Burundi/1972 : quelques éclairages sur ce génocide oublié, occulté, nié
Analyses

@rib News, 24/05/2011

Génocide contre les Hutu du Burundi :

« Nous n’avons jamais revu ceux qu’on a conduits à l’abattoir »

Par Joseph Ntamahungiro - Bruxelles, 21 Mai 2011

Hôtel Manhattan, Boulevard A Max, 132-134 à 1000 Bruxelles

Joseph NtamahungiroCommunication faite dans le cadre de la « Conférence internationale pour toutes les victimes rwandaises, congolaises et burundaises et la question des victimes des médias, de la justice et autres »

Il y a 23 jours (le 29 Avril 2011), des membres de la Diaspora burundaise de Belgique se sont retrouvés devant le Palais de justice de Bruxelles et ont déroulé une grande banderole avec ces mots: «Nous n’avons jamais revu ceux qu’on a conduits à l’abattoir ».  C’était à l’occasion de la 39ème commémoration des victimes du génocide contre les Hutu du Burundi. Compte tenu du temps qui m’est imparti, ma contribution va juste donner quelques éclairages sur ce génocide oublié, occulté, nié. Il faudrait en effet des journées entières pour tenter d’en donner les contours.  Disons d’emblée qu’il avait été dénoncé, 4 ans avant son exécution, dans ce qu’on a appelé «le plan Simbananiye de l’extermination des Hutu », par un ministre hutu[1] du Gouvernement du Capitaine Michel Micombero, un Tutsi Hima qui venait de renverser la monarchie en 1966 et porta au pouvoir les Tutsi Hima qui, jusque là, étaient exclus du pouvoir.

Bref rappel du drame

Comme le rappelait le Professeur René Lemarchand en 2002[2], «le Burundi a sombré dans l’abîme, dans l’indicible d’une horreur génocidaire (…)  D’avril à juin 1972, de 100.000 à 200.000 Hutu tombèrent sous les coups de l’armée et des Jeunesses révolutionnaires Rwagasore, l’une et l’autre dominées par des éléments Tutsi. Que ces massacres aient été précipités par une insurrection hutu, localisée dans le sud du pays, ne justifie en rien l’extraordinaire brutalité de la répression ».  Effectivement, le génocide contre les Hutu du Burundi a pris pour prétexte une insurrection des Hutu qui a éclaté le 29 avril 1972 dans des régions du Sud du pays qui ont massacré des Tutsi.  On parle de 2.000 à 5.000 Tutsi, chiffre donné par le pouvoir alors en place, donc difficilement vérifiable.  En réaction, la répression du pouvoir entraîne la mort d’au moins 100.000 Hutu et certains, comme Boniface Kiraranganya, un Tutsi, parlent de 300.000[3]. Ce qu’il faut aussi préciser d’emblée, c’est que cette révolte était intervenue suite à des années de brimades, d’exclusions et même d’assassinats de Hutu, notamment en 1964 quand des syndicalistes hutu furent enterrés vivants.  Depuis le génocide donc, silence radio.  Et pour cause. Comme dit plus haut, le génocide avait été orchestré par le ministre de la justice d’alors, Arthémon Simbananiye. Il prit pour cible tout Hutu, à commencer par les membres du gouvernement, les officiers, les hommes de troupes.  Comme l’écrivait un correspondant du journal Le Soir, «tout élément Hutu en tant soit peu intellectuel est arrêté, battu, torturé, voire abattu sur place sans jugement (….). Même les employés  subalternes sont atteints par la répression : plantons, domestiques, ainsi que certains employés hutu de diverses sociétés privées »[4].  Selon la même source, «Des Hutu sont exécutés sur simple dénonciation, certains ont été fusillés, en public par les forces de l’ordre (….). Les gens arrêtées sont empilés dans des camions, couchés sur le ventre : les soldats se tiennent debout sur eux, le doigt sur la détente ; plusieurs camions de cadavres venant du camp militaire ont été aperçus.  Cette répression prend de plus en plus l’allure d’un génocide de l’élite Hutu.  L’armée fut épurée de tout élément hutu.  Environ 700 soldats (c’est-à-dire presque la moitié des troupes), furent passés par les armes du début de la rébellion, ainsi que tous les éléments hutu ayant atteint  le rang d’officier »[5]

