élections au Burundi à quelques petits jours du 48e anniversaire de la fin de « zana inkoko zana amasoro » ? Juste au nom de quelques millions d’euros versés pour rallonger les budgets d’un pouvoir corrompu jusqu’à l’os et d’autres dans la cagnotte électorale ? Ou sans doute pour d’autres business encore plus juteux en vue ? Ca ne tardera pas à se savoir, car après tout l’on peut manipuler les élections ou soutenir contre vents et marrées les manipulateurs, le peuple, lui, n’est pas achetable ; sinon l’on n’aurait jamais eu l’indépendance car la Belgique de notre homme n’en voulait pas et a tout fait pour ériger contre son avènement des groupes politiques naïfs et myopes, comme certains en ce moment. Faut-il un microscope électronique puissant pour montrer la grosseur des ambitions tyranniques et antidémocratiques caractérisant les faits et gestes du pouvoir sortant qui essaie de se maintenir à tout prix ? Coopérer ou couvrir un tel pouvoir est une infamie !

Notre homme spécial a ensuite souhaité que le processus continue et que ceux qui le veulent s’y inscrivent ; en même temps il s’est dit confiant quant à l’aboutissement de tout le cycle électoral. « Ceux qui le veulent », entendez que ceux qui ne le feront pas seront comptés pour quantité négligeable. Naturellement, notre homme a eu beau jeu d’adopter cette posture dédaigneuse ; mais c’était sans doute avant la surprenante décision tombée dans la soirée du 4 juin, comme un couperet sur le fameux processus dont on a coupé les ailes dans le berceau, décision prise par le parti de Mirerekano et Rwagasore, l’UPRONA pour ne pas la citer, de se retirer elle aussi des présidentielles prévues le 28 juin. Il était temps ; et il vaut mieux féliciter le quinquagénaire et plus ancien parti burundais, celui-là même sorti vainqueur du challenge Casablanca/Monronvia et qui a bouté les Belges dehors ; celui que les vendeurs d’armes et autres mafieux calculateurs se gargarisaient déjà, le croyant déjà tombé dans leur escarcelle et sur lequel ils misaient pour damer le pion aux démocrates qui réclament à cor et à cri l’annulation pure et simple des communales du 24 mai.

Et notre homme de poursuivre que les représentants de la communauté internationale, au nombre desquels il se range évidemment, encouragent la CENI et ses démembrements à redoubler d’efforts pour assurer la transparence dans la gestion du processus électoral, à veiller à une communication constructive avec les acteurs politiques et à traiter rapidement et de façon appropriée les recours introduits. Quel culot ! Une leçon sans objet, maintenant. Pendant qu’une alliance historique, l’ADC-IKIBIRI (Alliance des Démocrates pour le Changement) représentant une grosse majorité de la population burundaise demande sa dissolution, lui, le grand envoyé spécial belge, veut encourager la CENI dans la fraude et le torpillage des élections suivantes, tout cela au service d’un pouvoir tyrannique qui a démontré ses limites ? Il faut le faire ! Le souci majeur de la Belgique, a-t-il déclaré, est d’aider les Burundais à tracer le chemin du développement dans un environnement politique favorable à la démocratie. Enfin, nous y voilà : la démocratie à la burundaise, s’entend. Un chemin favorable aux affaires, oui ! Il aurait été plus avisé et vrai qu’il aurait ajouté : « Notre souci majeur est d’assurer la normalisation et la stabilité politique, peu importe la nature du régime, pour nous permettre de faire des affaires. Après tout, notre conscience n’a jamais été troublée de faire du business avec Mobutu, Buyoya… et aujourd’hui Kagame et bien d’autres dirigeants aux mains moins propres que celles de Nkurunziza et j’en passe des pires. »

Prenant appui sur la Déclaration universelle des droits de l'homme et sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans lesquels il est établi que l'autorité des pouvoirs publics doit reposer sur la volonté du peuple et que cette volonté doit s'exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, la Déclaration sur les critères pour des élections libres et régulières, adoptée à l'unanimité par le Conseil interparlementaire lors de sa 154ème session, le 26 mars 1994, dispose que : « Dans tout Etat, l'autorité des pouvoirs publics ne peut être fondée que sur la volonté du peuple exprimée à la faveur d'élections sincères, libres et régulières, tenues périodiquement au suffrage universel, égal et secret. » Voilà ce que nous aurons attendu du diplomate belge. Que dalle !

