Burundi : l'échappée solitaire de Pierre Nkurunziza
Politique

L’Express, 29/06/2010

Par Vincent Hugeux

Les scrutins présidentiels subsahariens se suivent et ne se ressemblent pas. Le 27 juin, la Guinée-Conakry avait pour voter revêtu son costume du dimanche. Le lendemain, le Burundi s'est rendu aux urnes comme un lundi: en traînant les pieds. Seul candidat en lice, le président sortant est assuré de sa réélection, acquise dans un climat pesant.

Logique : les 3,5 millions d'inscrits avaient le choix entre Pierre Nkurunziza et Nkurunziza Pierre. Autant dire que la reconduction du sortant, seul candidat en lice depuis le retrait de sa demi-douzaine de rivaux, résolus à dénoncer ainsi les "fraudes" qui auraient entaché les élections communales du 24 mai, ne fait pas l'ombre d'un doute.

En revanche, de lourds nuages d'orage assombrissent l'horizon de ce petit pays enclavé d'Afrique centrale, le troisième le plus démuni de la planète selon la Banque mondiale, encore traumatisé par la guerre interne qui, entre 1993 et 2006, a coûté la vie à 300 000 Burundais, civils pour la plupart.

Cela posé, le péril a changé de nature : treize années durant, le conflit, déclenché par l'assassinat du président élu Melchior Ndadaye, a mis aux prises les milices de la majorité hutu (85% de la population) et les combattants de la minorité tutsi (14%). Si le spectre de la violence et des massacres interethniques flotte depuis 1962, date de l'indépendance, sur les collines de l'ancienne colonie belge, la lutte voit cette fois s'affronter les forces politiques issues des mouvements de guérilla de la seule nébuleuse hutu.

Imputées par le pouvoir aux activistes de l'opposition, une vague d'attaques à la grenade, perpétrée à l'approche du scrutin, a laissé dans son sillage huit morts et une soixantaine de blessés. En riposte, les autorités ont intensifié la campagne d'arrestations de militants du Mouvement pour la solidarité et le développement (MSD) et des Forces nationales de libération (FNL), dont le chef, Agathon Rwansa, rentré d'exil en 2008, a pris le maquis à la veille de l'échéance présidentielle.

La trajectoire de Nkurunziza, assuré de décrocher un nouveau quinquennat, reflète les tourments d'une nation fragile aux 8,5 millions d'âmes. Natif de la province de Ngozi (nord), Pierre a sept ans lorsque son père Eustache, député, périt lors d'un pogrom dirigé contre l'élite hutu. Plus tard, les restrictions dictées par la minorité tutsi au pouvoir lui interdisent d'embrasser une carrière d'officier ou d'entreprendre des études d'économie. Par défaut, l'orphelin devient professeur d'éducation physique en 1991, quatre ans avant de s'engager dans les rangs de la rébellion armée.

Depuis son accession en 2005 à la magistrature suprême, corollaire de l'accord de paix conclu cinq ans plus tôt, ce quadra au crâne rasé et à la stature d'athlète cultive un profil d'"homme de terrain" à l'écoute du petit peuple, guidé par le goût de l'effort et la foi des convertis. Il sillonne volontiers à vélo les environs de la capitale Bujumbura et s'adonne au culte du ballon rond à la tête de son équipe, baptisée le Haleluya Football Club.

A en croire ses proches, l'ancien chef rebelle doit sa rencontre avec Dieu à cet éclat d'obus qui lui laboura la jambe, le condamnant à errer quatre mois durant dans les marécages. Aujourd'hui, Nkurunziza, qui se considère comme un miraculé, orchestre chaque année quatre ou cinq "croisades religieuses", flanqué de sa chorale. On le voit chanter, danser, prêcher, voire laver les pieds des miséreux "à l'exemple de Jésus"...

Reste qu'un diplomate, reconnaît à ce leader évangélique plus populiste que populaire deux "coups de maître": la mise en chantier de nombreuses écoles et la gratuité des soins pour les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans.

Une certitude: Pierre Nkurunziza aura grand besoin de la bienveillance céleste pour surmonter sa victoire à la Pyrrhus.