Quel "événement" aura le plus marqué l’année 2021 au Burundi ? |
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@rib News, 06/02/2022 Burundi 2021 : l'évènement qui fait des "évènements" de 1972 un génocide contre les Bahutu Une carte blanche de JP Mbona, Gitega. [Photo : Recueillement devant les ossements de victimes du génocide de 1972, exhumés en 2020 par la Commission Vérité Réconciliation (CVR) du Burundi.] "Les peuples qui ne réfléchissent pas sur leur passé sont condamnés à le revivre, dit un certain Georges Santayana philosophe américain et auteur de "Une vie de raison" (1905). L'Humanité et son Histoire plus que troublée en a-t-elle conscience? Apparemment pas plus au Burundi qu'ailleurs. Encore faut-il oser réfléchir effectivement et intelligemment, tirer des conclusions pertinentes et agir de façon méliorative. Dans le sens de la même histoire, l'histoire des peuples et des nations que les "évènements" bousculent sans cesse. Bien malin qui sait garder son équilibre dans l'affaire, convoquer un minimum d'éthique, d'objectivité.
Faisant écho à l'Américain cité plus haut (à l'écrit on peut les coupler!), Marx fait remarquer que "l’histoire se répète toujours deux fois, la première comme une tragédie, la seconde comme une farce", tandis que Alain Leblay renchérit que "Vouloir construire l'avenir sans affronter les erreurs du passé, autant vouloir construire un mur, sans briques et sans mortier"! La sagesse burundaise, quant à elle, n'est pas en reste: "Utara mu nda ugatarura ibiboze" (ce qui se traduirait librement par 'A force d'inhiber en son for intérieur il n'en ressort que de la pourriture'). Faut-il s'étonner dès lors que quelque chose en vient à ne pas sentir bon quelque part, des dizaines d'années plus tard? 2021 est passée. Très vite. Une année est un temps long, dirions-nous ! Oui. Très long, non dans la vie d'une nation, mais bien dans celle des individus. Surtout quand ces derniers trainent comme un boulet d'une souffrance diffuse, profonde, inouïe, indicible, jamais narrée; des plaies béantes, comme vouées à rester ouvertes, jamais cicatrisées. G. Meynier (2008 :41) nous explique que « dans la vie des individus, des peuples et des nations, les blessures se sédimentent au fur et à mesure que les minutes, les mois, les années et les siècles passent. Mais elles ne s’effacent jamais de l’inconscient.» Mais alors quid d'un demi-siècle ? Une éternité, dans le contexte qui nous occupe ! Ce sont deux générations, au sens sociologique de la chose. Nous vivons des temps durs ; quelques fois comme suspendus ! Au Burundi comme ailleurs, les évènements, plus ou moins significatifs se succèdent ; les mauvaises nouvelles s'amoncèlent, tel un tas d'immondices laissant plus ou moins indifférents les passants non-concernés. Toujours toute drapée dans les contraintes en vois-tu en voilà du virus de sars2-covid19, dont la gestion est à tout le moins erratique, l'année 2021 aura aussi rempli ses promesses en évènements-phare. On aurait pu en épingler plusieurs, tout autant emblématiques les uns que les autres et qui constituent des sortes de momentum, à n'en pas douter. Par exemple le rapport des experts, sorti en Belgique, sur les responsabilités et les crimes dont s'est rendu coupable le royaume du légendaire roi Léopold II, grand roi chez lui certes, mais criminel et coupeur de mains dans l'inconscient collectif des peuples des plantations de caoutchouc et d'hévéa, des sujets taillables et corvéables à merci dans "sa propriété congolaise" de quatre-vingts fois plus grande que la portion congrue du royaume que lui ont légué ses ancêtres Saxe-Cobourg-Saalfeld. On aurait pu ne retenir que la plus qu'attendue publication de Ludo De Witte, pointant d'un doigt explicite, encore un, l'implication de la même puissance coloniale, encore une après Lumumba, dans l'assassinat éhonté du prince Louis Rwagasore; même puissance qui eut maille à partir avec ledit prince au terme obligé