Au Sud-Soudan, les "esclaves noirs" se "libčrent des Arabes"
Afrique

@rib News, 09/01/2011 – Source Reutres et AFP

Référendum d'autodétermination au Sud-Soudan

Quatre millions d'habitants du Sud-Soudan, majoritairement chrétiens ou animistes, étaient appelés aux urnes dimanche dans le cadre d'un référendum d'autodétermination qui devrait se solder par une scission avec le Nord, principalement musulman.

De longues files d'attente se sont formées avant même l'ouverture des bureaux de vote de Djouba, la capitale du Sud, et beaucoup d'électeurs ont dû rentrer chez eux sans avoir pu voter, au terme du premier jour d'un scrutin étalé sur une semaine.

Le président du Sud-Soudan, Salva Kiir, a été le premier à déposer son bulletin peu après 08h00 locales (05h00 GMT).

"Je pense que le docteur John (Garang) et tous ceux qui sont morts avec lui sont avec nous aujourd'hui et je veux leur dire qu'ils ne sont pas morts pour rien", a-t-il déclaré, évoquant le chef de la rébellion sudiste mort quelques jours après la signature de l'accord de paix avec le Nord de 2005.

A Djouba, l'acteur George Clooney et le sénateur américain John Kerry se sont mêlés à la foule en liesse.

"C'est quelque chose de voir un peuple voter pour sa liberté. On ne voit pas ça souvent dans sa vie", a dit à Reuters Clooney.

Autre ambiance à Khartoum où les bureaux de vote étaient vides et les quartiers du sud de la capitale calmes, dépourvus de bannières faisant état du référendum historique.

L'issue de la consultation, prévue par des accords de paix qui ont mis fin en 2005 à un demi-siècle de guerre civile, ne fait pratiquement aucun doute et le président islamiste Omar Hassan al Bachir a semblé se résigner à cette sécession mardi lors d'une visite à Djouba.

Mais des questions cruciales irrésolues ont été différées au lendemain du vote. Elles ont trait à la citoyenneté, au partage des revenus du pétrole, dont le Sud possède 70% des gisements, au tracé exact de la frontière et au sort de la zone litigieuse d'Abyeï, qui doit se prononcer par référendum sur son rattachement au Nord ou au Sud.

Des combats y ont opposé dimanche des nomades arabes à une ethnie locale. Des affrontements entre l'armée du Sud-Soudan et des miliciens rebelles ont par ailleurs fait six morts, vendredi et samedi.

Quel nom pour le futur Etat ?

Dans le Nord, la partition est accueillie avec un mélange de résignation et de ressentiment. "On ressent de la tristesse et de la colère en même temps", a déclaré Ibrahim Ghandour, un haut responsable du Parti du Congrès national au pouvoir à Khartoum.

Nombre d'observateurs prédisent que le gouvernement central de Khartoum retardera le plus possible son acceptation du résultat de la consultation, attendu avant le 15 février.

Il a d'ores et déjà fait état de fraudes aux inscriptions sur les listes électorales et les a portées devant la Cour constitutionnelle, dans l'espoir de retarder le processus.

Le Sud espère quant à lui être en meilleure position de négociation après la proclamation du résultat du référendum et ne plus avoir le couteau sous la gorge pour discuter des modalités de son divorce avec le Nord.

Même le nom du futur 54ème membre de l'Union africaine (UA) et 193ème pays du monde, dont le statut est revendiqué par les indépendantistes, n'est pas une affaire réglée. Parmi les appellations envisagées : Nouveau Soudan, Equatorie, Djouwama et République du Nil.

Le Nord et le Sud devront s'entendre sur une forme de partage des richesses pétrolières, dont ils dépendent tous deux. Si le Sud recèle la majorité des gisements, toutes les infrastructures se trouvent dans le Nord : aussi les royalties dépendent-elles de bonnes relations bilatérales.

Une fois les lampions éteints

Une fois les lampions des festivités d'indépendance éteints, les dirigeants des deux Etats distincts devront s'asseoir à une même table pour prendre des décisions dans l'intérêt mutuel de leurs populations et de leurs économies respectives.

