Le Burundi vit des heures sombres de son histoire
Politique

L'Avenir, 29-10-2024

Disparitions, exécutions, menaces, spoliations : le Burundi à la dérive

Le Burundi fait face à une crise qui touche autant l'économie que les droits humains.les perspectives sont sombres à l'approche de deux scrutins électoraux majeurs.

Le Burundi, pays de l'Afrique de l'Est entre la RDC, le Rwanda et la Tanzanie, vit des heures sombres de son histoire en raison de la faiblesse de sa démocratie et du bafoument quotidien des droits humains. Le rapport 2024 du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies évoque un "rétrécissement de l'espace civique, une répression des opposants politiques, des professionnels des médias et des défenseurs des droits de l'homme." Le pays fait aussi face à de nombreux problèmes économiques comme les pénuries de carburant, d'eau et d'une série de produits de première nécessité.

Si le Congo (aujourd'hui "RDC") est bien inscrit dans la mémoire collective belge en tant qu'ancienne colonie, le Burundi et le Rwanda font aussi partie de cet héritage. Le Ruanda-Urundi était sous mandat belge et a été rattaché à la colonie mère en 1925. Son indépendance a été proclamée en 1962.

Le chaos semble généralisé à plusieurs échelons du pouvoir. D'autant plus que ce pouvoir n'est pas pleinement organisé par des représentants élus et est plutôt concentré entre les mains d'une série de "généraux". Selon la RPA (Radio Publique Africaine), le Burundi comptait une soixantaine de généraux "sans statuts officiels" (analyse faite en 2020). "De temps en temps, ces généraux reçoivent des enveloppes du président de la République. De l'argent qui n'est ni justifié ni marqué quelque part, mais donné juste selon le vouloir du président de la République."

"On fait appel à des gens manipulables"

"Le cercle des généraux, c'est l'équivalent du" deep state ", analyse Bob Rugurika, un journaliste burundais exilé en Belgique. Ce "deep state "sous-entend l'idée d'un État parallèle détenant le pouvoir décisionnel. "Les gens au pouvoir viennent du maquis et ne sont pas forcément éduqués. On fait ainsi appel à des gens sans formation qui sont facilement manipulables", complète le journaliste en comparant le Burundi au régime iranien.

Un des bras armés du régime, ce sont les Imbonerakure, la ligue des jeunes du parti au pouvoir. C'est à ce mouvement qu'on attribue de nombreuses disparitions et exécutions sommaires, comme le relève Amnesty dans son rapport 2023. Le rapporteur des Nations unies, Fortuné Gaetan Zongo, a récemment déclaré au sujet de cette milice qu'elle "assiste, complète les effectifs ou remplace les forces de sécurité dans des localités où elles ne sont pas présentes sur l'étendue du territoire national".

La presse menacée

Depuis 2020, plusieurs journalistes ont été emprisonnés de manière arbitraire. L'association Reporters sans frontières estime que "le cadre légal existant n'offre aucune protection concrète pour favoriser le libre exercice du journalisme." Le rapport des Nations Unies confirme le rétrécissement de la liberté d'expression des journalistes en évoquant "des signes répressifs vis-à-vis des professionnels des médias : menaces, arrestations, détentions arbitraires et tentatives d'enlèvement. Ce climat a conduit plusieurs journalistes à s'autocensurer par crainte de représailles." Au motif d'"atteinte à la sécurité intérieure du pays", deux journalistes ont d'ailleurs été emprisonnées et condamnées à de lourdes peines. Ce qui "illustre bien l'instrumentalisation de la loi et de la justice à des fins politiques."

Pas une semaine sans une disparition

Le pays semble en roue libre et indépendant de tout contrôle. Sur le site de SOS torture/Burundi, un avocat accuse la CNIDH (Commission Nationale Indépendante des Droits de l'Homme) de n'exister que "pour couvrir les crimes commis par l'État sous le contrôle du parti au pouvoir." Selon la ligue burundaise des droits de l'homme (ITEKA), "le phénomène récurrent de cadavres des personnes tuées par des gens non identifiés s'est généralisé dans tout le pays et le pouvoir de Gitega ne manifeste aucun intérêt d'y mettre fin par des enquêtes approfondies afin de poursuivre les auteurs en justice." Dans la Libre (9/9/24), un fonctionnaire et un enseignant témoignaient en soutenant que "pas une semaine ne passe à Bujumbura sans qu'il y ait une disparition de quelqu'un qui se serait montré critique. Le pouvoir n'a pas besoin de preuve. La rumeur tue et la délation est devenue un sport national parce que tout le monde a peur."