de sa tutelle sur le Burundi ; puissance qui instaura sur le livret d'identité la mention ethnique, outre le fait d'avoir limogé les chefs hutu du système administratif traditionnel des chefferies durant les années '30 ! Ca s'appelle déjà une cause lointaine, mais non moins profonde du conflit burundais. Autant que les débuts de l'école d'Astrida/Butare qui augura de la discrimination dans l'enseignement, plus d'une trentaine d'années plus tard à l'UOB/UB, notamment dans les facultés universitaires menant aux secteurs "chasse gardée" (dont le droit...). On aurait pu aussi ne retenir comme fait de 2021 la levée, par les Etats-Unis, des sanctions imposées en 2015 au Burundi. Mais il y a plus emblématique! Oui, 2021 est vite passée et un grand moment semble avoir été éclipsé par les festivités "fin d'année". Trop d'information tue l'information", n'a-t-on pas coutume de dire. Quant à l'histoire des génocides, elle semble se décliner à l'instar de celle de la chasse. Tant que les lions n'auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse ne peuvent que chanter la gloire du chasseur. Ou des chiens, par ricochet ! On le sait, l'histoire est toujours racontée par les vainqueurs. Celle des génocides singulièrement est racontée par les "génocidaires". Et comment les coupables se dénonceraient-ils eux-mêmes ? Au Burundi, on dirait qu'il a fallu que les "génocidés" ou plutôt les rescapés et descendants qui leur survivent aient droit au chapitre ... de la chose publique. On connait le "livre blanc" commandité par le régime génocidaire de Micombero et ses sbires, Simbananiye et Cie. Quelques lignes ou paroles volantes dans les rares medias étrangers durant l'immédiat-après génocide. Au début des années '80, un certain rapport onusien resté lettre morte. En effet, daté de 1983 et du nom du rapporteur spécial Benjamin Whitaker, un rapport portant son nom était censé faire progresser la prévention et la répression du crime de génocide considérait les "massacres" perpétrés contre les Hutu du Burundi comme un génocide. Puis, plus rien ! Plus que des "jérémiades" des rescapés. Inaudibles. Epars. Multiple peine pour les victimes qui ont dû ramer, déployer des efforts fous en vue de faire reconnaitre, qualifier leur malheur et éventuellement "bénéficier" de la reconnaissance internationale. Ca aura duré. Un demi-siècle. 1972-2022 ! Le 29 avril 2022 marquera exactement les 50 ans d'un génocide délibérément occulté, sur lequel le monde des bien-pensants a imposé une omerta ; sur lequel les Burundais eux-mêmes se sont imposé un langage et des attitudes mensongers ou de déni, y compris durant le "bavardage" d'Arusha. Un demi-siècle d'hypocrites comportements entre ce qui est pudiquement nommé "composantes" de la société burundaise, se regardant en chiens de faïence et se canardant terriblement par moment, la faction minoritaire jouant des pieds et des coudes pour monopoliser le pouvoir et continuer à nier, lors même que la "composante" majoritaire se battait pour avoir droit au chapitre. Les Batwa, eux, ont encore du chemin à faire ; ils devront sûrement revendiquer encore davantage, car restés portion congrue, oubliés, tenus pour quantités négligeables. Parfois l'on peut regretter de n'avoir pas au Burundi et au Rwanda, comme chez les voisins immédiats tanzanien, kenyan, ougandais, RDC... et partout en Afrique, des dizaines ou centaines d'"ethnies", sans qu'aucune d'elles ne soit majoritaire, voire ne dépasse 10%. Peut-être les choses eussent été meilleures ainsi. Mais ... voilà. C'est la faute à Monsieur pas de chance ! L'ancien et feu major resté célèbre, non pour avoir "définitivement réconcilié son peuple" comme il en avait annoncé la prétention, mais bien pour avoir réussi un exploit de faire d'une "Pierre" deux coups ... d'Etat, a déclaré un jour de septembre 1987 que "la question ethnique" avait été résolue au Burundi. Mal lui en a pris, car moins d'un an plus tard, les "évènements" (ô