Rwanda : L’ancien procureur général charge violemment le président Kagame
Afrique

Le Soir, 28 décembre 2010

Les langues se délient loin de Kigali

Colette Braeckman

Gérald GahimaAncien procureur général du Rwanda, membre du noyau fondateur du FPR – Front patriotique rwandais –, Gérald Gahima, en rupture avec Kigali, est aujourd’hui un homme très occupé : en compagnie d’autres exilés dont son frère Théogène Rudasingwa, le général Patrick Karegeya ainsi que le général Kayumba Nyamwasa – ancien ambassadeur en Inde –, il a fondé le « Congrès national du Rwanda », une plate-forme politique qui se veut une alternative au FPR, sinon un retour aux sources d’inspiration du mouvement.

Occupé, Gahima l’est aussi parce que les réunions se multiplient : « Voici quelques jours je me trouvais en Espagne, où avait été organisé un dialogue avec d’autres opposants, Paul Rusesabagina – ancien gérant de l’hôtel des Mille collines, NDLR –, Jean Marie Ndsagajimana, Joseph Matata et d’autres anciens sympathisants du régime Habyarimana. A Bruxelles en ce moment, les contacts se poursuivent. »

Pour Gahima, « deux raisons expliquent pourquoi ce dialogue interrwandais, qui rassemble Hutus et Tutsis, représentants de l’ancien régime et déçus du FPR, doit se poursuivre en exil : au Rwanda même, ce type d’exercice n’est pas possible. En outre, la diaspora rwandaise est nombreuse, dépassant, en Europe seulement, les 40.000 personnes. Presque tous les cadres de l’ancien régime demeurent en exil où ils représentent une opposition forte et organisée… »

Lors de son dernier séjour en Belgique, le président Paul Kagame a lui aussi essayé de séduire cette opposition en exil, multipliant les rencontres avec la diaspora ; une vingtaine de Rwandais de l’étranger ont même été invités à revenir au pays dans le cadre de l’opération « come and see », « venez et voyez ». Mais selon Gahima, cette démarche n’a pas suffi : « Tout le monde sait qu’au Rwanda l’Etat contrôle tout, qu’il est entre les mains d’un seul homme, qui ne supporte pas la contradiction et dont la base réelle se réduit désormais à un tout petit groupe de gardes du corps et quelques civils… »

La concentration du pouvoir, les frustrations qui se multiplient à cause d’une politique autoritaire et répressive, tout cela inquiète au plus haut point l’ancien procureur général : « Puisque les gens ne peuvent s’exprimer librement, il y a trop de tensions dans ce pays… Le drame, c’est que les mécontents assimilent tous les Tutsis aux tenants du pouvoir en place. Autrement dit, une explosion pourrait déboucher sur un autre génocide des Tutsis. C’est pourquoi il est urgent de dialoguer, de relâcher la pression… »

Ni contradiction ni popularité

Pourquoi Gahima, si proche autrefois du président Kagame, est-il entré en conflit avec lui ? Le juriste balaie d’un revers de la main les accusations du président rwandais, qui assure que ses anciens fidèles devenus dissidents n’avaient en réalité pas accepté les mesures de lutte contre la corruption, la fin des passe-droits : « En réalité, ce qu’il ne supporte pas, c’est la contradiction. Moi, j’avais tenté de le convaincre de ne pas arrêter l’ancien président Pasteur Bizimungu en 2003, mais rien n’y a fait. Autrefois, en 1998, je m’étais déjà opposé à la deuxième guerre du Congo, mais Kagame voulait à tout prix chasser Laurent Désiré Kabila, qu’il venait de mettre au pouvoir un an plus tôt. Cette démarche était surtout inspirée par l’orgueil, il voulait diriger le Congo à distance, ce que Kabila refusait… Cette deuxième guerre fut une erreur immense, qui a semé la mort et la haine dans toute la région… »

Gahima assure aussi que Kagame ne supporte pas non plus qu’un autre de ses proches devienne trop connu, trop populaire : « C’est pour cela que James Kabarebe, qui était naguère chef d’état-major, est devenu ministre de la Défense et n’a plus de prise sur l’armée, que Rose Kabuye, considérée comme une héroïne par l’opinion, a été écartée, que les généraux Muhire et Karenzi Karake ont été tour à tour accusés de corruption… »

Le réquisitoire de l’ancien procureur est lourd aussi d’accusations précises : « Du jour au lendemain, Kagame prend des décisions arbitraires, qu’ailleurs on jugerait ubuesques : il remplace par l’anglais le français parlé par 80 % de la population, ajoutant ainsi au clivage de l’ethnie et de la province celui de la langue ; il interdit le port de sandales à Kigali ; il décide de rassembler les gens dans des villages groupés, les “imidugudu”, interdisant l’habitat dispersé ; il impose des cultures de rente au détriment des cultures vivrières, ce qui provoque des pénuries et même la famine dans certaines régions…

Toutes ces décisions arbitraires provoquent un mécontentement qui à terme peut mener à une explosion… Les visiteurs étrangers refusent de voir qu’il y a un malaise et ils multiplient les éloges… »

Cette explosion violente, Gahima dément cependant vouloir la provoquer : « Nous ne sommes pas dans une dynamique de guerre. Affirmer que notre mouvement recrute des combattants au Nord-Kivu, c’est de la propagande… »

CONTEXTE

Le problème

Au pouvoir depuis la fin du génocide en 1994, réélu triomphalement avec 93 % des suffrages en août dernier, Paul Kagame tient toujours le pays d’une main de fer. Le régime a même durci le ton ces derniers mois, notamment à l’encontre des opposants et de la presse.

L’enjeu

Le Rwanda, un modèle en termes de développement, est l’enfant chéri de la communauté internationale, qui contribue pour 51 % de son budget. Face à ce que certains qualifient de « dérive autoritaire », ces partenaires pourraient décider de réduire ces fonds.

A suivre

Paul Kagame devra faire un choix : s’enfoncer dans la voie de la répression et de la censure au risque d’attiser les tensions ; ou offrir à son peuple l’émancipation politique nécessaire pour permettre au pays de se développer non seulement sur le plan économique, mais aussi démocratique.