Spoliation : "les entrepreneurs n'osent plus investir"

Les cas de spoliations sont aussi nombreux. Un exemple criant, c'est celui du docteur Sahabo. Grâce au soutien d'investisseurs suisses, ce médecin avait créé un hôpital de référence à Bujumbura : le Kira Hospital – Swiss clinic. Depuis plus de deux ans, le docteur Sahabo est emprisonné et n'a pas encore été jugé. Sa clinique était un modèle et a attiré les convoitises du pouvoir en place. En avril 2022, le médecin a été arrêté par les services du renseignement sans raison objective. Depuis la majorité de l'actionnariat est passée entre les mains d'institutions publiques. Cette situation est aussi un signal pour les investisseurs. "La situation des droits de l'homme a eu un impact sur l'économie, assure Bob Rugurika. Les entrepreneurs n'osent plus investir puisqu'on risque de les exproprier."

En 2025, les Burundais se rendront aux urnes pour les élections législatives. En 2027, ce seront les présidentielles. Dans ce contexte où le pouvoir est cadenassé et les répressions multiples, l'avenir des Burundais semble bien terne sous l'égide du président Evariste Ndayishimiye.


Une mission du CNCD-11.11.11 au Burundi annulée en raison de la présence de journalistes belges

C'est une décision qui illustre parfaitement l'insécurité qui règne autour des journalistes et de leur travail au Burundi. Du 13 au 20 octobre, le CNCD-11.11.11 avait prévu d'emmener trois journalistes belges au Burundi afin de présenter des projets humanitaires soutenus pour la Coopération au développement belge et le CNCD. La délégation comprenait trois journalistes (L'Avenir, Le Vif et la RTBF) et deux membres du CNCD-11.11.11 dont son secrétaire général Arnaud Zacharie. L'avant-veille du départ, le Conseil National de la Communication du Burundi a informé le CNCD qu'il refusait l'accréditation des journalistes. Cette accréditation leur permettait d'exercer leur métier et de travailler au Burundi. Motif du refus : le CNCD avait mentionné qu'une association chargée de développement rural se portait garante de la présence des journalistes belges. Mais les rencontres de terrain prévues s'étendaient aussi à des ONG traitant des droits humains et de la démocratie. Et selon le Conseil National de la Communication, "la demande d'accréditation des journalistes concerne d'autres projets qui n'ont rien à voir avec votre champ d'action au Burundi." S'il y avait un doute sur les conditions de travail de la presse au Burundi, cette situation illustre parfaitement les difficultés d'y exercer la liberté d'expression au quotidien.


Un hôpital racketté, un directeur emprisonné

Le docteur Christophe Sahabo avait co-créé l'hôpital Kira, la référence en soins de santé au Burundi.Depuis 2022, il croupit en prison sans aucune justification valable

Le docteur Christophe Sahabo est ophtalmologue ; il a été formé à Genève. À Bujumbura, grâce à Swiss Med Iternational - des investisseurs suisses, il était parvenu à créer l'hôpital de référénce au Burundi. Le projet a été bâti sur 3 niveaux et 10000 m2 et inauguré en 2015. Il regroupait 18 services de médecine.

Mais le succès du Kira Hospital-Swiss clinic n'a pas manqué de susciter l'intérêt du pouvoir en place. En avril 2022, le médecin est arrêté par les services du renseignement. Depuis, il est en attente d'un procès. Pour les proches du médecin, l'hôpital et le docteur Sahabo "ont été laissés en pâture aux 'généraux'et à leur projet de spoliation." Le médecin a été arrêté dans son bureau et a ensuite passé 48 jours dans un cachot. Les services présidentiels voulaient qu'il dénonce les actionnaires européens, "ceux qu'on appelle 'les colons'". L'idée du pouvoir était bien de mettre la main sur ce précieux outil de santé. "Toutes les affaires qui marchent dans ce pays sont l'objet de racket, nous rappelle un proche du médecin.

Les conditions de détention de Christophe Sahabo sont assez difficiles. Sans justification, il a été déplacé dans une prison loin de ses proches, (à Ruyigi, à 200 km de Bujumbura) bénéficie de soins de santé limités. Une partie de sa famille -dont son épouse et ses enfants – sont exilés en Suède.

En septembre, alors qu'il devait comparaître à son procès, il a été victime d'un malaise et n'a donc toujours pas été jugé. "Nous sollicitons une nouvelle date, nous explique son avocat, Me Janvier. Mais le président ne me répond pas. Je vais m'adresser au ministre pour savoir s'il est de connivence avec ce silence." L'avocat doute d'ailleurs de la bonne tenue du procès car, selon son analyse, "90 % des infractions pour lesquelles il est poursuivi ne peuvent être débattues sur le fond. Ce sont des faits qu'on essaye d'orienter vers des infractions." D'autres relèvent "d'atteinte au bon fonctionnement de l'économie nationale" sur base d'un transfert d'argent vers l'étranger "mais ce n'est pas un crime", rappelle l'avocat.

Nous avons également parcouru une note de l'avocat représentant "les actionnaires spoliés". On y évoque "un coup de force conçu en fonction de la convoitise des recettes générées par la société Kira Hospital." Selon cette synthèse de l'avocat, la société Swiss Med a "été dépouillée de sa majorité" au Conseil d'administration. Tout cela au profit "d'actionnaires parabublics" "aux ambitions démesurées".

E. H.