quel pudique mais sinistre mot !) de Ntega-Marangara lui ont administré la preuve du contraire. Et le forfait d'octobre 1993 a parachevé de le démentir, car la décapitation du chef de l'Etat et conséquemment de la démocratie naissante a fini dans un bain de sang que d'aucuns ont qualifié de lutte pour la démocratie certes, mais non sans relents de massacre interethniques. La suite est archi-connue ; même les discussions/bavardages d'Arusha n'ont pas réussi à extirper le mal qui ronge le Burundi, de générations en générations. Ca s'atténue, nous indique-t-on depuis les collines et les quartiers du pays de Nyaburunga. On ne demande qu'à y croire. Y a qu'à voire les quelques vives et polémiques réactions qui ont fusé à la suite de l'annonce du 20 décembre 2021. Clivées, selon les camps ! Du reste mon petit doigt ou plutôt mon œil qui scrute les différentes cérémonies traditionnelles de mariage etc. au Burundi, surtout dans les villes (voir la remarque de Ntibazonkiza ci-dessous) semble indiquer que le clivage n'est pas mort pour un sous ! Que nenni. Mais ceci est un autre chapitre. A Arusha, revenons-y, les cinq commissions en débat semble avoir discuté de tout ou presque, mais en contournant un fait patent, malheureux et sensible de la nature du conflit (c'était le nom de la première commission qui traitait de la chose) : l'exclusion depuis la colonisation, d'une partie des Burundais, à savoir les Bahutu. Cela a eu pour conséquence des massacres cycliques, essentiellement après l'indépendance, pour atteindre le summum en 1972. On ne récolte que ce qu'on sème. Après avoir sabordé la monarchie multiséculaire et chambardé la société burundaise dans ce qu'elle avait eu de stable, Micombero et son administration ont commis l'irréparable : un gigantesque pogrome consommé. Son tombeur Bagaza, au lieu de rapidement corriger politiquement le tir, a continué la politique d'exclusion sous d'autres formes (les fameux I/U de sinistre mémoire, doublé de la traque des "opposants : Gahutu Rémy en a payé tragiquement les frais). Buyoya, pour en revenir à lui, a nié l'existence de la question ethnique, sans doute pour mieux la manipuler en sa faveur. Tous ont oublié ou feint de le faire, que les faits sont têtus. Comme dit plus haut, Buyoya a joué au plus malin, mais les faits l'ont ramené à la triste réalité puisque tel un boomrang, Ntega/Marangara et l'assassinat du président Ndandaye lui ont fait sauter à la figure en guise de conséquences de ses multiples entourloupes, refus et dénis de l'Histoire. A son retour en 1996, poussé par je ne sais quel démon afin de parachever le "putsch rampant", la mise au rancart des milices "sans échecs" créées par son parti n'a pas suffi pour ramener la paix, encore moins la paix sociale. Que du contraire, car la rébellion a continué de plus belle et la suite est archi-connue : de Rome à Arusha, un dialogue difficile, nimbé d'un certain "je te tiens tu me tiens par la barbichette...", couronné par la signature d'accords bigarrés, incomplets et flous, où la question ethnique a quand même acquis droit de cité, puisque désormais constitutionnellement figée dans des chiffres, des proportions ou partage du gâteau-pouvoir ! Pourtant sans bases statistiques "ethniques", ni officielles ni officieuses. Mais le "bavardage" d'Arusha (excusez du peu au vu de la suite) a échoué sur un pan entier de la question, à savoir le génocide contre les Hutu en 1972, nié par le camp au pouvoir, mais toujours remis sur la sellette par la partie de Burundais qui en ont été victimes. Reconnaitre sa propre douleur est-il toujours égal à nier celle de l'autre ? Car ne l'oublie-t-on pas assez souvent, qu'il y ait massacres, que cela finisse par être qualifié de génocide ou non, les morts sont bien morts, non pas collectivement, mais individuellement; même jetés dans des fosses communes, comme ce fut le cas pour les Bahutu fauchés en 1972. Cela ne disculpe en rien ceux des Hutu qui ont