Tournée africaine du Secrétaire d’Etat américain Antony Blinken |
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RTBF, 11 août 2022 Tournée africaine d’Antony Blinken : le grand retour des Etats-Unis en Afrique subsaharienne ? Cette semaine, le gouvernement des Etats-Unis a présenté sa nouvelle stratégie pour l’Afrique subsaharienne. Objectif annoncé : " contrer les activités nuisibles de la République populaire de Chine, de la Russie et d’autres acteurs étrangers " sur le continent africain. Le document souligne également l’importance démographique croissante de l’Afrique, son poids à l’ONU tout comme ses immenses ressources naturelles et opportunités. Une stratégie qui annonce le grand retour des Etats-Unis en Afrique ?
Contrer Moscou et Pékin Durant le mandat de Donald Trump, l’Afrique a été reléguée au second plan des priorités de la politique étrangère américaine, permettant ainsi à Moscou et Pékin d’occuper le terrain. Selon le nouveau secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, ce désintérêt aurait permis à la Chine de " défier l’ordre international fondé sur des règles, faire avancer ses stricts intérêts commerciaux et géopolitiques […] et affaiblir les relations des États-Unis avec les peuples et les gouvernements africains ". Le département d’Etat américain se dit également préoccupé par le rôle joué par les mercenaires russes du Groupe Wagner dans plusieurs pays instables comme la Centrafrique, le Soudan, le Mali et le Mozambique. L’influence de Moscou en Afrique passe aussi par le canal diplomatique, comme l’a illustré la tournée africaine réalisée fin juillet par le ministre russe des Affaires étrangères, Sergeï Lavrov, en Ouganda, en Égypte, en Éthiopie et au Congo-Brazzaville. Cette visite, réalisée sur fond de guerre en Ukraine, avait pour objectif de rassurer ces pays dépendants des céréales ukrainiennes. Et de s’assurer de leur " neutralité " dans le conflit. Tournée africaine pour Antony Blinken Face à cette concurrence croissante de la Russie et de la Chine, Antony Blinken a donc lui aussi entamé une tournée africaine cette semaine pour tenter de reprendre pied sur le continent. Il s’est d’abord rendu en Afrique du Sud, le principal partenaire commercial des États-Unis en Afrique, où il a surtout été question de la guerre en Ukraine et du conflit israélo-palestinien. Deux dossiers sur lesquels américains et sud-africains s’opposent. Pretoria refusant toujours de condamner l’invasion russe en Ukraine et soulignant régulièrement l’hypocrisie de Washington en matière de défense des droits de l’homme, notamment, en Palestine. À l’occasion de la visite d’Antony Blinken, la ministre sud-africaine des Relations internationales, Naledi Pandor, a ainsi rappelé à son homologue que " nous devrions être autant alarmés par le sort des Palestiniens que par celui des Ukrainiens. " Revoir les relations avec Kigali ? Mais c’est surtout à Kinshasa et à Kigali que la visite du secrétaire d’Etat américain était la plus attendue. Depuis plus de 25 ans, Washington soutien à bout de bras Paul Kagame et son régime à Kigali. Un régime décrié par de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme. A la veille de la visite d’Antony Blinken, Human Rights Watch a ainsi rappelé que " le parti au pouvoir au Rwanda, le Front patriotique rwandais (FPR), mène depuis des années une campagne brutale contre les critiques réelles ou supposées du gouvernement. […] Des commentateurs, journalistes, activistes de l’opposition ainsi que d’autres personnes qui prennent position sur des questions d’actualité et critiquent les politiques publiques menées au Rwanda ont été victimes de disparitions forcées, et certains sont morts dans des circonstances suspectes. […] Dans bon nombre de ces cas, les preuves révèlent l’implication des forces de sécurité de l’État. Cela a instauré un climat de peur au sein de la population ainsi qu’une impunité généralisée. " Des critiques partagées par Robert Menendez, le président du comité des affaires étrangères du Sénat américain, qui en appelle aujourd’hui à reconsidérer l’aide américaine au Rwanda. Une aide évaluée à 147 millions de dollars en 2021 et qui fait des Etats-Unis le premier bailleur de fond du pays des mille collines. La piste des sanctions financières n’a pas été officiellement évoquée lors de la rencontre entre Antony Blinken et le président Kagame à Kigali. Mais le secrétaire d’Etat a malgré tout rappelé à l’homme fort du Rwanda " que les gens dans tous les pays devraient pouvoir exprimer leurs