Zuma : le combattant de la liberté devenu président et aujourd'hui prisonnier
Afrique

BBC News, 10 juillet 2021

 Jacob Zuma a atteint l'ignominie politique en devenant le premier ancien président d'Afrique du Sud à être envoyé en prison.

Sa vie d'homme libre - qui bénéficiait des avantages d'un ancien président - a pris fin peu avant minuit, heure locale, lorsque, dans une scène dramatique, il a été escorté par un convoi de véhicules depuis sa maison de la région rurale de Nkandla jusqu'à une prison de la petite ville d'Estcourt.

Son fils, Edward Zuma, avait prévenu qu'il y aurait "du sang sur le sol" s'il était arrêté, mais finalement il n'y en a pas eu.

L'homme de 79 ans s'est rendu, sachant qu'il ne pourrait pas résister à la puissance de l'État, laissant derrière lui son fils qui s'était tenu devant la porte de leur maison avec un bâton.

Zuma était autrefois une personnalité politique célèbre.

Il a été emprisonné pendant dix ans en 1963 pour avoir combattu le système raciste de l'apartheid en Afrique du Sud, puis s'est exilé en 1975 pour devenir le maître espion du Congrès national africain (ANC), avant de revenir triomphalement en Afrique du Sud en 1990 et d'accéder à la présidence en 2009, bien que sa réputation ait alors été entachée par un déluge d'allégations de corruption.

Des racines modestes

Il avait également été accusé de viol sur une amie de la famille, mais a été acquitté en 2006 lors d'un procès qui a profondément polarisé l'ANC, l'ancien mouvement de libération qui est devenu le parti au pouvoir en 1994 et dont Zuma est membre depuis l'âge de 17 ans.

Aujourd'hui, il est emprisonné pour outrage à un tribunal composé des plus hauts magistrats d'Afrique du Sud, qui sont les gardiens de la démocratie pour laquelle il s'est battu pendant la majeure partie de sa vie.

Au début du mois, les juges de la Cour constitutionnelle l'ont condamné à 15 mois de prison pour avoir ignoré un ordre de comparution devant une enquête officielle sur les allégations de corruption auxquelles il a été confronté pendant ses neuf années de présidence - en particulier sa relation avec les célèbres frères Gupta qui ont fui l'Afrique du Sud en 2018 alors que l'étau juridique se refermait sur eux.

Ils ont tous nié les allégations, et Zuma insiste sur le fait que ses ennemis politiques utilisent les tribunaux pour le cibler.

Ayant combattu l'oppression raciale en Afrique du Sud au plus fort de la guerre froide entre les États-Unis et la défunte Union soviétique, Zuma est encore imprégné de cette mentalité, se présentant comme la victime d'une conspiration politique ourdie par les puissances occidentales - et leurs "marionnettes" en Afrique du Sud - pour contrecarrer ses tentatives de mettre fin au pouvoir économique des Blancs dans le pays.

Pour ses détracteurs, l'ancien combattant de la liberté issu d'une famille rurale pauvre s'est laissé griser par le pouvoir une fois la lutte de libération remportée et a pillé à grande échelle les richesses de l'État avec ses nouveaux amis du monde des affaires.

La vérité n'a pas encore été établie, mais le fait qu'un ancien combattant de la liberté et président ait été emprisonné pour avoir tenté de se soustraire à l'obligation de rendre des comptes pendant son mandat est un hommage à la démocratie sud-africaine, qui dure depuis 27 ans.

Cela montre que les institutions démocratiques sud-africaines - souvent malmenées par les politiciens - restent fortes, et que les juges, les policiers et les fonctionnaires sont toujours prêts à faire respecter l'État de droit en emprisonnant un homme que certains d'entre eux connaissent personnellement et avec qui ils étaient autrefois dans les tranchées de la lutte de libération.

Le prisonnier le plus médiatisé

De plus, les juges ont été scrupuleusement équitables envers Zuma, lui accordant une audience à chaque occasion alors qu'il menait devant les tribunaux ce que l'on a appelé la stratégie de Stalingrad - combattant point par point toute tentative de le faire passer en jugement pour ses crimes graves présumés.

Vendredi, un juge se prononcera sur la révocation ou non de son arrestation, et lundi, la plus haute juridiction du pays entendra sa demande d'annulation de sa condamnation pour outrage.

Il s'agit d'une situation sans précédent en Afrique du Sud, et les mois à venir risquent d'être encore plus dramatiques, car Zuma est jugé, dans une affaire distincte, pour des accusations de corruption liées à un contrat d'armement de 5 milliards de dollars (plus de 2 bilions 763 milliards FCFA) dans les années 1990.

Il fait face à plus de 15 chefs d'accusation de racket, de corruption, de fraude, d'évasion fiscale et de blanchiment d'argent - accusations auxquelles il a plaidé non coupable lors d'une comparution en mai.

La grande question qui se pose est la suivante : Zuma va-t-il finalement gagner et être libéré, ou va-t-il acquérir encore plus de notoriété en tant que prisonnier le plus médiatisé d'Afrique du Sud ?

Les déboires judiciaires de Zuma :

2005 : accusé d'avoir violé un ami de la famille - acquitté en 2006

2005 : accusé de corruption dans le cadre d'un contrat d'armement de plusieurs milliards de dollars en 1999 - les charges ont été abandonnées peu avant qu'il ne devienne président en 2009.

2016 : le tribunal ordonne qu'il soit inculpé de 18 chefs d'accusation pour corruption dans le cadre de ce contrat. Il fait appel, mais perd en 2017 une tentative d'annulation.

2016 : le tribunal juge qu'il a violé son serment en utilisant des fonds publics pour améliorer sa maison privée à Nkandla - il a remboursé l'argent.

2017 : le protecteur public a déclaré qu'il devait nommer un juge chargé d'enquêter sur les allégations selon lesquelles il aurait profité de sa relation avec la riche famille Gupta - il nie ces allégations, tout comme les Guptas.

2018 : Zuma approuve l'enquête sur les allégations de pillage de l'État.

2018 : l'Autorité nationale des poursuites judiciaires confirme que M. Zuma sera poursuivi pour 12 accusations de fraude, une de racket, deux de corruption et une de blanchiment d'argent, liées à la vente d'armes, ce qu'il nie.

2021 : début d'une peine de 15 mois de prison après que la Cour constitutionnelle a ordonné son arrestation pour avoir refusé de témoigner devant la commission sur le pillage de l'État.

Par Farouk Chothia