Burundi : « le parti au pouvoir a perfectionné l’art d’institutionnaliser la peur »
Analyses

IRIN, 26 novembre 2010

ANALYSE : Un espace politique de plus en plus restreint au Burundi

Le politologue Jean Salathiel Muntunutwiwe dit que le parti au pouvoir semble avoir perfectionné l’art d’institutionnaliser la peurBUJUMBURA - Accusé de supprimer toute opposition et de nier que l’insécurité montante puisse avoir des motifs politiques, le gouvernement du Burundi est soumis à des pressions grandissantes.

L’espoir avait été émis que les élections organisées au début de l’année consolideraient le progrès de la démocratie dans le pays, après des années de guerre civile.

« [Sur le plan] politique, la situation est très inquiétante parce que le gouvernement du CNDD-FDD [Conseil national pour la défense de la démocratie - Forces de défense de la démocratie] veut imposer un système de parti unique en punissant… les partis politiques d’opposition », a dit à IRIN Jean Salathiel Muntunutwiwe, politologue et doyen de la Faculté des arts et sciences humaines à l’Université du Burundi.

Selon lui, le gouvernement viole la Constitution en interdisant les réunions publiques et « en persécutant les dirigeants de l’opposition, au point que plusieurs ont fui le pays. Il semble aussi avoir perfectionné l’art d’institutionnaliser la peur ».

Cette position est aussi celle de Human Rights Watch (HRW), qui déclare dans un nouveau rapport que le gouvernement « continue à réprimer les droits humains fondamentaux. Les opposants politiques font l’objet de surveillance, d’arrestations, de détention, de torture ; certains y ont même laissé la vie. Les activistes de la société civile et les journalistes craignent, rien qu’en faisant leur travail, de se faire arrêter ou de risquer de subir des sévices physiques, car le gouvernement est extrêmement sensible à toute critique touchant le domaine de la sécurité ou de la justice ».

« Entre fin avril et début septembre 2010, au moins 20 personnes, dont des activistes tant du CNDD-FDD que des partis d’opposition, ont été tués au cours d’attaques qui semblaient relever de motifs politiques. Les services de sécurité ont arrêté arbitrairement des dizaines d’activistes de l’opposition ; certains ont été torturés ».

Rona Peligal, directrice Afrique de HRW a indiqué : « Maintenant que les élections sont passées, c’est pour le Burundi l’occasion parfaite de tendre la main à ses critiques et de travailler avec eux à la construction d’un Etat plus ouvert à tous et respectueux des droits ».

Les événements récents « anéantissent tout espoir d’un nouveau départ pour le Burundi, » a dit Mme Peligal.

Une remise « sur les rails »

Le ministre de l’Intérieur Edouard NduwimanaParlant à IRIN avant la publication du rapport de HRW, le ministre de l’Intérieur, Edouard Nduwimana, a évoqué la nécessité de maintenir certains groupes « sur les rails ».

« Le gouvernement ne cible pas tous les membres de la société civile, » a t-il dit.

« La société civile est un partenaire et nous en sommes conscients, mais si quelqu’un déraille, nous le remettons sur les rails par le biais de réunions et d’autres moyens. Si l’on confond cela avec du harcèlement, ce n’est pas notre intention ».

Jean Marie Gasana, consultant indépendant sur la région des Grands Lacs, a expliqué la situation actuelle au Burundi par ce qu’il appelle une « ignorance et une perte de l’esprit » de l’Accord d’Arusha de 2000 ; cet accord de partage du pouvoir était destiné à sortir le Burundi de la guerre civile pour le guider vers une démocratie stable.

« Dix ans plus tard, les hommes au pouvoir semblent négliger complètement le dialogue, » a dit M. Gasana. « Ceci représente un important défi non seulement pour le Burundi, mais pour toute la région ainsi que pour la communauté internationale, quand on pense que le Burundi était censé être un modèle que beaucoup avaient espéré pouvoir utiliser comme une référence sur la manière de mettre fin aux conflits ».

« Il est regrettable que les partenaires internationaux et régionaux soient absents ou gardent le silence sur ce qui se passe au Burundi en ce moment. C’est maintenant qu’il faut s’impliquer parce que le bébé [Arusha] né il y a 10 ans semble [handicapé] et il a encore besoin d’assistance pour se mettre à marcher ».

M. Muntunutwiwe de l’Université du Burundi tient la police et le harcèlement judiciaire pour responsables du départ brutal de plusieurs membres éminents de l’opposition récemment.

