Burundi : Le dilemme des enfants de la rue (Reportage)
Société

@rib News23/08/2022 - Source Agence Anadolu

- Plus de 7 mille enfants de la rue vivent de la mendicité au Burundi. Malgré la décision du gouvernement de les chasser, ils sont revenus au galop et errent toujours dans les rues de Bujumbura. Reportage.

« Où voulez-vous qu’on aille ? Moi, mon père n’est plus, et ma mère s’est remariée dans une autre famille. Et depuis lors, je suis descendu à Bujumbura, et je n’ai pas eu du travail. Et pour survivre, j’ai commencé à mendier. Je n’ai pas où aller », confie Bizoza, un jeune enfant de la rue croisé non loin de l’église catholique Saint-Michel, en commune Mukaza, en plein centre de Bujumbura.

Après avoir été arrêté lors des rafles des mendiants et conduit dans sa province natale au nord du pays, il est de retour à Bujumbura.

« Pour moi, c’est impossible de rester là-bas. Car, pour survivre, on doit prendre la houe et cultiver la terre. Et moi, je n’ai jamais exercé ce métier. Et voilà, je suis revenu mendier.

Au moins ici, une personne peut te laisser 1000 BIF, 2000 BIF voire 4000 BIF » (un dollar équivaut à 2 076 Francs burundais), nous confie-t-il.

Son cas n’est pas isolé. Thimothée, 17 ans, avait, lui aussi, été arrêté et reconduit à l’intérieur du pays.

Aujourd’hui, il surveille les policiers pour ne pas se retrouver entre leurs mains : « En fait, d’habitude, on se plantait devant une banque, une microfinance, à l’entrée des marchés, mais c’était très facile pour les policiers de nous repérer parce qu’on opérait en groupes. Aujourd’hui, on travaille en solo ».

Orphelin, il dit n’avoir aucun autre moyen de survivre : « Après la mort de mes parents, mes oncles ont vendu nos biens. Quand j’ai tenté de porter plainte, j’ai subi des menaces de mort.

Et j’ai fui ma région vers Bujumbura. Je ne pouvais plus continuer de vivre là-bas ».

Il reconnaît que la mendicité est risquée. « Il y a des risques mais on n'a pas vraiment le choix.

Si je parviens à avoir une autre occupation, ça me réjouirait », avoue-t-il, notant que dans la rue, ils sont exposés, entre autres, aux violences physiques et à la consommation des drogues.

- Le handicap physique à la base

Parmi les enfants de la rue, certains vivent avec un handicap physique. Ce qui attire souvent la compassion des passants. « Comment puis-je vivre sans mendier ? Comment pourrai-je travailler dans cet état-là ? Je vis grâce aux esprits charitables », confie Edson, un enfant de la rue, croisé sur l'avenue de la Mission. Il n’a que 13 ans.

Sur cette artère bordée par de grandes boutiques des Indiens et d’autres Asiatiques, c’est devant un magasin de prêt-à-porter que cet enfant manchot s’installe. « Je n’ai pas de famille qui pourrait me prendre en charge », avoue-t-il. Et pour arriver au centre-ville, c’est son grand frère de 16 ans, lui aussi enfant de la rue, qui le transporte sur son dos.

Avec les récentes rafles de la police, ces enfants de la rue sont très méfiants à l'égard des journalistes. Tout en guettant le moindre mouvement des agents de la police dans les environs, il finit par accepter de se confier, racontant qu’il est né avec cet handicap. Et par malchance, ses parents sont morts.

« Comme nous étions obligés de subvenir à nos propres besoins, nous n’avons pas eu d’autre choix que d’aller mendier », témoigne le grand-frère d’Edson. Grâce à la mendicité, il affirme qu’ils parviennent à avoir à manger et à se payer une petite chambre à Kinama, au nord de Bujumbura.

Evoquant les rafles de la police pour chasser les enfants de la rue, il estime qu’il est d’abord important de s’attaquer aux causes. « Ils menacent de nous renvoyer dans nos provinces d’origine. Mais, nous, nous sommes des natifs de Bujumbura. Où est-ce qu’ils vont nous envoyer ? Qu’ils nous trouvent d’autres moyens de survie. Là, ça pourrait aller », lance-t-il.

Il reconnaît, néanmoins, que "la mendicité n’est pas un métier honorable" et que les passants sont devenus de plus en plus réticents à mettre la main à la poche : « Avec cette menace du gouvernement de sanctionner ceux qui donnent, certaines personnes sont réticentes. Au lieu de te donner de l’argent, elles te proposent d’exercer certaines tâches comme la lessive, le nettoyage et elles te payent après ».

Il faut noter que cette opération de retrait des mendiants de la rue concerne tous les mendiants sans distinction, enfants ou adultes.

