Conseil des droits de l’homme : le Burundi esquive la critique
Droits de l'Homme

Info Sud, 1er octobre 10

Carole Vann

Bujumbura a réussi à faire reporter l’examen devant le Conseil des droits de l’homme. Malgré la réélection du président Nkurunziza en juin 2010, opposants, activistes et journalistes sont harcelés, emprisonnés et menacés de mort.

A peine sorti de la guerre, le Burundi replonge dans la violence. Rien que la semaine dernière, 14 corps ont été retrouvés à une dizaine de kilomètres de la capitale Bujumbura. Harcèlements, arrestations arbitraires, menaces de mort et exécutions sommaires se multiplient trois mois après l’élection du président Pierre Nkurunziza avec 92% des votes. Premiers visés, les défenseurs des libertés, les journalistes et les opposants politiques, dont plusieurs ont pris la voie de l’exil. Les organisations internationales et l’ONU tirent la sonnette d’alarme, en vain. En juin, la représentante de Human Rights Watch (HRW), Neela Ghoshal, en poste depuis trois ans dans ce pays des Grands lacs, était expulsée.

Critique « verrouillée »

Mardi dernier, l’expert indépendant Fatsah Ouguergouz aurait dû faire son rapport sur le Burundi devant le Conseil des droits de l’homme (CDH), à Genève. Mais cet exercice a été repoussé à la session de mars. Raison officielle : la délégation burundaise n’aurait pas encore eu connaissance du rapport, donc ne pouvait préparer son droit de réponse. Mais pour Neela Ghoshal, qui a fait le déplacement depuis Nairobi pour l’occasion, le vrai motif est ailleurs. « Le gouvernement verrouille toute possibilité de critique à son encontre. Il n’est même pas certain que le rapport soit présenté en mars », soutient-elle. Lors d’une conférence de presse donnée le 25juin, le précédent expert de l’ONU chargé d’étudier la situation des droits de l’homme au Burundi s’alarmait déjà des violences et des abus commis dans le pays.

Dans une lettre (dont nous avons obtenu copie) adressée le 21septembre au président du Conseil, l’ambassadeur thaïlandais Sihasak Phuangketeow, Bujumbura invoque aussi la résolution 9/19 qui stipule que l’expert indépendant ne s’exprimerait qu’après la mise en place dans le pays d’une Commission indépendante des droits de l’homme. Le Burundi s’était effectivement engagé en 2008 à ce que cette commission voie le jour début 2009, mais rien n’a été fait jusque-là.

« Le Burundi ne veut surtout pas de mauvaise note alors que son président vient d’être réélu. Cela embarrasserait les bailleurs occidentaux, et le pays a trop besoin d’argent », analyse Alexis Sinduhije. Cet ancien correspondant de la BBC et de l’agence Reuters a fondé la Radio publique africaine à Bujumbura qui a enquêté sur de nombreuses affaires sensibles. Il a aussi travaillé pour Radio Agatashya, créée sous l’égide de la Fondation Hirondelle, comme alternative aux médias de la haine. Depuis 2008, Alexis Sinduhije a quitté sa casquette de journaliste pour fonder un mouvement politique d’opposition. Menacé de mort, il a quitté le pays il y a deux mois.

Frustration latente

Pour lui, le durcissement des autorités entretient une frustration latente poussant une partie des opposants, dont beaucoup de jeunes, à reprendre les armes. Particulièrement inquiétant, l’existence de Radio Rema-FM dont les incitations à la haine évoquent la tristement célèbre Radio des Milles Collines qui diffusait une propagande haineuse contre les Tutsis et les Hutus modérés durant le génocide rwandais de 1994. « Cette radio, qui est encouragée par le président, diffuse des propos diffamatoires graves incitant à la haine ethnique », avertit-il, rappelant que le pays a déjà payé son tribut à une guerre civile qui avait fait 300000 morts entre 1993 et 2006.

Une crainte partagée par Neela Ghoshal, qui relève cependant que le danger aujourd’hui n’est plus d’ordre ethnique mais politique. « Les compositions sont maintenant mixtes (Hutus et Tutsis) au sein du gouvernement et des forces de sécurité, rappelle-t-elle. Les conflits actuels ont lieu essentiellement entre Hutus. » Pour elle comme pour l’ancien journaliste, la solution passe par une ouverture d’un espace démocratique dans le pays. « Si ces jeunes ont la possibilité de participer au processus politique et de s’exprimer sans craindre la répression, ils ne choisiront pas les armes », soutient Alexis Sinduhije.