Non-lieu sur l’attentat contre Habyarimana : Soulagement, Déception et scepticisme
Analyses

@rib News25/02/2022 - Source Agence Anadolu

France/Attentat contre le Président Habyarimana : Une enquête judiciaire à l’épreuve de la realpolitik (Analyse)*

- Annoncée après plus de deux décennies d’enquête émaillée de moments de méfiance, de divorce et enfin de rapprochement entre Kigali et Paris, la clôture de l'enquête par la justice française fait réagir de nombreux observateurs.

La Cour de cassation de Paris a décidé, le 15 février 2022, de clore l'enquête dans le dossier de l'attentat meurtrier perpétré en 1994 contre l’avion de l’ancien Président rwandais Juvénal Habyarimana, « faute de preuves ».

Les spécialistes estiment que l’attentat du 6 avril 1994, contre le Falcon 50 transportant le Président Habyarimana et son homologue burundais Cyprien Ntaryamira, abattu en phase d'atterrissage à Kigali par au moins un missile, est l’élément déclencheur du génocide des Tutsi.

La Cour a, donc, validé le non-lieu prononcé en 2018 par des juges d'instruction parisiens dans l'enquête sur cet attentat. En effet, une enquête judiciaire avait été ouverte en France, après une plainte de la famille d'un pilote français tué dans l'attentat. C’est alors en 2006, que les juges, en charge de l'enquête, recommandent des poursuites contre le Président rwandais, Paul Kagame, devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda pour sa participation présumée à l'attentat.

Annoncée après plus de deux décennies d’enquête émaillée par des moments de méfiance, de divorce et enfin de rapprochement entre Kigali et Paris, cette décision judiciaire de Paris, fait réagir de nombreux observateurs. Certains en arrivent à affirmer que c’est, en définitive, la realpolitik qui a pesé de tout son poids dans la balance judiciaire.

- Soulagement à Kigali

Du côté de Kigali, les autorités ne cachent pas leur soulagement. « Cette décision met fin à l'une des plus grandes manœuvres de dissimulation de l'histoire récente », a déclaré via son compte Twitter, Yolande Mokolo, porte-parole du gouvernement rwandais. « L'escroquerie massive de 24 ans du juge Bruguière sur l'accident d'avion du 6 avril 1994 est terminée », a-t-elle ajouté.

Selon Richard Gisagara, avocat au Barreau de Kigali, « la plus haute juridiction française vient ainsi de laver l’honneur de la justice souillée par les manipulations de l’enquête du juge français Jean Louis Bruguière ».

Bernard Maingain et Léon Lef Forster, deux avocats représentants Kigali sont aussi dits soulagés. Ils se sont félicités, dans un communiqué, « de la décision », espérant que « la lutte menée sur le front juridique ouvrira également la voie à la justice pour le million de victimes du génocide perpétré contre les Tutsi ».

« La défense a pu démontrer les multiples manipulations et falsifications perpétrées par une coalition d'intérêts différents motivés par des considérations étrangères à la recherche de la vérité judiciaire. Cette manipulation a complètement échoué », ont-ils déclaré.

- Déception et scepticisme

Au rang des déçus de la décision se trouvent, notamment, les parties civiles et leurs avocats. S’adressant aux médias étrangers, les avocats des parties civiles n’ont pas caché leur déception. « Cet événement majeur à l'origine du génocide reste sans explication réelle, sans auteur connu, au bout d’un processus d’instruction opaque et sans qu’on ait eu un procès », a déclaré Maître Philippe Meilhac.

Cette décision ne manque pas aussi de laisser certains sceptiques. Selon le politologue et constitutionnaliste belge Filip Reyntjens, « le non-lieu n'affirme pas l'innocence du Front patriotique rwandais, FPR, (ancien mouvement rebelle devenu parti présidentiel), mais signifie simplement qu'il n'y aura pas de procès ». « Ainsi, judiciairement il s'agit d'un crime sans auteurs. Cependant, la cour de l'histoire continuera à faire son travail », a-t-il déclaré sur Twitter.

-"Les pays n'ont pas d'amis"

« C’est la realpolitik qui prend le dessus, car comme on dit, les pays n’ont pas d’amis, ils ont des intérêts. Ainsi dans cette affaire, la France a mis en avant les relations avec les autorités actuelles du Rwanda », a, pour sa part, déclaré à l'Agence Anadolu Philémon Niyonkuru, expert en relations internationales et professeur à l’Université du lac Tanganyika à Bujumbura.

Pour lui, le succès politico-économique du Président rwandais, Paul Kagame, y est aussi pour beaucoup. « Cette affaire était condamnée à s’éteindre d’elle-même en
raison du succès politique et économique de Paul Kagame ; il a tiré le Rwanda du néant pour en faire un géant de l’Afrique de l’Est en moins de deux décennies », ajoute le professeur Philémon Niyonkuru.

Pour le politologue et professeur à l’Université du Burundi, Venant Niyubahwe, « le rapprochement en cours entre Paris et Kigali ne pouvait conduire qu’à cela ; le non-lieu dans ce dossier ».

De son côté, Anaclet Haringanji, militant du parti Congrès national pour la liberté (principal parti d’opposition au Burundi) estime que « lors d’un conflit pareil, le vainqueur est toujours celui qui est le plus fort ; quel que soit le bien-fondé des arguments de son adversaire ».

« C’est comme au Burundi où la communauté internationale voit aujourd’hui d’un bon œil le pouvoir alors qu’il était sous sanctions hier. Pourtant, les droits de l’homme restent bafoués », a-t-il déclaré à l'Agence Anadolu.

La France et le Rwanda ont amorcé la décrispation de leurs relations en 2010 avec la visite de Nicolas Sarkozy à Kigali. A cette époque, le Président français a reconnu « de graves erreurs d’appréciation », « des erreurs politiques » et « une forme d’aveuglement » de la France durant le génocide.