Burundi : la société civile réclame le respect des droits et libertés fondamentaux
Droits de l'Homme

@rib News, 10/12/2010

CONFERENCE DE PRESSE DU 9 DECEMBRE 2010

LIGUE ITEKA – FORSC – OAG – OLUCOME – COSOME – ACAT – UBJ – CAFOB – APRODH – PARCEM – AFJB

MOT LIMINAIRE DES ASSOCIATIONS ORGANISATRICES DE LA CONFERENCE

Le Burundi est tenu de respecter les engagements pris dans l’adoption et la ratification des instruments de protection des droits de la personne humaine et dans la lutte contre la corruption

1. Les organisations de la société civile burundaise organisatrices de cette conférence de presse se joignent aux Nations Unies pour célébrer la Journée Internationale de lutte contre la Corruption et l’anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme célébrées respectivement les 9 et 10 décembre de chaque année et font leur le thème de l’année, à savoir « l’action des défenseurs des droits de l’homme dans la lutte contre la discrimination » et voudraient rendre public ce qui suit :

2. Les deux journées, à savoir la Journée Internationale de lutte contre la Corruption et l’anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme sont célébrées au Burundi exactement vingt mois après l’ignoble assassinat d’Ernest MANIRUMVA, Vice-président de l’OLUCOME (Observatoire de Lutte contre la Corruption et les Malversations Economiques), tué le 9 avril 2009 sans que la vérité sur ce crime ne soit connue à travers un procès équitable, sans oublier d’autres victimes d’actes de banditisme, de violence politique et d’exécutions extrajudiciaires.

3. Dans un tel contexte, les associations organisatrices de la présente conférence de presse déplorent les conditions difficiles dans lesquels travaillent les défenseurs de droits humains burundais, conditions caractérisées notamment par des menaces, des emprisonnements, des assassinats et un discours de certaines autorités qui les stigmatise.

4. Elles sont notamment préoccupées par le contenu de la récente déclaration du Conseil National de la Sécurité accusant les médias et la société civile de « cautionner la criminalité ». Ce discours assimile d’une part la société civile et les media à l’opposition politique et ignore d’autre part la contribution non négligeable des défenseurs des droits humains dans la consolidation de la paix, de la gouvernance et de la démocratie.

5. Cette situation est illustrée en partie par la situation juridique du Forum pour le Renforcement de la Societe Civile (FORSC) qui n’est toujours pas régularisée, des menaces de suppression de l’APRODH et de remplacement de son président récemment formulées, l’emprisonnement des Journalistes dont Jean-Claude KAVUMBAGU, directeur de Net Press, qui reste détenu pour un crime qui ne peut se commettre qu’en période de guerre selon le code pénal burundais ainsi que Faustin Ndikumana de la RPA qui totalise 65 jours à la prison centrale Mpimba. Il importe de noter dans le même registre que la représentante de Human Rights Watch a été expulsée du Burundi en juin après avoir publié un rapport sur l’état de la situation des droits de la personne.

6. Concernant la lutte contre la corruption, les associations organisatrices de la présente conférence de presse saluent toujours la déclaration du principe de « la tolérance zéro à la corruption » par le Président de la République du Burundi. Un tel engagement concrétisé dans les faits est salutaire pour le Burundi d’autant plus que le Burundi est classé dans les huit pays les plus corrompus au monde selon Transparency International et cela malgré l’existence d’un important arsenal juridique et institutionnel de lutte contre la corruption.

7. Plus de 100 jours après l’investiture du président de la République, les associations organisatrices de la présente conférence de presse publique se réjouissent des premiers pas franchis dans la poursuite des présumés coupables de détournement et malversations économiques mais restent préoccupées par les informations impliquant certaines hautes autorités dans des affaires de corruption sans qu’elles ne soient inquiétées.

8. Dans ce même registre, les associations organisatrices de la présente conférence de presse apprécient positivement l’appel lancé par le Gouvernement du Burundi à tous les citoyens à contribuer dans la lutte contre la corruption mais déplorent qu’aucun mécanisme de protection et d’encouragement des dénonciateurs de la corruption n’a été prévu jusqu’ici. Les défenseurs impliqués dans la lutte contre la corruption subissent toutes sortes de menaces, de harcèlements sans protection.

