Burundi/Rwanda – Presse : Kigali cède partiellement aux demandes de Bujumbura
Politique

La Libre Belgique, 20 avril 2021

Kigali a demandé aux journalistes burundais exilés au Rwanda depuis la destruction des médias libres au Burundi, en 2015, de cesser de travailler depuis son territoire. Il s’agit ainsi de donner – partiellement – satisfaction au régime burundais, avec lequel un rapprochement a été entamé. Mais les médias d’aujourd’hui ne fonctionnent pas comme ceux d’hier.

C’est en octobre dernier que Bujumbura a subitement changé sa politique hostile envers Kigali et a amorcé le rapprochement que le Burundi avait rejeté jusqu’alors.

Désireux de voir la fin des attaques perpétrées par des groupes d’opposants armés contre son territoire depuis le Burundi, le Rwanda tente de faire des concessions à son voisin. Selon les informations reçues par La Libre Afrique.be, Bujumbura a notamment demandé à Kigali d’interdire d’émettre aux médias burundais qui ont repris leur travail depuis le Rwanda, après la destruction, en mai 2015, des médias indépendants burundais (à l’exception du journal Iwacu, le plus ancien d’entre eux). Un travail repris sans problème puisque les journalistes continuent de consulter leurs sources au Burundi par différents moyens de communication.

Des centaines de milliers de Burundais ont fui leur pays en raison de la répression contre ceux qui ont manifesté contre le troisième mandat – interdit par l’Accord de paix d’Arusha – de feu le président Pierre Nkurunziza; depuis lors, le pays est plongé dans une grave crise multiforme Une partie des Burundais en exil sont au Rwanda, essentiellement dans des camps de réfugiés et quelque 25.000 à Kigali. Parmi ces derniers on trouve une quarantaine de journalistes.

Livrer des journalistes à Bujumbura ? Kigali a refusé

Les autorités burundaises ont également demandé à leurs homologues rwandaises de leur livrer les figures les plus connues de la presse burundaise. Ce dernier point a été rejeté par Kigali mais pas l’interdiction d’émettre depuis le Rwanda.

« Parler d’interdiction d’émettre est incorrect », nuance Bob Rugurika, patron de la Radio Publique Africaine (RPA), interrogé par La Libre Afrique.be en Europe, où il réside depuis peu. « Il n’y a en effet pas eu d’autorisation d’émettre: nos radios n’utilisent pas de fréquences, nous n’avons rien eu à demander à l’Etat rwandais. Nous travaillons par internet et sur les réseaux sociaux, pour lesquels il ne faut pas d’autorisation. C’est ce que j’ai expliqué aux autorités rwandaises. Nos médias en ligne sont alimentés depuis l’Afrique, l’Europe, le Canada, les Etats-Unis ou la Chine, grâce à Twitter, Whatsapp, Instagram, Facebook ou Youtube. Nos productions quotidiennes en « audio » sont postées chaque jour et largement distribuées. Pour diffuser des émissions, nous n’avons pas besoin d’être physiquement présents au Rwanda. Nous n’avons pas de liens techniques avec le Rwanda, ni d’autorisation, ni d’engagements, ni de contrats de diffusion ».

« Une illusion de croire qu’on peut nous empêcher de travailler »

« Personne n’a d’émetteur. C’est une illusion de croire qu’on peut nous empêcher de travailler », renchérit Innocent Muhozi, interrogé par La Libre Afrique.be; cet ancien journaliste de la RTNB (Radio télévision nationale du Burundi) a créée Radio Télévision Renaissance, elle aussi détruite à Bujumbura en mai 2015.

Innocent Muhozi en veut pour preuve le fait que quinze jours après la fermeture, fin mars, sa consoeur RPA a déjà repris ses émissions le 12 avril. « Et Radio Inzamba, d’Alexandre Niyungeko, a repris ses diffusions le 15 avril. Nous, à Renaissance, nous espérons reprendre cette semaine ».

Selon Bob Rugurika, de RPA, « en fait, il y a une migration technique. La plupart des journalistes burundais à Kigali y restent parce qu’ils ont le statut de réfugiés du HCR (Haut Commissariat de l’Onu pour les réfugiés). Mais les journaux ne sont plus présentés par nos confrères à Kigali, plutôt par des journalistes vivant hors du Rwanda et de nouveaux collaborateurs ».

Bob Rugurika s’est installé en Europe et Innocent Muhozi se prépare à faire de même.

Par Marie-France Cros.