trucidé leurs voisins tutsi, en 1972 et durant la période trouble après 1993. La décence oblige à la clarté sur chaque vie fauchée, aujourd'hui comme hier, et à s'incliner devant la douleur de chacun, sans toutes fois vouloir tout mélanger. Les ratés des discussions et des conclusions porteuses d'espoir et d'avenir devant le ou les médiateurs d'Arusha fut un gros couac pour les Burundais. Ceux qui aujourd'hui se font forts à corps et à cri dudit accord n'ont probablement pas pipé mot quand celui-ci a été vidé de sa substance la nuit du 27 au 28 août précédent sa signature (quelqu'un a parlé de hold-up!), autant que l'avaient été les discussions elles-mêmes sur la vraie épine dans le pied burundais, à savoir l'obligation d'avoir une lecture commune de la question dite ethnique. L'article 3 dudit accord, portant sur la période coloniale, dit en substance : "Après l’indépendance, et tout au long des différents régimes, plusieurs phénomènes se sont constamment produits, qui ont donné lieu au conflit qui persiste jusqu’à ce jour : massacres délibérés, violence généralisée et exclusion. (2). Les avis divergent quand il s’agit d’interpréter ces phénomènes et l’influence qu’ils ont exercée sur la situation politique, économique et socioculturelle actuelle du Burundi ainsi que leur impact sur le conflit. (3). Néanmoins, sans préjudice des résultats des travaux de la Commission d’enquête judiciaire internationale et de la Commission nationale pour la vérité et la réconciliation, qui doivent être établies en application du Chapitre II du présent Protocole, afin de faire la lumière sur les phénomènes en question, les Parties reconnaissent que des actes de génocide, des crimes de guerre et d’autres crimes contre l’humanité ont été perpétrés depuis l’indépendance contre les communautés ethniques hutu et tutsi au Burundi". Comme on le voit, le texte reste muet sur laquelle des "composantes ethniques" a subi quoi et par la responsabilité de qui, entre le "génocide", les "crimes de guerre", ou "crime contre l'humanité" (ivyaha vy'ihonyabuntu" : la tentative terminologique est probablement hasardeuse, en attendant de trouver mieux). Laissons aux juristes et autres spécialistes en tous ordres la clarification de ce langage de bois ! L'article 4, portant toujours sur la "Nature du conflit burundais" n'est pas plus avancé ni clair. "En ce qui concerne la nature du conflit burundais, les Parties reconnaissent qu’il s’agit : a. D’un conflit fondamentalement politique avec des dimensions ethniques extrêmement importantes; b. D’un conflit découlant d’une lutte de la classe politique pour accéder au pouvoir et/ou s’y maintenir." La question ethnique est donc restée non pas tabou comme tel à Arusha, puisque posée et débattue sommairement, mais un véritable goulot d'étrangement. Un certain esprit d'équilibrisme, du politiquement correct semble avoir régné sur les deux années de "négociation" entre d'un côté, certains Burundais comme frappés d'amnésie ou ne voulant pas porter les lourdes responsabilités (inteba ishushe) des crimes ignobles commis sur... presque 30 ans avec les pics qu'on connait, et de l'autre ceux se refusant à faire équivaloir les massacres de 1993 au génocide de 1972. Voilà pourquoi selon nombre d'observateurs, Arusha a accouché d'une grosse souris. Les conséquences se font toujours sentir de nos jours. Quoi qu'il en soit, une chose reste sûre : la CVR est plus ou moins une émanation d'Arusha. C'est déjà cela ! Le 22/12/2021, l'@rib News titrait sa Une, péremptoire, « L’Histoire en marche au Burundi : les massacres des Hutus de 1972 qualifiés de "génocide" ». En effet, la déclaration sanctionnant les travaux du Congrès du Parlement du Burundi tenu le 20 décembre 2021 au palais des congrès de Kigobe et rendue publique le même jour portait "Rapport d'étape de la CVR, exercice 2021". Ledit rapport souligne en substance que : « (1). Le Parlement réuni en Congrès le lundi 20 décembre 2021 au