France-Afrique : Poursuites relancées sur les "biens mal acquis" africains
Afrique

@rib News, 09/11/2010 – Source Reuters

La Cour de cassation a relancé mardi les poursuites judiciaires concernant les logements de luxe et les avoirs bancaires détenus en France par trois présidents africains, une décision à haut risque pour Paris.

La plus haute juridiction française a annulé un arrêt de la cour d'appel de Paris de 2009 qui déclarait irrecevable la plainte de l'organisation Transparency International concernant les familles d'Ali Bongo (Gabon), de Denis Sassou Nguesso (Congo-Brazzaville) et de Teodoro Obiang (Guinée équatoriale).

La Cour ordonne le renvoi du dossier à un juge d'instruction de Paris pour que soit instruite cette plainte de l'ONG, qui considère que les biens en question ont été forcément acquis avec de l'argent public détourné.

Une enquête de police de 2007 avait recensé 39 propriétés et 70 comptes bancaires détenus par la famille Bongo et ses proches, 24 propriétés et 112 comptes bancaires pour la famille Sassou Nguesso, ainsi que des limousines de luxe achetées par la famille Obiang.

Cette enquête avait été classée sans suite par le procureur de Paris Jean-Claude Marin mais un juge d'instruction avait dans un premier temps, début 2009, ordonné contre son avis une enquête pour "recel de détournement de fonds publics, blanchiment, abus de biens sociaux, abus de confiance".

Le parquet avait fait appel, suspendant cette décision et, en octobre 2009, la cour d'appel avait déclaré la plainte irrecevable. C'est cet arrêt que la Cour de cassation a annulé.

"Il suffit, pour qu'une constitution de partie civile soit recevable, que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permette au juge d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation directe avec une infraction à la loi pénale", dit la Cour.

Transparency a le droit d'agir puisque la lutte contre la corruption est son objet unique et qu'elle y consacre tous ses moyens, ajoute la Cour. Cet arrêt est un précédent susceptible de permettre d'autres poursuites similaires.

REMOUS DIPLOMATIQUES

L'affaire a créé dans le passé des remous dans les trois pays, pivots de l'influence diplomatique française en Afrique, et où la première société française, Total, a d'importants intérêts.

Les plaignants ont accusé le parquet d'agir comme "bras armé de la raison d'Etat". Bien qu'ils ne soient pas partie à la procédure, deux des trois chefs d'Etat indirectement visés avaient dépêché des avocats à la Cour d'appel en octobre.

Lorsque l'enquête sera lancée, le ou les juges d'instructions désignés ne pourront poursuivre les chefs d'Etat en question, du fait de l'immunité coutumière qui leur est accordée, mais leurs proches n'en bénéficient pas et peuvent donc en théorie être questionnés, voire arrêtés, sauf immunité diplomatique.

Le procès Elf à Paris en 2003 avait démontré que les revenus tirés du pétrole profitaient personnellement aux chefs des Etats en question. Ces derniers nient toute malversation.

Me Olivier Pardo, avocat du président de la Guinée, s'est dit "étonné" de la décision. "Elle ne signifie pas que ce qu'avance l'association Transparency est juste. Il ne faut pas prendre les chefs d'Etat africains pour des gens sans foi ni loi. C'est fini le temps des rois nègres", a-t-il déclaré.

Pour les ONG anti-corruption, les "biens mal acquis" des dictateurs mondiaux ne sont pas symboliques mais pèsent des dizaines, voire des centaines de millions de dollars.

Transparency International France rêve d'une nouvelle destination pour ce trésor : "Attribuer les fonds à des organisations des Nations unies avec le mandat d'utiliser ces sommes au bénéfice des plus défavorisés de ces trois pays", écrit-elle dans ses documents internes.