Burundi : Le processus électoral a tourné au vinaigre dès les communales
Analyses

@rib News, 24/07/2010

Une colossale gueule de bois électorale !

Karayenge AthanasePar Karayenge Athanase

Les Burundais ont mal aux cheveux comme on dit. Une expression familière pour désigner le mal de tête caractéristique dont souffrent les personnes qui ont abusé de la consommation d'alcool la veille, au cours d'une fête trop bien arrosée.

La fête électorale burundaise, les élections communales du 24 mai 2010, a eu lieu. Elle était splendide. Elle résonnait comme une magnifique promesse de démocratie apaisée dans un pays encore profondément traumatisé par la guerre civile qui a duré presque 16 ans. Les élections communales ouvraient ainsi le bal d'une série d'élections générales qui s'échelonneront entre mai et septembre 2010. Etaient-elles trop belles ces élections pour être vraies ? Pourquoi ont-elles tourné au vinaigre ?

La crispation soudaine des partis politiques de l'opposition dont les scores respectifs sont très inférieurs à leurs attentes, la victoire, pas si extravagante en définitive du parti CNDD-FDD, 64% seulement si l'on peut dire, n'expliquent pas à elles seules le dérapage des élections communales. En effet, on est loin du score stalinien ou brejnévien dénoncé par certains hommes politiques. Et pourtant la victoire des uns et la défaite des autres ont le même goût amer, un arrière goût de quinine.

Décidément quelque chose s'est brisée. Le doute sur la transparence, la sincérité et la crédibilité des résultats du scrutin s'est glissé dans tous les esprits et a créé un trouble certain. Dès lors, peut-on craindre que la belle fête électorale se soit terminée en queue de poisson ? Est-elle définitivement ternie et compromise ?

Au soir du 25 mai, quand la majorité des bureaux de vote fermaient sur l'ensemble du territoire, l'euphorie était générale. Les observateurs nationaux et internationaux, les médias opérant dans une superbe synergie, le simple citoyen-électeur se congratulaient à qui mieux mieux. Le climat bon enfant avait marqué la journée électorale. Même les bébés étaient à la fête ! Accrochés au sein des mamans dans les files d'attente. Image on ne peut plus belle et rassurante.

La sérénité et la maturité du peuple burundais avaient été impressionnantes. La sécurité avait été totale. Les électeurs avaient fait la queue, dès très tôt matin, pour voter massivement. Le taux de participation, 90 %, était absolument extraordinaire dans un pays où le vote n'est pourtant pas obligatoire comme en Belgique.

Cafouillages à la pelle !

Les observateurs internationaux et nationaux, les médias et les citoyens-électeurs qui estiment que les élections communales se sont bien déroulées ont absolument raison. En même temps, les partis politiques qui doutent de la sincérité des résultats du scrutin et les contestent même ont aussi parfaitement raison. Ainsi, le psychodrame à la burundaise, imprévisible et potentiellement violent, est désormais constitué.

En vérité, le scrutin s'est déroulé en deux phases. Comme la lune, et sans jouer sur les mots, le scrutin burundais avait deux faces : la face illuminée et radieuse du jour et la phase obscure de la nuit. Nuit des longs couteaux au cours de laquelle, comme dans les romans policiers les plus haletants, les crimes, censés parfaits, ne laissent aucune trace. Voire !

Le report in extremis de la date des élections, le matériel électoral qui manquait dans plusieurs bureaux de vote, le vote tardif dans certains bureaux, la coupure impromptue et simultanée d'électricité dans plusieurs localités dont le réseau n'est pourtant pas interconnecté, les urnes en ballade, retrouvées après le scrutin dans des écoles avec des bulletins non comptabilisés, les soupçons persistants de substitution d'urnes et de manipulation des procès verbaux après le comptage des voix, l'absence de procès verbaux incontestables établis immédiatement après le comptage et signés par tous les mandataires politiques, les isoloirs trop sommaires et qui n'isolaient pas vraiment l'électeur, la défaillance ou la naïveté supposée de plusieurs mandataires politiques dont les consciences auraient été achetées, les "torrents d'argent" selon l'expression d'un diplomate déversés dans la campagne, les pressions et les menaces sur les électeurs paysans les plus crédules, le manque de réactivité de la CENI, des CEPI et CECI pour sanctionner ou au moins pour dénoncer les irrégularités constatées par les médias (utilisation des moyens de l'Etat, poursuite de la campagne après la période légale), le sentiment que des formations politiques jouissaient d'une certaine complaisance de la part de la CENI et d'impunité de fait, tous ces facteurs et bien d'autres encore ont incontestablement terni les élections communales burundaises de 2010.