Palais de Kigobe adopte le contenu du rapport d’étape d’établissement de la vérité sur les violations massives des droits de l’homme commis au Burundi en 1972-1973 présenté par la Commission Vérité et réconciliation ; (2.) Le Parlement réuni en Congrès adopte solennellement le rapport de qualification présenté par la Commission Vérité et réconciliation en ce jour du 20 décembre 2021 ; (3). Le Parlement réuni en Congrès adopte la déclaration solennelle présentée par la CVR confirmant que les violations massives des droits de l’homme commises sur tout le territoire du Burundi en 1972-1973 à la lumière des enquêtes menées constituent un génocide contre les Bahutu du Burundi ». Et toc ! Quoi qu'il arrive par la suite, il y aura eu un avant et un après 20.12.2021 ! On est alors tenté de demander "And so what ! What next ? Le Burundi n'est pas une île ; il est logé aux mêmes enseignes que le reste du monde. Oyez seulement, bonnes gens. L'écosystème définitionnel des génocides dans les manuels d'Histoire, publications académiques ou autres monographies éparses les plus audacieuses, y compris de menues recherches volontaristes, toutes teintées idéologiquement, procède par classement. (1) D'abord les génocides, internationalement reconnus (très peu) : celui des Arméniens commis par l’Empire Ottoman, des Juifs et Tsiganes commis par les Nazis en Allemagne, en Pologne et en France, des Tutsis au Rwanda ; le massacre de 7 000 à 8 000 musulmans de Bosnie-et-Herzégovine commis par les Serbes en 1995 à Srebrenica qualifié de génocide le 2 août 2001 par le TPIY. C'est à peu près tout. (2) Ensuite les "massacres de type génocidaire": Les Chinois par les Mongols au 13e s. et par les Japonais en 1940-45, les Acadiens par les Anglais en 1755, en Tasmanie dit « génocide le plus parfait de l’histoire », les Beotuks à Terre-Neuve par les Anglais, les Aborigènes d' Australie, les enfants des aborigènes au Canada (1922- 1984), les Indiens Delaware en 1763, les populations autochtones des États-Unis, les Afrikaanders et leurs alliés noirs en Afrique du Sud durant la guerre des Boers. (3) Enfin Les massacres dont le caractère génocidaire est dit discuté (entendre qui ne rencontre pas l'assentiment de tous les puissants de ce monde) : la traite des Noirs durant cinq siècles (débutée sous la bénédiction du Pape Nicolas V avec sa bulle de 1522) ; les massacres des Kurdes par Saddam Hussein (1960 et 2003) ; l’extermination des Hereros (Namibie) par les Allemands en 1904 ; les massacres du Kampuchéa démocratique (Cambodge 1975 et 1979 par Pol Pot et les Khmers rouges) ; les massacres des populations noires du Darfour (Soudan) ; le massacre et déportation des Azéris au Haut-Karabagh par le gouvernement Arménien ; les massacres des Congolais et des Hutu rwandais et burundais par le FPR et ses alliés durant ce qui est appelé "Première guerre et Deuxième guerre du Congo (1996-1998) ; les massacres perpétrés au Tibet depuis 1950 par les autorités chinoises ; le massacre du Guatemala par l’armée nationale guatémaltèque ; la famine ukrainienne ou Holodomor par Joseph Staline ; Grand bond en avant (1959-1962) population affamées par Mao en Chine... La liste est sûrement loin d'être exhaustive. Le Burundi ? Nulle part ! Sous cette lunette, il serait intéressant qu'une recherche minutieuse inventorie les documents de recherche académiques, les documents officiels des Etats et des instances de ce qu'on appelle la communauté internationale au sommet de laquelle les instances onusiennes ou affiliées accordant une moindre place, fût-elle sous réserves de mille et un doute, à ce génocide, jusqu'ici qualifié / nommé "massacrés de Hutu" et que les Burundais ont souvent estampillé du nom de "évènements" ! Il faudra inviter à la rescousse René Lemarchand, Boniface Kiraranganya et quelques rares autres auteurs qui ont osé parler de "génocide". «Tous les Barundi, Tutsi, Hutu, Twa, chacun à leur façon (mais rarement en commun, encore