Assassinat de Rwagasore : Des excuses de la Belgique au Burundi ? |
Prince Louis Rwagasore | |
La Croix, 15/10/2021 La Belgique a-t-elle participé à l’assassinat du héros de l’indépendance burundaise ? Les faits - Le prince burundais Louis Rwagasore fut éliminé, il y a tout juste 60 ans, le 13 octobre 1961. Selon le sociologue Ludo De Witte, la responsabilité de la Belgique serait gravement engagée dans la mort de cette figure de l’indépendance du Burundi. Alors que le Burundi vient de célébrer le 60e anniversaire de l’assassinat du jeune prince Louis Rwagasore, héros de l’indépendance burundaise, une enquête du sociologue Ludo De Witte apporte de nouvelles lumières sur cette sombre histoire qui a marqué le Burundi et la région des grands lacs. Une histoire commencée dans les années 1950, alors que le Burundi est une colonie belge. Héritier de la couronne burundaise, Louis Rwagasore a incarné la lutte contre la tutelle belge. Fondateur, en 1959, de l’Union pour le progrès national (Uprona), son parti était le principal courant nationaliste burundais, réunissant alors des Hutus et des Tutsis. Pour contenir l’influence de l’Uprona et la prétention de son leader de s’affranchir rapidement de l’emprise belge, Bruxelles a favorisé l’émergence d’un parti plus docile et moins tranchant, le Parti démocrate-chrétien (PDC). Mais au cours des premières élections législatives organisées au Burundi, le 18 septembre 1961, l’Uprona a obtenu 80 % des voix : un triomphe qui passe mal du côté du gouverneur belge, Roberto Régnier. Fort de son succès, Louis Rwagasore devient le premier ministre du Burundi, le 29 septembre 1961 : à lui de préparer l’accession de son pays à la pleine indépendance. Attablé dans un restaurant, il est tué d’une balle dans la tête, deux semaines plus tard, le 13 octobre 1961. Un crime politique Très vite, un Grec du nom de Jean Kageorgis est identifié par les autorités belges comme le tireur d’élite. Interpellé, il aurait agi pour le compte de Burundais liés au PDC. Il est jugé, condamné à mort et exécuté, l’affaire est close. Mais cette fin expéditive n’a pas éteint l’incendie allumé par l’assassinat de Louis Rwagasore. Respecté par les différentes communautés au Burundi, il incarnait une cohabitation possible entre les Hutus et les Tutsis. À la suite de sa disparition, le Burundi devient pleinement indépendant : mais les relations entre les deux communautés se tendent, l’Uprona se durcit et devient le parti unique de la minorité tutsi au pouvoir. La rupture entre les communautés est consommée en 1973, année où des Hutus tentent de s’emparer par la force du pouvoir, entraînant une réaction massive et sans nuance des autorités contre tous ceux soupçonnés d’être liés aux putschistes. Et les Belges ? Très vite, le rôle de la tutelle belge est interrogé dans l’assassinat de Louis Rwagasore, sans que rien ne soit établi, cependant. Les Belges sont soupçonnés d’avoir commandité ou permis cette exécution comme dans l’affaire Patrice Lumumba, l’ancien premier ministre zaïrois éliminé, quelques mois plus tôt, le 17 janvier 1961 (au Katanga). Un soupçon confirmé aujourd’hui par les travaux du sociologue belge Ludo de Witte. Dans un livre à paraître en novembre (1), il montre que Roberto Régnier, l’envoyé de la Belgique au Burundi, aurait clairement appelé à la liquidation de Louis Rwagasore au cours d’une réunion, quelques jours après sa victoire électorale. Pour Ludo de Witte, cela ne fait aucun doute : la responsabilité de la Belgique est accablante. Ludo de Witte et l’énigme de la mort de Lumumba En 2000, Ludo de Witte s’était fait connaître en révélant, dans un livre choc (2), la responsabilité de Bruxelles dans l’élimination de Patrice Lumumba. À la suite de son livre, la Belgique avait alors officiellement reconnu : « À la lumière des critères appliqués aujourd’hui, certains membres du gouvernement d’alors et certains acteurs belges de l’époque portent une part irréfutable de responsabilité dans les événements qui ont conduit à la mort de Patrice Lumumba. » Et d’ajouter : « le gouvernement estime dès lors qu’il est indiqué de présenter à la famille de Patrice Lumumba et au peuple congolais ses profonds et sincères regrets et ses excuses pour la douleur qui leur a été infligée de par cette apathie et cette froide neutralité ». Des excuses de la Belgique Les nouvelles révélations de Ludo de Witte pourraient être de nature à pousser Bruxelles à présenter à la famille du prince Louis Rwagasore et aux Burundais des excuses pour la part prise par les autorités belges de l’époque dans la mort du héros de l’indépendance burundaise. Une demande clairement formulée par Jean de Dieu Mutabazi, président du parti burundais Radebu qui, rapporte le média burundais Ikiriho sur Twitter : « rappelle que Roi Belge a demandé pardon aux Congolais de la RDC pour les crimes contre l’humanité commis par la Belgique. Et d’encourager la Belgique à faire de même pour le cas du Burundi ». (1) Meurtre au Burundi, La Belgique et l’assassinat de Louis Rwagasore, Éditions Investig’Action, 2021, 18 €. (2) L’assassinat de Lumumba, Karthala, 2000, 30 €. Laurent Larcher
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