9. Le cas le plus pathétique est celui de Juvénal RUDUDURA, Vice-président du syndicat des auxiliaires de la justice, arrêté le 15 septembre 2008 pour avoir dénoncé la corruption qui caractériserait les recrutements au Ministère de la Justice, et libéré le 09 juillet 2009. Son cas se trouve toujours en délibéré à la Cour Suprême depuis le 16 septembre 2009. Jusqu'à ce jour, Juvénal RUDUDURA se trouve dans la rue et ses lettres de demande de réhabilitation dans son service, envoyées aux ministres de la justice en dates du 16 août 2009 et du 4 novembre 2010 restent toujours sans suite. Pourtant, le 1er Vice-président de la République a dénoncé le 20 octobre 2010, au cours de sa rencontre avec les magistrats, des recrutements qui seraient « conditionnés par le versement d’un montant exorbitant d’argent ! »

10. Bien plus, les lenteurs observés dans le procès des assassins d’Ernest MANIRUMVA, de même que les différentes menaces proférées contre les membres de son organisation OLUCOME sans qu’il y ait suite par des enquêtes des services habilités, ne sont pas de nature à rassurer et à encourager les défenseurs de droits humains engagés dans la lutte contre la corruption.

11. Les associations organisatrices de la présente conférence de presse avaient fondé leur espoir sur le cours normal du procès sur l’assassinat d’Ernest MANIRUMVA lors de son ouverture le 14 juillet 2010. Plus tard, le siège a même annulé cette première audience publique arguant que tous les prévenus n’avaient pas été assignés. Depuis, des dates de réouverture du procès ont été avancées mais sans succès.

12. Les associations organisatrices de la présente conférence de presse déplorent encore une fois qu’aucune mesure de protection des témoins n’ait été prise en dépit des craintes exprimées sur l’élimination progressive de ceux qui ont une information sur l’assassinat d’Ernest MANIRUMVA.

Lesdites associations voudraient rappeler que le Burundi est tenu de respecter les engagements pris dans l’adoption et la ratification des instruments régionaux et internationaux de protection des droits de la personne humaine dont les principes de liberté, de dignité et des droits inhérents à l’être humain ont été intégrés dans la constitution.

C’est pour toutes ces raisons, que les associations organisatrices de la présente conférence de presse formulent les recommandations suivantes :

A. Au Gouvernement du Burundi de :

- Tout mettre en oeuvre pour assurer la protection de toute la population et leurs biens ;

- Garantir l’exercice des droits et libertés reconnus par la constitution et les textes internationaux aux acteurs de la société civile, aux médias et aux partis politiques d’opposition ;

- Libérer les journalistes Jean Claude Kavumbagu de Net Press, Faustin Ndikumana de RPA ainsi que tous les autres prisonniers politiques ou d’opinion ;

- Suspendre dans leurs fonctions toutes les hautes personnalités soupçonnées dans les cas de corruption et de malversations économiques ;

- Prévoir des mécanismes de protection et d’encouragement des dénonciateurs de la corruption ;

- Réhabiliter le syndicaliste Juvénal RUDUDURA ;

B. A la Justice de

- Organiser dans les délais le procès des assassins d’Ernest Manirumva et des autres victimes d’exécutions extrajudiciaires pour que la vérité soit connue sur ces dossiers et que les coupables soient punis conformément à la loi.

C. Aux partis politiques de l’opposition de :

- Souscrire à la voie pacifique de règlement des conflits par des attitudes et comportements non violents et en évitant toute attitude pouvant perturber la sécurité des biens et des personnes ;

- Privilégier le dialogue comme mode de résolution des conflits

D. A la Société civile et aux médias de :

- Sensibiliser la population sur sa responsabilité dans le domaine de la paix et de la sécurité

- De ne pas baisser les bras dans cette noble tâche de lutte contre la corruption et de malversations économiques

- De dénoncer n’importe quel cas de corruption, qu’elle soit petite ou grande

- Faire le suivi et rappeler régulièrement les engagements de l’Etat en matière de protection des droits de la personne et la bonne gouvernance

- Former la population en matière de droits de l’homme et de participation citoyenne

D. A la communauté internationale de :

- De continuer à soutenir le Burundi tout en usant de son influence afin de faire respecter les engagements de l’Etat dans la protection des droits de la personne humaine.

Dans ce même registre, les associations organisatrices de la présente conférence de presse réaffirment enfin leur engagement citoyen et l’OLUCOME annonce la remise du premier Prix Ernest MANIRUMVA le 9 décembre 2011.