Burundi/RDC : L’ambassadeur américain roule pour les terres rares
Diplomatie

La Libre Afrique30 novembre 2021

Burundi/RDCongo : Droits de l’homme ? L’ambassadeur américain roule pour les terres rares

Contrairement à l’UE, Washington vient de lever les sanctions visant des officiels burundais. Une décision qui épouse les intérêts miniers de l’ex-ambassadeur US dans les Grands Lacs.

La décision, le 18 novembre 2021, par le président Joe Biden de lever les sanctions imposées en novembre 2015 au Burundi, visant huit personnalités (dont sept officiels et un opposant impliqué dans la lutte armée) a intrigué et indigné les défenseurs des droits de l’homme.

L’affirmation par Joe Biden que la situation ayant justifié ces sanctions, notamment “les meurtres et violences contre des civils”, observés depuis avril 2015, a été “modifiée de manière significative par les événements de l’année écoulée”, n’a pas convaincu. Elle a été contredite par des rapports de l’Onu et d’organisations de défense des droits de l’homme. Sur la base des mêmes faits d’ailleurs, l’UE a renouvelé en octobre dernier le gel des avoirs et l’interdiction de visa frappant trois officiels et un général putschiste.

Mais comment expliquer alors que les mêmes faits ne produisent pas les mêmes conclusions des deux côtés de l’Atlantique ? C’est ici qu’intervient le talent du nouveau magicien de la diplomatie de Washington en Afrique: l’ambassadeur Peter Pham, d’origine vietnamienne, ancien directeur du Centre africain du think-tank Atlantic Council, Envoyé Spécial des Etats-Unis dans les Grands Lacs d’octobre 2018 à mars 2020, puis au Sahel de mars 2020 à janvier 2021.

Fin septembre 2019, il se précipite au Burundi pour rencontrer le président Pierre Nkurunziza en son fief de Ngozi. Il a fait inviter plusieurs fois par l’Atlantic Council l’ex-ministre burundazis des Affaires étrangères Alain Nyamitwe et son frère Willy, ancien conseiller spécial de Nkurunziza.

Un zèle exceptionnel

Cultivant le mélange des genres, Peter Pham fait preuve d’un zèle exceptionnel pour réchauffer les relations entre Washington et le Burundi, aidé en cela par les milieux évangélistes américains qui ont les yeux de Chimène pour feu Nkurunziza et son épouse, fondatrice de l’Église du Rocher. L’un des partisans les plus enthousiastes de Nkurunziza est le sénateur républicain James Inhofe, membre de la droite religieuse qui a participé aux croisades de prières du couple présidentiel.

Après l’élection d’Évariste Ndayishimiye à la présidence, à la mi-2020, l’assiduité de Peter Pham ne faiblit pas. Bien qu’Envoyé Spécial au Sahel depuis mars 2020, il accourt à Bujumbura pour assister au défilé militaire de la fête de l’Indépendance, le 1er juillet. Aux côtés du nouveau Président et de son Premier ministre, Alain-Guillaume Bunyoni, pourtant sous sanctions américaines.

Pourquoi un zèle aussi extraordinaire? Le site Burundi Daily l’interprète comme la manifestation de l’intérêt de Pham pour le potentiel stratégique des gisements burundais de terres rares, si précieuses, à l’heure du tout électrique, pour la fabrication de batteries et d’aimants. Dans un contexte où la Chine représente 70 % de la production mondiale de terres rares et qu’elle recèle au moins 36,6 % des réserves mondiales, alors que les États-Unis ne produisent que 15 % du total et détiennent moins de 2% du total des réserves mondiales.

Le seul gisement exploité en Afrique

Le Burundi abrite en effet le seul gisement en exploitation en Afrique, celui de Gakara, dont la production a dépassé les 500 tonnes en 2020. Selon le titulaire du permis d’exploitation, la société Rainbow Rare Earths (RRE) du magnat chypriote Adonis Pouroulis, la concession recèle des réserves dépassant le million de tonnes de concentrés, d’une teneur en minerai parmi les plus élevées au monde. Le hasard fait bien les choses. Il y a déjà un Américain sur le coup et pas des moindres: Shawn McCormick, ancien directeur-adjoint aux Affaires africaines au Conseil national de sécurité des Etats-Unis sous la présidence de Bill Clinton. McCormick siège au conseil d’administration de Rainbow.

Coïncidence: un mois avant que l’ambassadrice américaine au Burundi, Melanie Higgins, n’informe le président Ndayishimiye de l’intention de l’administration Biden de lever les sanctions contre les officiels burundais, voici que l’infatigable Peter Pham est nommé lui aussi administrateur de RRE. Le président de la société ne cache pas que sa désignation est due à son rôle dans le réchauffement des liens entre les États-Unis et le Burundi. « Les connaissances de Peter, en tant qu’architecte des efforts pour réformer et reconstruire les relations des États-Unis avec le Burundi, sont inestimables », se félicite Adonis Pouroulis dans une déclaration datée du 7 mai 2021.

Du point de vue de RRE, pour qui roule Peter Pham, la levée des sanctions américaines contre le Burundi tombe à pic. En effet, le gouvernement burundais, de plus en plus conscient de la valeur stratégique de ses gisements de terres rares, est en train de faire monter les enchères. En avril dernier, il a suspendu les exportations de minerai pour obtenir une meilleure répartition des revenus du secteur minier. En juillet, il a accentué la pression en suspendant toutes les activités des compagnies minières, avec pour objectif d’imposer une renégociation des contrats Mais RRE s’accroche. La société vient de lever 8,5 millions de dollars en bourse de Londres pour financer la prolongation jusqu’à décembre 2022, du régime de maintenance et d’entretien de la mine.

Au Congo aussi

La coïncidence entre diplomatie et affaires dans les activités de Peter Pham ne se limite pas au Burundi. En juin 2021, l’ex-Envoyé Spécial dans les Grands Lacs –  qui ne perd pas une minute – rejoint le conseil d’administration de l’opérateur de téléphonie Africell. C’est en cette qualité qu’il est reçu à Kinshasa, le 18 octobre 2021, par le Premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde, au sein d’une délégation dont l’un des messages, même pas subliminal, est que ce grand ami du Congo travaille maintenant pour Africell, qui envisage de doubler la taille de son réseau en RDC, indique le site de la Primature congolaise.

Ce mélange entre affaires personnelles et diplomatie n’est pas du goût du sénateur démocrate du New Jersey, Cory Booker. Dès janvier 2019, dans une lettre au secrétaire d’État de l’époque, Mike Pompeo, le sénateur exprimait ses préoccupations sur un possible conflit d’intérêts. Il considère en effet incompatible le maintien de l’emploi de Peter Pham à l’Atlantic Council avec ses activités officielles. Dans la mesure où l’Atlantic Council accepte les contributions de gouvernements étrangers, de sociétés et de particuliers (dont Moïse Katumbi), Pham pourrait tomber sous leur influence et leur devoir une infinie reconnaissance, s’inquiétait le sénateur, ajoutant : « Le peuple américain mérite de savoir si ses diplomates servent les intérêts américains et non ceux des gouvernements ou des sociétés étrangères ».