Le rôle de la communauté internationale sera crucial à ce stade. Si la plupart des pays donateurs concentreront leur aide et leur attention sur le Sud, pour prévenir l'échec du nouvel Etat, handicapé par sa pauvreté, la communauté internationale devra aussi éviter que le Nord ne glisse vers le radicalisme islamique.

L'inculpation de Bachir par la Cour pénale internationale de La Haye pour génocide et crimes de guerre au Darfour demeure l'obstacle majeur à la véritable incitation que constituerait la levée des sanctions commerciales décrétées par les Etats-Unis contre Khartoum et à l'effacement de sa dette extérieure.

Aussi, si le résultat du référendum sur l'indépendance du Sud-Soudan ne fait guère de doute, les problèmes du Soudan sont-ils loin d'être résolus.

"Nous, les noirs, avons été les esclaves des Arabes"

"Nous avons été les esclaves des Arabes. Nous votons aujourd'hui pour notre liberté", souffle Duku John, jeune Sudiste aux traits carrés, le pouce imbibé d'encre pourpre après avoir voté dans un faubourg poussiéreux lors du référendum d'indépendance du Sud-Soudan.

Dans une région qui a subi l'esclavagisme, attendu 55 ans de pouvoir exercer son droit à l'autodétermination et mené 38 ans de guerre au total avec le gouvernement central de Khartoum, la population ne mâche pas ses mots lorsqu'il est question du référendum.

"Nous, les noirs, avons été les esclaves des Arabes, nous voulons maintenant bâtir notre propre pays", lance le jeune Sudiste, lunettes de soleil et sac en bandoulière, en regardant la longue file d'attente qui s'étend devant le centre de vote de Gudele, ville située dans la banlieue de la capitale sudiste Juba.

"Ce vote est la dernière bataille, nous lançons la dernière bombe sur le Nord", ironise de son côté Charles Sambos, qui a passé 25 ans dans les plantations de sucre du Nord-Soudan, avant de rentrer l'an dernier chez lui au Sud.

"C'est la fin de l'arabisation, la fin de l'islamisation", plaide-t-il, en patientant devant le bureau de vote de Gudele, ville où s'entremêlent huttes de paille, maisonnettes de ciment et habitations en terre, et où des voitures coiffées du drapeau étoilé sudiste retournent la poussière des routes en terre battue.

Comme à Gudele, de longues files d'attente ont été constatées dimanche à travers tout le Sud-Soudan au premier jour du référendum, lors duquel les habitants doivent se prononcer pour la sécession du Sud ou le maintien de l'unité avec le reste du Soudan.

Ce scrutin est le point d'orgue de l'accord de paix global ayant mis fin en 2005 à la seconde guerre civile entre le Nord, musulman et en grande partie arabe, et le Sud, afro-chrétien. Ce conflit a fait deux millions de morts.

Plus de 120.000 Sudistes habitant le Nord sont rentrés au cours des dernières semaines pour participer au vote.

Les analystes pronostiquent une victoire de l'option sécessionniste, et les responsables politiques à Khartoum semblent avoir déjà fait leur deuil du Sud-Soudan.

"J'ai passé ma vie au Sud-Soudan. Parmi les gens que je connais, je peux vous dire que 99% d'entre eux vont voter pour la sécession", affirme Oboy Ofilang Itorong, vêtu d'une tunique blanche qui laisse entrevoir une balafre sur le torse. "Mais bon, un vote demeure secret et on ne sait pas ce qui peut arriver", ajoute-t-il.

"Les Arabes disent que nous formons un pays, que nous sommes ensemble, mais je ne crois pas à ça", argue pour sa part Justin Mogga, un partisan du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM), ex-rébellion sudiste au pouvoir à Juba.

"Nous avons beaucoup de problèmes au Soudan. Tout le développement est concentré à Khartoum", peste-t-il, en reprenant un argument largement développé par les autorités sudistes. "Nous voulons nous séparer du Nord pour voir qui est la cause du problème : les Arabes ou les Noirs", dit-il.