De Croatie à Bruxelles : l’histoire improbable des handballeurs burundais
Sports

Le Soir16/11/2023

Des championnats du monde de Croatie aux centres fermés de Belgique, l’histoire improbable des handballeurs burundais

Le 10 août dernier, l’équipe de U19 de Bahrein a remporté son match de poule 10 à 0, sans une goutte de sueur. Les handballeurs burundais qui devaient leur faire face dans le cadre des championnats du monde, en Croatie, ne se sont tout simplement jamais pointés. Pendant un mois en fait, dix d’entre eux ont disparu. Avant que huit d’entre eux ne réapparaissent, début septembre, à des milliers de kilomètres de là, pour demander l’asile. En Belgique.

Depuis le centre fermé de Vottem où il est désormais détenu, un des handballeurs l’affirme : ils n’avaient pas l’intention de partir. Pas avant cet incident, en tout cas, avec un des responsables burundais qui les a fait détaler et dont il demande – comme les deux autres athlètes contactés – de ne pas publier les détails. « Tout à coup, on ne s’est pas senti en sécurité. Et puis on a vu que la Croatie nous recherchait. » Ils ont rejoint la Belgique un peu en train, beaucoup à pied. Parce que le pays est réputé démocratique, connaisseur du Burundi, parce qu’on y parle français aussi.

Devant les agents de l’Office des étrangers, c’est une autre surprise : sur les huit athlètes, six assurent être majeurs et avoir été forcés par leur fédération de se déclarer mineurs avant la compétition (ils avaient officiellement tous 17 ans). « Ils ont changé nos noms et nos dates », raconte un des trois garçons enfermé à Vottem. « Mais dès que je suis arrivé ici, j’ai dit que j’avais 22 ans, je ne veux pas mentir. »

Bizarrement, et alors que certains avaient des documents mentionnant leur identité, les autorités s’en tiennent aux avis de recherche croates et les prennent en charge comme des mineurs, tout en… demandant des tests osseux qui finiront par révéler que la plupart sont majeurs* (surprise !). Si la question est importante, c’est parce qu’en vertu du règlement Dublin, un demandeur d’asile adulte doit suivre sa procédure dans le pays d’entrée du territoire européen – en l’occurrence, la Croatie –, un mineur en est exempté.

A Vottem, en attendant la Croatie

Convoqués individuellement le 7 novembre pour un rendez-vous, les sept handballeurs se voient signifier le résultat du test osseux (dont un est donc contesté) et reçoivent dans la foulée un ordre de quitter le territoire, doublé d’une décision de maintien (une détention administrative). La police les escorte directement vers les centres fermés de Vottem et Zaventem, où ils sont coincés depuis, dans l’attente d’un renvoi vers la Croatie. « On a un peu l’impression qu’on nous a tendu un piège. » Si l’Office des étrangers assure qu’il s’agit d’un scénario assez classique, la manœuvre fait bondir les avocats des Burundais qui ont déposé un recours en extrême urgence pour s’opposer à leur éloignement.

Les conseils devraient arguer que les conditions d’accueil en Croatie leur apparaissent problématiques et s’inquiéter surtout de l’éventualité d’un renvoi vers le Burundi. Un renvoi qui n’aurait à peu près aucune chance de se produire si le dossier était traité en Belgique. Car si les autorités belges comptent refourguer les handballeurs à la Croatie, c’est pour un principe de répartition de la charge de l’accueil qui les pousse à appliquer le règlement Dublin aussi rigoureusement que possible (à plus forte raison dans un contexte de saturation du système belge). Mais il n’y a pas de discussion sur la légitimité des demandes.

La Belgique réputée fine connaisseuse de la situation hyper délicate du Burundi accorde très largement sa protection depuis ces cinq dernières années. Selon Eurostat, 79 % des dossiers ont obtenu une réponse positive en 2022, ils étaient 94 % en 2021. Un arrêt rendu en début d’année par le Conseil du contentieux des étrangers, l’instance d’appel, relevait d’ailleurs que le simple fait de demander l’asile en Belgique était de nature « à rendre une personne suspecte de sympathies pour l’opposition, aux yeux des autorités burundaises. Il en ressort tout aussi clairement que le fait d’être suspect de sympathie pour l’opposition au régime en place à Bujumbura suffit à faire courir à l’intéressé un risque sérieux d’être persécuté du fait de ses opinions politiques ou des opinions politiques qui lui sont imputées ». C’est d’ailleurs en raison de cette expertise – et de la langue du pays qu’ils maîtrisent – que les joueurs ont choisi la Belgique (ce que l’Office des étrangers qualifie de « shopping de l’asile »). Le sort réservé par les autorités croates à ces dossiers est en revanche totalement inconnu dans la mesure où le pays n’a pris aucune décision sur un dossier burundais depuis dix ans. Quelques demandes ont été introduites depuis 2022 sans que l’issue soit encore connue.

Un retour ? « Une catastrophe », lâche le seul athlète du groupe reconnu comme mineur. Mais pas question d’en dire plus, cela dit, de crainte que le moindre mot mal pesé ne donne une indication qui lui porte préjudice. « Le pire, c’est que quand on a fait cette compétition au Rwanda, on ne savait même pas que c’était pour une qualification pour la Croatie. »

Par Lorraine Kihl

Journaliste au pôle Sports