moins en communion) portent le deuil des proches et des amis qui ont été victimes des incessantes tueries qui ont ravagé le pays avant même son accès à l’indépendance » (Lemarchand 2004 :431). Pourtant il faudra tout autant, un jour, aux Burundais, beaucoup de courage pour oser regarder la vérité en face. La vérité libère, a asséné un certain sage, les temps jadis, quelqu'un de tradition essénienne sans doute ! Le Burundi ne fait donc pas exception au titre des génocides tus, niés. "Exterminez toutes ces brutes"[1], semble être le mot d'ordre que se sont donné les "exterminators" du monde entier et de tout temps, y compris les bourreaux burundais de 1972/73. Reprenant la phrase prononcée par Kurtz dans le roman de Joseph Conrad, Raoul Peck a raison ; sauf que les victimes ne sont pas justement des "brutes", mais bien l'opposé. Ensuite elles sont sommées de se taire. Des dizaines d'années. Voire à jamais ! La machine-Monde roule décidément à l'envers; l'harmonie fondamentale semble s'être rompue. Avec quoi la retrouverons-nous ? Des lois ? Des codes de lois ? "Civilisation, colonisation, extermination...", l'auteur de "Exterminez toutes ces brutes" dit que ces mots ont les accents de la "devise du crime". Le génocide en fait partie. Tous les génocides, tus ou avoués (reconnus). Celui contre les Bahutu du Burundi, aussi. Le plus jamais ça ne sera possible qu'à l'au prix de la vérité. "And what next"! Les attentes sont désormais arrimées sur l'identification, un jour tendant vers la parousie, des responsables de ce crime sans nom; ce qui serait suivi de sanctions, d'actes de réparation en faveur des victimes, afin de leur faire recouvrer un peu de dignité. La CVR a annoncé vouloir poursuivre son travail par d'autres fouilles des fosses communes, mais surtout se donne six mois pour en savoir davantage, éventuellement sur les auteurs, ou plutôt les exécutants. Avouons que la tâche s'annonce ardue pour mille et une raisons. Cinquante ans après les faits, de ceux qui les ont commis ou en ont été témoins, les survivants ne doivent pas se compter par légion. Les mémoires ont sûrement pris, pas une ride, mais plusieurs coups de gomme. La tâche ardue que doivent réussir les Burundais, tous et pas seulement les politiques, consiste à initier des équilibres incertains autour d'un travail de mémoire pour une réconciliation constructive et définitive. Soyons de bonne volonté et laissons les instances habilitées suivre leur cours. Mais en attendant vivons. En paix. Et qu'on arrête de reverser du sang sur d'autres fleuves de sang. Un certain Peter Abrahams, a écrit "Rouge est le sang des Noirs". C'était en contexte d'apartheid ! Rouge est aussi le sang des Burundais, Tutsi, Hutu et Twa. Sang sacré ; et malheur à quiconque verse le sang de son frère/sa sœur ! Une assertion devrait en interroger plus d'un : Ntibazonkiza (1993 :126) écrit: « […] l’âpreté du tribalisme a été dès le début particulièrement nette dans les milieux dirigeants ou ceux qui s’en approchaient, y compris chez les étudiants. En quelque sorte, on peut affirmer que le racisme tel que pratiqué au Burundi dans le cadre moderne actuel n’est pas né des collines, il est venu de la capitale, Bujumbura, puis a essaimé dans les grandes villes, avant d’atteindre le peuple des collines ». Retenons, en écho à l'antienne d'entame de ces lignes, que "Les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un respect profond du passé." (E. Renan) L'on peut ajouter, un respect profond de la vie et de l'autre! JP Mbona, Gitega. [1] "Exterminez toutes ces brutes", mini-série documentaire sur la colonisation et les génocides, réalisée et racontée par le réalisateur d'origine haïtienne Raoul Peck. Diffusée d'abord aux États-Unis la première fois le 7 avril 2021, puis dès le 1 février 2022 en Europe sur ARTE. A voir, absolument ! (Pub gratuite, certes, mais c'est pour une bonne cause !)
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