Malgré les efforts louables du président de la CENI, Pierre Claver Ndayicariye pour donner régulièrement "des éclairages", afin de garder le contact avec le pays et mettre en perspective les décisions même surprenantes et contestables de son organisation, la belle mécanique a visiblement déraillé et le diable en personne est sorti de sa boîte de Pandore, de la caisse électorale contenant tous les maux et tous les risques !

Les esprits les moins chagrins et les plus tolérants estimeront qu'il s'agissait peut-être des inévitables erreurs de lancement d'un processus électoral burundais très complexe, des signes de désorganisation à l'africaine, en somme. Maigre consolation !

Car le doute et le trouble sur la sincérité et la crédibilité du scrutin atteignent le chiffre 9, le dernier sur l'échelle de Richter qui mesure la violence des tremblements de terre. Qu'apprend-on ? Les citoyens burundais apprennent que le marché d'impression des cartes d'électeurs aurait été gagné par une entreprise ougandaise, soupçonnée d'être impliquée dans la vente non encore élucidée ni sanctionnée par la justice de l'avion FALCON 50. La même entreprise serait impliquée dans la production des fameux cahiers d'écoliers qui constituaient à la fois un "don" et un "remboursement" d'une dette d'environ 8 millions de dollars que l'Ouganda doit au Burundi depuis plusieurs années.

En outre, le marché de l'impression des bulletins de vote aurait été gagné par une entreprise sud-africaine qui aurait gagné aussi le marché de l'exploitation des mines de nickel au Burundi.

Si ces faits étaient avérés et prouvés, ils seraient particulièrement graves car ils démontreraient que les élections burundaises ont été entachées par un conflit d'intérêt évident qui suffirait à lui seul de faire annuler les élections communales et les suivantes.

Si transparence il y avait au pays de Samandari, des entreprises, étrangères ou nationales qui auraient des intérêts économiques légitimes et importants au Burundi ne devraient pas être admises dans la compétition pour le marché d'impression d'outils par lesquels la souveraineté nationale s'exprime. Même si elles étaient les moins disantes !

Du reste, la commande par la CENI, à la dernière minute, de bulletins supplémentaires à une entreprise de la place prouve bien qu'il aurait été possible de confier la production du matériel électoral à des entreprises locales qui disposent d'un double avantage. Elles fournissent du travail à des citoyens burundais et ensuite, le contrôle et la rapidité de livraison du matériel électoral auraient été infiniment plus rapides et plus faciles. En effet, la CENI aurait eu la possibilité d'informer régulièrement les partis politiques sur l'évolution du processus de production du matériel électoral et aurait ainsi apaisé les inquiétudes suscitées par ce possible conflit d'intérêt.

Comment "assainir" la situation à présent ?

Sans faire un jeu de mot trop facile, comment "assainir" la situation en effet ? Certes, tous les éléments évoqués plus haut sèment le doute et le trouble sur la sincérité et la crédibilité des élections communales et fragilisent les scrutins qui suivent dans le calendrier électoral de 2010. Le bilan actuel est tout simplement calamiteux. Puisque les partis de l'opposition se sont retirés du processus électoral. Ce retrait constitue, en soi, un grave revers pour tous les Burundais. Il ne serait ni convenable ni raisonnable d'en minimiser la portée et les dégâts politiques potentiels.