Parmi eux : Agathon Rwasa, leader des Forces nationales de libération; Leonard Nyangoma, président du Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD); Alexis Sinduhije, président du Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD); et Alice Nzomukunda, présidente de l’Alliance démocratique pour le renouveau (ADR-Imvugakuri).

« Ce ne sont pas des anges »

Scène de rue à Bujumbura, la capitale du Burundi. L’espoir avait été émis que les élections organisées au début de l’année consolideraient le progrès de la démocratie dans le pays, après des années de guerre civileLe porte-parole de la police, Pierre Channel Ntarabaganyi, a nié les accusations d’exécutions extrajudiciaires et la réalité d’une politique de torture des opposants. Il a affirmé que tous les policiers reconnus coupables d’abus devaient faire face à des « actions décisives ».

« Les policiers sont des êtres humains, ce ne sont pas des anges. Quand des policiers sont impliqués dans des violences contre les personnes, ce sont des cas isolés ; ce n’est pas la mission de la police », a-t-il dit.

Il a aussi écarté les craintes croissantes suggérant que les récentes attaques armées seraient le signe d’une nouvelle insurrection en gestation.

« Une insurrection doit satisfaire à certains critères : elle doit déclarer son idéologie et doit avoir un leader. Actuellement les bandits armés sont organisés en petits groupes de cinq ou sept, ils ont des armes et ils traversent les villages en pillant, en violant et quelquefois en tuant », a-t-il dit.

« Ces groupes ne nous inquiètent pas, parce que nous examinons chaque incident spécifique. Il n’y a pas que la politique qui provoque la criminalité ; les facteurs économiques et autres entrent aussi en ligne de compte », a-t-il dit.

Le porte-parole de l’armée, Gaspard Baratuza, a dit que personne ne s’était fait connaître pour déclarer qu’il dirigeait un mouvement rebelle. « Nous avons renforcé la sécurité et déployé des troupes près de la frontière avec [la République Démocratique du] Congo et dans les autres zones où ces groupes avaient été signalés ».

Augmentation des viols

Pierre Claver Mbonimpa, président de L’Association burundaise pour la protection des droits humains et des personnes détenues, a dit à IRIN que le nombre de viols avait récemment augmenté ce qui, historiquement, était un indicateur d’activité rebelle.

« Le gouvernement les appelle des bandits armés, mais d’autres ne les considèrent pas comme des bandits armés », a dit M. Mbonimpa, en ajoutant qu’il avait été menacé d’arrestation pour ses déclarations publiques.

« Habituellement, ce que nous appelons des bandits armés, ce sont ces gens qui attaquent des familles ou montent des embuscades pour voler des véhicules. Mais ce que nous avons constaté récemment, c’est que ces groupes viennent pour tuer, mais ils ne volent rien. S’ils peuvent attaquer en groupe et ne rien voler… s’ils attaquent des postes de l’armée ou de la police, comment pouvons-nous les désigner comme bandits ? »

Faisant référence à une attaque menée en septembre par des hommes en uniforme, M. Muntunuwiwe n’a pas dit autre chose : « Les moyens utilisés par ces groupes montrent qu’il se prépare quelque chose. Attaquer des gens qui travaillent sur une plantation appartenant à quelqu’un de « proche » du chef de l’Etat et tuer des vaches qui appartiennent à un sympathisant du CNDD-FDD, c’est une façon pour ces groupes armés d’envoyer un message politique au gouvernement ».

« C’est pourquoi le gouvernement devrait s’inquiéter plutôt que minimiser la menace posée par ces groupes armés », a-t-il ajouté.

Le ministre M. Nduwimana, a cependant insisté qu’il n’y avait pas de raison de s’alarmer.

« Dans toutes les provinces, la sécurité est bonne, les gens vaquent à leurs occupations quotidiennes comme d’habitude ».

« En période post-électorale dans presque tous les pays, il peut se produire des incidents de ce genre avec des groupes armés. Nous avons par le passé organisé le désarmement des civils, mais une partie des armes reste aux mains de la population ».

« Nous avons été témoins de situations pires dans le passé. Pour le moment, il n’y a pas le feu. La plupart des bandits armés ont été arrêtés. En tant que gouvernement, nous essayons de renforcer le pouvoir judiciaire, de façon à ce que toutes les personnes arrêtées puissent être jugées et punies, afin que la population puisse jouir de la paix ».

[FIN][Les informations vous sont parvenues via IRIN, un département d'informations humanitaires des Nations Unies, mais ne reflètent pas nécessairement les vues des Nations Unies ou de ses agences]