Le rôle de la Belgique dans le meurtre de Rwagasore pose toujours question |
Prince Louis Rwagasore | |
RTBF, 08 août 2022 Meurtre de Louis Rwagasore au Burundi : 60 ans plus tard, quel a été le rôle de la Belgique ? Qui a tué le Prince Rwagasore ? Au début des années 60, le Burundi est sous la Tutelle de la Belgique, qui jouit d'un mandat des Nations-Unies. Le pays, toutefois, chemine vers l’indépendance.Un homme va être élu à la tête du pays lors d’élections législatives. Louis Rwagasore remporte les élections de manière écrasante. Dix jours plus tard, le tout jeune Premier ministre va être brutalement assassiné. Aujourd’hui, le rôle de la Belgique dans ce meurtre pose question, après la parution d'un ouvrage signé Ludo De Witte, "Meurtre au Burundi. La Belgique et l'assassinat de Rwagasore".
13 octobre 1961. Le restaurant Tanganyika est quelques pas de la plage et du lac. La soirée avance et les clients mangent leur dîner, sur la terrasse, attablés autour des nappes blanches. Un break Ford, siglé aux couleurs du PDC - le Parti Démocrate Chrétien du Burundi, tourne autour du restaurant depuis un moment. A l'intérieur de la voiture se trouvent 4 hommes. Deux d'entre eux, Antoine Nahimana et Jean Kageorgis sortent de la voiture. Et s’installent derrière un buisson. De là, ils voient. Le Prince Rwagasore est installé en bout de table accompagné de quelques ministres de son nouveau gouvernement. Louis Rwagasore est le première personne de l’Histoire à être élu premier ministre du Burundi. Il vient de le dire à la télévision belge. Il mènera son pays jusqu’à l’indépendance, "d'ici 7 ou 8 mois", dit-il avec confiance. Derrière le buisson, Antoine Nahimana prononce ces mots : “Jean, le moment est venu, tire sur lui, nous sommes tous ensemble”. Jean Kageorgis tire. La balle pénètre, nette, dans le cou de la victime, à la hauteur du nœud de cravate. L’homme s’effondre sur la table, ses épaules tombent vers la nappe blanche, les pieds encore croisés sous sa chaise. Des tâches de sang brunes apparaissent dans le dos de sa veste. Le Prince Louis Rwagasore est mort. De la tutelle à l'indépendance de 1962 Pour comprendre pourquoi la dépouille du prince Rwagasore gît sur cette table du restaurant Tanganyicka, il faut revenir sur l’histoire longue du Burundi, et bien comprendre la situation de 1961. Après la défaite allemande lors de la Première Guerre mondiale, la Belgique a reçu un mandat de la Société des Nations, sur les Territoires du Ruanda-Urundi. En 1946, le Rwanda et le Burundi passent sous la Tutelle de la Belgique, qui doit mener le pays vers l'autonomie puis l'indépendance. En 1961, au Burundi, l'administration belge est donc présente. Le pays est principalement agricole. Il y a peu de villes, de concentrations d’habitations. Le pouvoir est organisé autour du Mwami, le roi, et de chefferies qui organisent le territoire. La situation est assez différente de celle du Rwanda, le royaume frère. Elle est aussi différente de celle du Congo qui vient d’obtenir son indépendance dans la douleur. Au Congo, en Algérie, dans les pays anglophones d’Afrique, les mouvements décoloniaux sont enclenchés. Il est donc temps d’organiser la suite. Les partis politiques s'organisent. Deux d'entre eux vont jouer un rôle de premier plan : le PDC (Parti Démocrate chrétien) et l'UPRONA (Union pour le Progrès National). Le raz-de-marée électoral de Louis Rwagasore Le PDC est soutenu par la Tutelle belge qui imagine bien les démocrates chrétiens prendre le pouvoir et négocier l’indépendance. L’Uprona est mené par le Prince Rwagasore, fils du Mwami. Indépendantiste, nationaliste, il a étudié en Belgique. Les Belges voient arriver la popularité de ce prince, qui jouit de l’aura du Mwami au sein de la population, d’un mauvais œil. Il est placé en résidence surveillée, ce qui l’empêche de remporter les premières élections communales. Mais le 18 septembre 1961, lors des législatives, c’est un raz de marée. Louis Rwagasore est élu haut la main. Douze jours plus tard, une balle traverse le corps de Louis Rwagasore à la terrasse du restaurant Tanganiyka. L’amateurisme de cet attentat est étonnant. Après le tir, Jean Kageorgis et Antoine Nahimana remontent dans le break ford qui tombe en panne d’essence un peu plus loin. Une voiture arrive, Kageorgis l’arrête pour demander qu’on le ramène à Bujumbura. A l’intérieur, l’homme qui conduit cette voiture…. est le Mwami Mwambutsa. Le Roi. Le père de Louis Rwagasore, que Kageorgis vient de tuer. Le corps du Premier Ministre est emmené à l’hôpital Rhodain de Bujumbura. Quelques heures plus tard, Jean-Paul Harroy, numéro 1 de la Tutelle se rend à l’hôpital… où la dépouille se trouve. Dans un couloir de l'hôpital, il croise la mère de Louis Rwagasore qui le regarde, et le gifle. Un procès a eu lieu. Jean Kageorgis, commerçant grec proche du PDC a été exécuté le 30 juin, 1962, à la veille de l'Indépendance. D'autres membres du Parti Démocrate Chrétien ont été condamnés, pour ce qui, depuis 60 ans, demeure un meurtre politique intra-burundais. Cette version de l'Histoire, est aujourd'hui contre-dite par Ludi De Witte dans son livre "Meurtre au Burundi. La Belgique et l'assassinat de Rwagasore". "J'ai découvert que quelques jours après la victoire éléctorale écrasante de Louis Rwagasore aux élections au Burundi, une victoire complètement inattendue pour l'administration coloniale, il y a eu une réunion du cadre colonial, à Gitega, la résidence de la Tutelle", explique Ludo de Witte. "Et là bas, on a décidé d'en finir avec Rwagasore, d'organiser un plan pour l'éliminer. C'est un message qu'on a donc transmis aux adversaires politiques de Rwagasore." Ce message n'est pas écrit, il n'y a pas de document officiel qui en atteste. Mais Ludo de Witte a rassemblé une série de preuves, trouvées dans les archives belges et britanniques. "Il y a différents documents qui étaient cette thèse. IL y a eu une enquête réalisée à Bruxelles sur base de l'interrogatoire de six fonctionnaires coloniaux, qui expliquent comment s'est passée cette réunion. Il y a aussi des documents qu'on a trouvés dans les archives diplomatiques africaines, ici, à Bruxelles. Notamment un telex extrêmement important de la Sûreté Coloniale qui explique que juste après cette réunion, il y a une panique qui s'est emparée des femmes des fonctionnaires coloniaux qui voulaient alerter le Ministre des Affaires etrangères à Bruxelles sur le fait qu'on ne pouvait continuer la lutte contre Rwagasore (...) avec des moyens non-justifiés . Des moyens qui pourraient provoquer des révoltes à l'intérieur du Burundi." Ludi De Witte a également pu consulter des notes et des confidences du Procureur du Roi, à Bruxelles, Raymond Charles et des notes envoyées par l'ambassadeur britannique au Foreign Office qui le confortent dans l'idée que l'opposition politique à Rwagasore a été incitée à assassiner le prince nationaliste. Par Hélène Maquet
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