Le Burundi renouerait-il déjà avec le conflit ? Que le ciel l'en préserve ! Ce serait inacceptable car la population a droit à la paix. Du reste, depuis les Accords de Paix et de Réconciliation qui fêteront dix ans cette année car signés le 28 août 2000, il existe une philosophie politique qui privilégie le respect entre protagonistes, la négociation et la résolution pacifique des conflits, le partage équilibré du pouvoir entre les institutions et les ethnies, bref un système inclusif qu'on a appelle "consociatif".

Les partis politiques sont animés tous par la bonne volonté, peut-on l'espérer. Ils ont tous l'ambition légitime de gouverner le pays et lui assurer la paix et le développement. Ils veulent du bien pour la nation burundaise. Il est donc urgent que le dialogue reprenne entre les protagonistes. Non pas pour préparer une quelconque négociation qui aboutirait au partage du pouvoir entre la majorité et l'opposition.

Le temps des négociations de Kajaga et Kigobe est dépassé. Il faudrait que la CENI et d'autres bonnes volontés aident le parti majoritaire à gagner les élections de façon incontestable et crédible et l'opposition à perdre de façon loyale et honorable. Ou l'inverse !

Du reste, le parti de l'aigle, du manioc et de l'épée, le CNDD-FDD, s'est élégamment engagé à favoriser l'organisation du scrutin dans les bureaux de vote où seraient relevées des irrégularités flagrantes. Il accepterait même que toutes les élections communales soient organisées à nouveau à condition que ce soit la CENI qui décide d'annuler le scrutin du 24 mai 2010. Comme on dit dans le langage des lanceurs de satellites dans l'espace, à Kourou en Guyane française ou à Cap Kennedy, c'est peut-être une fenêtre de tir favorable qui s'ouvre ainsi.

Ainsi, pour pouvoir ramener les partis de l'opposition dans le processus électoral, il est important que la CENI ne soit pas contestée et que les partis d'opposition ne fassent pas de sa démission une condition pour reprendre le dialogue.

En contrepartie, il faut que la CENI donne rapidement des signes qu'elle est effectivement indépendante et neutre. En outre, il faut que désormais elle soit économe de déclarations fracassantes qui heurtent l'opinion et l'opposition en particulier.

En effet, affirmer qu'une élection présidentielle avec un seul candidat constitue, malgré tout, une élection démocratique crédible, c'est véritablement jouer avec le feu, c'est préparer une terrible régression politique pour le pays. Ces propos pourraient donner l'impression que la CENI est prête à accompagner une aventure politique qui conduirait le pays dans l'impasse.

Dans son langage imagé, coloré et convainquant, Pierre Claver Ndayicariye adore parler cuisine, ingrédients, desserts, menus succulents, sel et piment. Il est à espérer que la CENI qu'il anime de main de maître ne servira pas au peuple burundais un plat constitué uniquement de piment. Car la CENI ne pourrait mobiliser assez de pompiers pour éteindre l'incendie buccal qui gagnerait tout le pays !

Par conséquent, il faudrait que la CENI se dépêche de réunir tous les protagonistes autour d'une table de négociations et qu'elle invalide les scrutins communaux entachés de trop d'irrégularités ou organisées de nuit. En réalité, les irrégularités les plus graves relevées pendant les élections communales peuvent recevoir une double réponse juridique et politique satisfaisante sans que la CENI ne se réfère à la seule loi électorale ni ne s'enferme dans sa seule logique.

De toutes manières, si les revendications de l'opposition n'étaient pas prises en considération, celle-ci pourrait retirer les conseillers communaux élus sur les listes respectives des partis qui la composent. Ainsi, les élections communales seraient annulées de fait dans les communes, même si celles-ci ne sont pas nombreuses, où le CNDD-FDD ne disposerait pas à lui seul de majorité simple. Avec le risque que les communes burundaises soient gouvernées par un parti unique pendant toute la mandature prochaine. Est-ce une perspective démocratique acceptable ? Non évidemment !

Le Burundi devrait faire l'économie de ce désordre institutionnel supplémentaire et de ce gâchis monumental car ils fragiliseraient encore davantage sa crédibilité internationale. Du moins ce qui lui en reste après ce premier pataquès électoral !