Burundi : EurAc attend la concrétisation du discours d’investiture de Nkurunziza
Droits de l'Homme

@rib News, 17/09/2010

 Bruxelles, 17 septembre 2010

Pour une gouvernance démocratique et une lutte contre la pauvreté effective au Burundi après les élections

Entre mai et septembre 2010, le Burundi a mené un processus électoral en plusieurs étapes. Le premier scrutin s’est déroulé au niveau communal le 24 mai. Les élections présidentielles ont eu lieu le 28 juin et les législatives ont suivi le 23 juillet. Le 27 août, le Président sortant réélu, Pierre Nkurunziza, a prêté serment pour son deuxième mandat. Les élections des chefs de collines et de quartiers du 7 septembre ont clôturé le cycle.

Le processus électoral ne s’est pas déroulé comme attendu : à l’issue des élections communales, les principaux partis d’opposition ont décidé de ne pas présenter de candidats aux scrutins suivants, dénonçant ainsi ce qu’ils ont qualifié de « fraudes massives » en leur défaveur au cours des élections communales. Les différentes missions d’observation indépendantes, dont la mission conjointe de la Coalition de la Société Civile pour le Monitoring Electoral (COSOME) et du Réseau Européen pour l’Afrique Centrale (EurAc), n’ont pas souscrit à ce constat. Tout en reconnaissant un certain nombre d’irrégularités lors de ce scrutin, les observateurs indépendants ne disposent d’aucun élément attestant de telles «fraudes massives et confirmant la thèse de l’opposition

Le retrait de l’opposition a eu pour conséquence la victoire écrasante du parti au pouvoir – le CNDD/FDD - à chaque scrutin. Ce dernier sort ainsi du processus électoral avec un contrôle absolu des institutions et ce à tous les niveaux. Ceci risque de renforcer certaines tendances autoritaires qui existent au sein du parti au pouvoir. De plus, les présidents de trois partis d’opposition importants (Agathon Rwasa du FNL ; Léonard Nyangoma du CNDD et Alexis Sinduhije du MSD) ont quitté la scène publique et se sont mis à l’abri affirmant qu’ils craignaient pour leurs vies. Actuellement, plusieurs acteurs du terrain signalent une relance des recrutements, ce qui fait craindre une nouvelle dynamique de guerre. Les assassinats politiques du 7 septembre et les grenades nocturnes les jours qui ont suivi renforcent cette crainte.

Quels que soient les développements ultérieurs, cette situation est préjudiciable pour l’avenir du pays. En effet, pour consolider sa démocratie embryonnaire et entamer une stratégie de lutte contre la pauvreté, le Burundi a besoin d’une action gouvernementale cohérente et transparente. Maintenant qu’il n’y a plus d’opposition parlementaire légitime qui puisse  veiller sur la notion et les pratiques de bonne gouvernance, celles-ci ne pourront être revendiquées et défendues que par la presse et la société civile.

EurAc considère le discours de Pierre Nkurunziza lors de son investiture pour son deuxième mandat comme un signal positif. Le Président s'engage à "combattre toute idéologie et pratique de génocide et d'exclusion, à promouvoir et à défendre les droits et libertés individuelles". Il a promis également de "défendre les intérêts supérieurs de la nation, assurer l'unité nationale et la cohésion nationale, la paix et la justice sociale". Il a enfin proclamé "la tolérance zéro" à l’encontre de tous les coupables d'actes de corruption et de malversations économiques. Néanmoins, il n'a fait aucune référence à un quelconque processus de dialogue avec les partis de l’opposition ni aucune mention du rôle de la société civile.

Ceci dit, EurAc attend la concrétisation des engagements affirmés dans ce discours d’investiture. En effet, la pratique quotidienne du pouvoir au Burundi offre une toute autre image. Nous constatons et regrettons l’absence de progrès dans certains dossiers, qui pourtant témoignent de graves dérives en matière de respect des libertés démocratiques et de gouvernance. Les instances politiques et juridiques ont décidé d’enterrer sans suite les dossiers embarrassants, tels la vente du jet présidentiel Falcon 50 et l’aide en carburant offerte depuis 2005 au Burundi par la République fédérale du Nigeria. Dans le cas de l’assassinat du Vice-président de l’Observatoire de la Lutte contre la Corruption et Malversations Economiques (OLUCOME), Ernest Manirumva, en avril 2009, les poursuites semblent se limiter au niveau des exécutants de ce crime, en laissant de côté les commanditaires.

Face à cette situation, le réseau des ONG européennes pour le plaidoyer en Afrique Centrale (EurAc) recommande à l’Union européenne et à ses Etats-membres de continuer à accompagner le Burundi afin qu’il mène effectivement une politique conformes aux valeurs et engagements exprimés dans le discours d’investiture du Président de la République. Aussi, EurAc leur recommande, dans le cadre d’un dialogue politique avec les autorités burundaises, de :

-          Veiller, en vue de la consolidation de l’Etat de droit, à la protection de l’espace démocratique afin que les partis politiques puissent fonctionner sans harcèlement  et que la société civile et la presse puissent jouer leur rôle de contre-pouvoir citoyen. Cela implique de veiller au fonctionnement indépendant de la magistrature  et de garantir une enquête sérieuse sur les accusations d’actes de torture et de violence politique;

-          Promouvoir une diplomatie active pour décourager la reprise de la guerre en favorisant le dialogue entre les partis politiques burundais et en se positionnant en faveur de l’accélération du vote de la loi régissant l’opposition non parlementaire. Nous recommandons également que l’Union européenne et ses Etats-membres s’impliquent pour que soient garanties aux leaders politiques en fuite la sécurité et la liberté d’expression, leur permettant ainsi de rentrer au pays ;  

-          Contribuer à l’élaboration de procédures et à la mise en place des organes et de mécanismes de contrôle sur la politique et la gestion démocratique du pays afin de concrétiser les ambitions du pays à mettre en pratique les principes de la bonne gouvernance ;

-          Accompagner, avec de l’expertise et des moyens financiers, les processus de démobilisation et de réintégration des démobilisés et contribuer à la lutte contre la pauvreté et à la réalisation des objectifs de développement du millénaire  afin de contrecarrer les causes possibles de la reprise de la guerre.

Kris BERWOUTS

Directeur EurAc