La Démocratie vue par Louis Rwagasore

Extrait de « La vérité sur le Burundi », par B.F. KIRARANGANYA,

pp.34-35. Éditions Naaman de Sherbrooke, Québec, 1977.

Personnellement, je n’ai pas été pris au dépourvu.

J’ai soutenu la démocratie sans y croire vraiment : c’était trop beau pour être faisable…

Il n’était pas raisonnable de penser à une vraie démocratie sans Watergates sanglants avant au moins les années 1990-2000. Excepté à deux conditions : si Louis Rwagasore n’était pas mort, ou si les leaders tutsis avaient bien voulu faire confiance à Pierre Ngendandumwe, ce Hutu de la catégorie d’hommes dont j’ai dit que la valeur personnelle concerne l’intérêt universel.

Louis Rwagasore, au contraire, était sûr de son coup. Selon lui, les chances de la démocratie étaient certaines et les Barundi étaient mûrs pour la belle aventure !

Je dus alors suivre à cause de mon admiration pour le grand leader de notre parti.

Un jour, je voulus m’assurer une fois pour toutes de ses intentions les plus intimes à ce sujet. Nous étions, ce jour-là, en voyage pour plus d’une heure et demie sur le trajet Gitega – Bujumbura, cent-onze (111) kilomètres de mauvaises routes. Nous avions donc tout le temps de discuter de n’importe quel sujet sans être interrompus ou dérangés. Je lui demandai alors, très sérieux :

- Prince, cette démocratie que nous prêchons, est-ce que c’est sérieux ? C’est de la blague ou quoi ? Vous y croyez vraiment, vous, ou c’est seulement pour rigoler ?

- J’y crois parfaitement.

- Ne pensez-vous pas que, de fil en aiguille, le peuple n’en arrive à réclamer jusqu’à l’élection du chef de l’Etat lui-même ? Et que vos chances, à vous, en tant que prince seront fortement diminuées ? Pas maintenant bien sûr, mais dans les années plus ou moins proches. Vous voyez ça d’ici…

- Oui, je vois ça d’ici, me répondit-il ironiquement. Mais je dois aussi vous dire une chose, continua-t-il, très sérieux : la démocratie, voilà au moins la meilleure chose que les Belges ont pu nous suggérer. Le peuple burundais a droit à la dignité et à la liberté, nous devons donc le diriger par la démocratie. Si demain le peuple ne veut plus de mon père (Mwambutsa IV), je serai le premier à lui conseiller d’abdiquer.

Tandis que je l’écoutais avec intérêt sans l’interrompre, il continua :

- Quant aux chefs de chefferies, bien que la plupart soient de ma famille, je ne les renie pas, mais il faut qu’ils soient là de par la volonté du peuple. Ils faut qu’ils soient élus. Je suis sûr que ceux d’entre eux qui se sont toujours souciés de la justice et du bien-être de leurs populations seront élus, puis réélus. Ceux qui se sont mal conduits, ce n’est pas à moi ni à notre parti de les soutenir, d’endosser leurs fautes. Ce sera vraisemblablement leur fin et ce sera mieux ainsi. En ce qui me concerne personnellement, eh bien, nous avons fait des études et je suis jeune : si je ne suis pas élu je travaillerai toujours quelque part. Mais le peuple sera content. Dès aujourd’hui, si j’étais sûr que les Burundais (il disait Barundi, terme plus académique) veuillent déjà la République et que cette solution soit la meilleure, je ne ferai absolument rien pour les en empêcher. Ce serait leur droit le plus légitime.