Rappelons tout de même et de juste, pour la bonne gouverne de la Belgique d’en bas qui ne connaît pas le langage de bois de ses diplomates, qu’à l’issue des élections communales du 24 mai 2010, les résultats manifestement falsifiés et contraires à ces principes, ont été contestés et rejetés par tous les protagonistes, à l’exception du parti au pouvoir auteur et bénéficiaire des manipulations et autres irrégularités électorales en question. Dès lors les propos peu diplomatiques du diplomate belge appellent les interrogations et la prise de position suivantes.

Pourquoi, tout en affirmant que la communauté internationale n’a pas le rôle de trancher les divergences entre les partenaires politiques burundais, le diplomate belge s’est-il cru obligé de prendre position, dans une situation litigieuse, de manière à afficher sa partialité ? Pourquoi la Belgique, dont il est le représentant, tout en ne sous estimant pas les irrégularités dénoncées, ne veut-elle pas mesurer entièrement leur nature, leur ampleur et leur impact sur les résultats, avant de se prononcer ? Pourquoi souhaiter qu’un processus, dont des acteurs majeurs dénoncent la faillite totale se poursuive malgré tout, si l’on est attaché réellement à la démocratie et la paix au Burundi ? Une telle démarche, faite de précipitation et de parti pris est-elle de nature à « tracer le chemin du développement dans un environnement politique favorable à la démocratie » ?  Est-ce parce que la Belgique a contribué au financement des élections que M. Frank E. De  Coninck se croit autorisé à prendre pour quantité négligeable l’avis de nombreux acteurs majeurs de la scène politique burundaise et à décider que ce qui est « digne et transparent » pour lui, remplace valablement des « élections sincères, libres et régulières, tenues au suffrage universel, égal et secret. » ? Le régime du CDD-FDD a-t-il particulièrement donné satisfaction à la Belgique, quand on se rappelle les prises de position de certains de ses ministres, à l’instar d’un certain Louis Michel, contre ses dérives dictatoriales ? Que s’est-il donc passé pour que la Belgique en arrive à lui apporter une caution faussement candide ? La logique du business as usually serait-elle la nouvelle ligne directrice de la diplomatie d’une Belgique elle-même en proie à des soubresauts peu démocratiques qui menacent jusqu’à l’éclatement du petit royaume vieux de seulement 179 ans ? Pour des raisons historiques évidentes, le Burundi, d’abord royaume indépendant vieux de plusieurs siècles, puis colonie (et tutelle) passée des mains allemandes aux belges, et enfin et surtout République indépendante depuis 48 ans n’est-il pas en droit de continuer à bénéficier de la part de son ex puissance coloniale un meilleur traitement en guise d’esquisse de réparation ?

Au vu de ce qui précède, il est clair que la position honorable de tout Burundais fier de l’être, de tout démocrate consciencieux et déterminé, pas seulement les vaillants membres de l’Alliance des Démocrates pour le Changement en tant que nouvel acteur majeur de la scène politique burundaise face au pouvoir décadent, est sans doute de condamner sans réserve les propos et l’attitude de M. Frank E. De Coninck comme irréfléchis, offensants et partiaux, voire même de le déclarer persona non grata au Burundi. Toute personne sensée et tout démocrate lucide doit condamner, par la même occasion, tous ceux qui, observateurs ou autres diplomates véreux, se contentent paresseusement et lâchement des apparences ou des déclarations de bonne foi de la CENI et du parti au pouvoir et refusent d’analyser minutieusement les mécanismes variés qui ont anéanti la crédibilité du scrutin querellé.