- S’attaquer aux causes d’abord

Pour les associations militant pour les droits de l’enfant, il devait y avoir des préalables pour la réussite de l’opération de retrait des enfants mendiants de la rue. « Il ne suffit pas seulement de les retirer de la rue, il faut aussi chercher à comprendre pourquoi sont-ils dans la rue », commente David Ninganza, président de l’ONG Solidarité de la Jeunesse chrétienne pour la paix et l’enfance (SOJPAE).

Approché par l'Agence Anadolu, il indique qu’il y a plusieurs causes qui poussent ces enfants dans la rue. « La pauvreté, l’abandon familial, la maltraitance de la famille élargie au cas des orphelins, spoliation des biens, etc », énumère-t-il, proposant la mise en place d’un comité de protection de l’enfant au niveau communal et une cartographie des familles d’accueil volontaire.

Pour sa part, Ferdinand Ntamahungiro, coordinateur national de la Fédération nationale des associations engagées dans le domaine de l’enfance au Burundi (FENADEB), il estime qu'il devait y avoir d’abord l’identification de ces gens pour connaître leurs besoins, leur origine et leur nombre exact, la conscientisation des familles d’accueils et la construction de centres d’accueils.

Interrogé par Anadolu, il rappelle que cette opération figure déjà dans un vaste projet du gouvernement échelonné sur cinq ans pour la réintégration et réinsertion sociale de tous les enfants en situation de rue et les adultes mendiants. Il ajoute que c’est aussi un travail qui exige des moyens.

« Pour réussir, ça doit être un travail collégial. Le gouvernement doit collaborer avec les organisations de défense des droits des enfants pour trouver une solution adéquate et efficace ».

Au cas contraire, il indique que la majorité de ces enfants vont encore se retrouver dans la rue comme c’est le cas aujourd’hui. « Le constat est que certains enfants sont déjà de retour dans la rue. D’autres envahissent les quartiers pour mendier », souligne-t-il.

"Et que pour que cette opération soit couronnée de succès, il faut d’abord s’attaquer aux causes", conclut-il.

De son côté, Dr Nicolas Hajayandi, sociologue, indique que plusieurs causes sont derrière ce phénomène. Il évoque, entre autres, les enfants orphelins à cause des crises politiques qui se sont abattues sur le pays ou à cause du VIH/Sida.

" Certains enfants ne trouvent pas des familles pour les prendre en charge après la mort de leurs parents. Et là, ils se retrouvent dans la rue en train de mendier", analyse-t-il.

Dr Hajayandi note qu'il y a aussi des enfants vivant dans la rue parce qu'ils y sont nés. " Ceux-là ne connaissent que la rue", regrette-t-il.

Pour réussir, ce sociologue conseille de sensibiliser tous les acteurs impliqués dans ce domaine.

Pour lui, chaque fois qu'on va utiliser la force pour le retrait de ces enfants, la procédure sera toujours vouée à l'échec. "Il faut réinsérer par le travail, par l'encadrement, par le contrôle et le suivi de la part des acteurs concernés", suggère-t-il.

La mendicité, une infraction pénale

Dans son article 525, le Code pénal burundais prévoit une servitude pénale de 14 jours à deux mois et d’une amende de 2,4 dollars américains à 4,8 dollars américains ou d’une de ces peines seulement à "toute personne qui exploite la charité comme mendiant de profession ou celle qui, par fainéantise, ivrognerie ou dérèglement de mœurs, vit en état habituel de mendicité".

L’exploitation de la mendicité est punie de trois à cinq ans de servitude pénale et d’une amende de 48 dollars américains à 241 dollars américains ou d’une de ces peines seulement.
La punition peut aller de cinq ans jusqu’à dix ans de prison et d’une amende de 48 dollars américains à 241 dollars américains lorsque l’exploitation est commise à l’égard de plusieurs personnes ou des gens particuliers comme, par exemple, les mineurs.

« L’exploitation de la mendicité d’autrui est punie d’une peine de servitude pénale de dix à quinze ans et d’une amende de 2,4 dollars américains à 241 dollars américains lorsqu’elle est commise en bande organisée », précise-t-on.

Pour rappel, le 7 juillet dernier, plus de 200 adultes mendiants et 90 enfants de la rue ont été arrêtés dans les rues de Bujumbura, après la fin de l’ultimatum du gouvernement, donné mi-juin, de quitter les lieux volontairement.

Au Burundi, une enquête effectuée par la Coordination des directions provinciales de développement social a révélé que plus de 7000 enfants de moins de 18 ans sont en situation de rue. La ville de Bujumbura, la capitale économique, compte, elle seule, 5000 enfants de la rue.