opinions sans peur d’intimidation, d’emprisonnement, de violence ou de toute autre forme de répression ". Il a notamment évoqué le cas de Paul Rusesabagina. Le héros du film " Hôtel Rwanda " dispose d’un statut de résident permanent aux États-Unis, purge une peine de 25 ans de prison pour " terrorisme " au terme d’une arrestation et d’un procès jugés irréguliers par ses défenseurs. Un rôle à jouer pour pacifier l’est de la RDC Mais la visite d’Antony Blinken avait encore une autre raison d’être. Le Rwanda joue un rôle déstabilisateur à l’est de la République démocratique du Congo depuis 25 ans. Son implication auprès des rebelles du M23, qui occupent actuellement plusieurs localités du Nord-Kivu, vient d’être mise en évidence dans un récent rapport de l’ONU. Ses experts ont souligné que Kigali " a fourni des renforts de troupes au M23 pour des opérations spécifiques, en particulier lorsque celles-ci visaient à s’emparer de villes et de zones stratégiques " confirmant ainsi la thèse avancée par Kinshasa depuis des mois et systématiquement niée par Kigali. Attendu sur la question lors de sa visite en République démocratique du Congo, mardi et mercredi, Antony Blinken a renvoyé les parties dos à dos. A Kinshasa, il s’est dit " très préoccupés par les informations crédibles selon lesquelles le Rwanda a soutenu le M23 ", ajoutant que " tous les pays (devaient) respecter l’intégrité territoriale de leurs voisins ". Un message que le secrétaire d’Etat a également répété à Paul Kagame lors de la rencontre entre les deux hommes à Kigali ce jeudi en précisant qu’il " existe des rapports crédibles sur un soutien aux groupes armés par toutes les parties, y compris les FDLR (Forces démocratiques de Libération du Rwanda, rébellion née en 2000 au Congo, issue des forces armées hutu responsables du génocide rwandais en 1994, ndlr) par les forces congolaises et le M23 par les forces rwandaises […] Notre position est claire : le soutien à tout groupe armé doit cesser. ". Déception " Ce message ne constitue pas réellement une avancée, explique Jean-Jacques Wondo, diplômé de l’Ecole royale militaire et analyste des questions sécuritaires en Afrique centrale. Le secrétaire d’Etat américain s’est contenté de mettre les deux parties dos à dos, en reprenant l’argument du soutien congolais au FDLR avancé par le Rwanda pour justifier ses interventions armées au Congo. Ce faisant, Antony Blinken est allé moins loin que Barack Obama qui avait suspendu l’aide militaire au Rwanda en 2012 lorsque le M23 avait lancé sa première offensive au Congo ". L’intervention de Barack Obama avait eu pour conséquence de mettre un terme à la rébellion. Au Congo, beaucoup attendaient qu’Antony Blinken exerce une pression identique sur Kigali pour mettre un terme à la nouvelle guerre du M23 qui sévit depuis plusieurs mois. " La déclaration du secrétaire d’Etat américain à Kigali est purement diplomatique, poursuit Jean-Jacques Wondo. Les gens attendaient qu’il condamne ouvertement le Rwanda, mais il ne l’a pas fait. En adoptant cette position feutrée, les Etats-Unis laissent les coudées franches à Kigali ce qui risque de ne pas faire avancer les choses sur le terrain. Sans soutien américain, le Rwanda serait certainement affaibli ". Rencontre avec le Docteur Mukwege Notons toutefois qu’entre ses visites à Kinshasa et à Kigali, le secrétaire d’Etat américain a également rencontré le Docteur Mukwege. Le Prix Nobel de la paix 2018 dénonce depuis des années l’implication du Rwanda dans les crimes commis à l’encontre de la population civile congolaise à l’est du pays. " Cette visite est malgré tout un message indirect envoyé à Kigali, précise Jean-Jacques Wondo. Le Docteur Mukwege plaide depuis des années pour la mise en place d’un tribunal international capable de juger les responsables des exactions commises à l’encontre de la population civile à l’est du Congo. Cette rencontre entre Blinken et Mukwege est en soi une bonne chose. Mais ce n’est certainement pas suffisant comme pression sur le Rwanda ". Un sommet américano-africain est prévu le 13 décembre à Washington. Il devrait rassembler plusieurs chefs d’Etat du continent dont les présidents rwandais et congolais. Une nouvelle occasion pour la diplomatie américaine de jouer un rôle dans la pacification de l’Afrique centrale en proie à la guerre depuis 25 ans. Mais rien ne dit que cela fasse partie d’objectifs de la nouvelle stratégie de Washington pour reprendre pied en Afrique. Par Benoît Feyt
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