Il est difficile dans le contexte actuel d’imaginer autrement l’évolution de la situation suite au rejet total et sans appel des résultats du scrutin du 24 mai 2010 et leur annulation pure et simple. Quel est ce diplomate avisé qui ne voit pas l’impérieuse nécessité d’exiger la démission du président de la CENI et de toute son équipe pour incompétence, manquement grave, mensonge avéré et faute ayant entraîné la mise en péril de la démocratie et provoqué d’énormes pertes financières au pays ? Qui des acteurs majeurs de la politique burundaise épris de démocratie, un rien moins myope ou/et méprisant que notre homme spécial, pourrait passer outre l’impérieux devoir du moment de refuser de cautionner l’anéantissement de la démocratie au Burundi, de rejeter à l’avance toute élection organisée dans les mêmes conditions ?

Si tant est que la fameuse nébuleuse nommée communauté internationale soit réellement attentive à la situation burundaise actuelle et veuille bien aider à lui trouver une issue heureuse, elle doit exiger l’ouverture de négociations entre le gouvernement et l’ADC, incluant la société civile active, en vue de la mise en place d’une période de transition au cours de laquelle les conditions d’élections régulières, justes et transparentes seront mises en place. Naturellement, comme acte de bonne volonté préalable, la CENI et ses démembrements communaux et provinciaux devraient être remerciés pour mauvais services rendus à la nation.

Au lieu de soutenir l’imposture, la Belgique comme tous les autres partenaires du Burundi, multilatéraux et bilatéraux épris de paix et de démocratie devraient plutôt être exigeants et exercer des pressions nécessaires, afin que le pouvoir en place, responsable avec sa CENI du gâchis électoral de mai dernier, revienne à la raison et accepte ces exigences. Et le peuple burundais dans sa dignité doit refuser le diktat d’où qu’il vienne.

D’avoir été Grand Marshall de la cour de Laeken n’autorise nullement l’envoyé spécial belge à confondre le Burundi avec un royaume où tout serait permis pourvu qu’on ne touche pas à la royauté. Les Burundais et le Burundi ont bien changé depuis qu’ils ont goûté à la démocratie. Une des dividendes de la guerre n’est pas seulement la fin des manipulations ethniques ; ce n’est pas non plus seulement un regain de fierté nationale refusant le diktat d’où qu’il vienne ; ce n’est même pas seulement la fin d’une naïve et candide attitude de béni oui oui face aux « pourvoyeurs de fonds ». C’est une irréversible virée vers la démocratie comme remède aux maux qui ont miné le Burundi, et sur lesquels certains ont longtemps surfé pour faire du business. J’en veux pour exemples comme résultante la majeure partie des médias burundais dont la professionnalisation progressive ne permet plus de parler seulement le langage du maître au pouvoir, ainsi que l’alliance d’idées en train de sauver le pays de la dérive dictatoriale. Les diplomates venant ou œuvrant au Burundi devraient leur emboiter le pas. Aider le Burundi à normaliser sa situation politique, ce n’est pas lui imposer n’importe quel régime, autre que démocratique. C’est surtout remettre la voix du peuple au centre des débats ; sans la frauder ou la contorsionner, encore moins la contourner de quelque manière que ce soit. Un certain Sékou Touré d’avant la dérive tyrannique n’a-t-il pas dit que la « Guinée préfère la liberté (qu’) à l’opulence dans l’esclavage » ? Le principe vaut aussi pour le Burundi. Se choisir librement ses dirigeants constitue l’une des grandes conquêtes de l’humanité et des sociétés modernes qui, apparemment, donnent du fil à retordre aux faux démocrates. Pour le Burundi aussi ; ce n’est pas un luxe propre à l’occident et à la Belgique. Au fait, le roi est-il une autorité élue en Belgique ?

Buramatari Hilde, Canada