Rwanda : L’association Ibuka devra s’expliquer devant un tribunal belge |
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Le Soir, 30/11/2021 L’ASBL consacrée à la mémoire du génocide au Rwanda comparaîtra le 9 décembre pour non-respect du code des sociétés, les comptes annuels n’ayant pas été déposés depuis 2018, ce qui pourrait susciter une procédure en dissolution. Le 9 décembre prochain, l’ASBL Ibuka, destinée à entretenir la mémoire du génocide au Rwanda et à combattre le révisionnisme, comparaîtra devant le Tribunal de l’entreprise, ancien Tribunal de commerce. L’association devra s’expliquer sur le non-respect du code des sociétés, les comptes annuels n’ayant pas été déposés depuis 2018, ce qui pourrait susciter une procédure en dissolution. Depuis juillet dernier, l’ASBL a perdu le financement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et n’est plus reconnue comme « centre labellisé » jusqu’en 2024. Elle ne paye plus le loyer de son siège social et, pour cause de covid mais pas uniquement, n’a plus réuni ses membres en assemblée générale. Une nouvelle AG devrait être organisée d’ici fin décembre et de nouvelles élections sont prévues. Si le Tribunal de l’entreprise, qui avait déjà accordé une troisième audience à l’ASBL, accepte cette proposition, les comptes pourraient être présentés, in extremis, d’ici la fin de l’année. Ils devraient être assortis des relevés bancaires des trois dernières années qui n’avaient jamais été fournis. Si une solution à l’amiable intervient, l’affaire déboucherait sur un simple avertissement ou sur une mise sous contrôle judiciaire. Conflits internes Ces déboires d’Ibuka sont d’autant plus regrettables que l’association, créée en août 1994 déjà, avait organisé de nombreuses manifestations destinées à maintenir la mémoire du génocide, dont des conférences ou colloques, des voyages au Rwanda, des expositions. Ibuka a toujours été soutenue par des subsides de la Fédération Wallonie-Bruxelles et a collaboré avec l’une de ses cellules, Démocratie ou Barbarie. Depuis un quart de siècle, le parcours d’Ibuka n’a cependant pas été un long fleuve tranquille, il a été émaillé de conflits internes, de démissions et de reproches adressés à l’actuelle présidente, Félicité Lyamukuru, dont celui d’être, de manière croissante, un relais de la politique de Kigali plus que la porte-parole de la mémoire des rescapés du génocide. Les tensions au sein de l’association avaient été aiguisées, entre autres, par la condamnation puis le suicide dans un commissariat rwandais du chanteur et musicien Kizito Mihigo. Ce dernier, lui-même rescapé du génocide, était très populaire dans son pays et en Afrique. Prêchant la réconciliation, il s’était rapproché des milieux hutus en Belgique. En outre, un litige avait opposé Félicité Lyamukuru à l’éditeur belge GRIP (Groupe de recherche et d’information sur la paix), très connu dans les milieux associatifs, à propos d’un ouvrage de l’intellectuel rwandais Aloys Kabanda. Lui-même membre d’Ibuka depuis la première heure, promoteur de l’exposition itinérante « Les 100 jours du génocide des Tutsis en 1994 » regroupant des caricatures et photos de ces moments tragiques, Kabanda avait prévu de publier au GRIP une série de témoignages dans le cadre d’un livre collectif, « Quand l’Histoire s’écrit à la machette ». Publication suspendue L’ouvrage qui avait été subsidié par Démocratie ou Barbarie reprenait, entre autres, des témoignages de paracommandos belges envoyés au Rwanda, dont celui de Luc Lemaire qui racontait la manière dont les militaires belges avaient été obligés d’abandonner l’ETO (Ecole technique supérieure) où des centaines de Tutsis s’étaient réfugiés. Félicité Lyamukuru ayant mis son veto sur certaines parties du livre, la publication de l’ouvrage, pourtant déjà imprimé, avait été suspendue. La présidente d’Ibuka avait alors été accusée d’être soumise aux ordres venus de Kigali, et cela alors que l’association est une ASBL de droit belge soutenue par les pouvoirs publics. A l’automne 2020, elle avait omis de convoquer une nouvelle assemblée générale qui aurait mené à l’élection d’un nouveau président car son propre mandat de deux ans était arrivé à son terme. Les positions très militantes de Mme Lyamukuru, rescapée elle-même, ont creusé les divisions au sein d’Ibuka et elles se sont ajoutées à des erreurs de gestion, ce qui peut faire craindre une disparition de l’association, ou sa renaissance sous une autre dénomination… Par Colette Braeckman
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