Selon d’autres témoignes, «Au départ, les gens étaient tuées par balles, mais ensuite, le sadisme de leurs tortionnaires  et l’épuisement de munitions ont entraîné ces derniers à recourir à d’autres méthodes, comme l’usage du marteau ou simplement l’enterrement des condamnés encore vivants. »[6]

Et contrairement à la thèse qui affirme que ce sont les Hutu qui ont planifié et commis un génocide contre les Tutsi[7].  Il aura fallu des mois pour que les Hutu réalisent ce qui se passait.  Se sachant innocents, tous ont été arrêtés sans aucune résistance et se sont laissés conduire à la mort comme des agneaux qu’on conduit à l’abattoir.  Beaucoup furent torturés, puis massacrés et jetés dans des fosses communes.  Même des ministres ou des hauts fonctionnaires en mission sont rentrés au Burundi malgré les avertissements de leurs amis à l’étranger.  Ils ont été arrêtés aussitôt qu’ils ont foulé le sol burundais et exécutés.

Cynisme envers les rescapés

Boniface Fidèle Kiraranganya déjà cité écrit : «Si un jour, par malheur, je deviens fou (….), les événements d’avril-mai 1972 à eux seuls y auraient contribué pour au moins 95 %. Je ne vois pas ce que je n’aurais pas donné pour ne pas voir 1972. Avril-mai 1972, ça dépasse tout ce qu’on a déjà eu. C’est le comble.  La goutte d’eau.  C’est le paroxysme de la démence, l’exemple le plus parfait de ce qu’un homme est capable  de faire lorsque le pouvoir lui permet tout, lorsque plus rien ne l’oblige à dominer son instinct de destruction ».[8]

Pour tuer encore plus les membres des familles de victimes, le régime de Michel Micombero s’approprie de tous les biens des personnes tuées.  En octobre 1972, le procureur de la République annonça que leurs voitures personnelles, leurs maisons, leurs commerces et leurs comptes en banque, devaient «venir en aide aux familles des victimes de la rébellion».  Par comble de cynisme envers les Hutu, le journal officiel Flash-Info a écrit à propos de ces mesures : «Dans son désir constant de réconciliation et d’unité nationale, le colonel Michel Micombero a voulu que les veuves et les orphelins trouvent dans cette mesure de grâce l’expression de son indéfectible attachement à la cause de tout le peuple burundais ».[9]

Pourquoi ce silence, ce déni et ce négationnisme ?

Comme on devait s’y attendre, le pouvoir de Micombero a nié ce génocide et les différents gouvernements tutsis qui lui ont succédé ont fait de même. Quant aux régimes hutus, ceux qui n’ont pas été balayés en quelques jours comme celui du Président Melchior Ndadaye, n’osent pas le reconnaître officiellement pour ne pas s’attirer les foudres de ceux qui l’ont commis et qui sont encore très puissants et qui pourraient leur faire payer ce geste.  Ici, nous avons même à faire à un système d’inversion, à savoir que les victimes deviennent les bourreaux et les bourreaux les victimes.  Selon le gouvernement de Micombero et ses thuriféraires, même si officiellement on met en cause quelques extrémistes hutu, en réalité c’est le peuple hutu dans son ensemble qui a commis le génocide contre les Tutsi et qui doit en payer le prix le plus fort. Il faut donc d’abord le salir le plus possible selon la technique dont parle Pascal Bruckner (romancier et essayiste français cité par le Professeur René Lemarchand), «plus le forfait que l’on projette est monstrueux, plus la future victime elle-même doit paraître monstrueuse ».

Pourquoi se battre pour faire reconnaître le génocide contre les Hutu qui  a débuté le 29 avril 1972 ?

En refusant de reconnaître ce génocide contre les Hutu, le gouvernement de Micombero et ceux qui soutiennent ce crime tentent de liquider une fois de plus les Hutu en leur enlevant leur mémoire.  C’est contre ce programme macabre que se bat le groupe qui commémore chaque année, depuis 1973, les victimes du 29 avril 1972 et des mois qui ont suivi, car le génocide s’est poursuivi durant toute l’année 1973.  C’est pour lutter contre cette opprobre et cet oubli que le groupe a lancé deux initiatives le 29 avril 2011. A savoir :

1)      Envoyer pour la deuxième fois, une Lettre aux Présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat du Burundi leur demandant de «Faire du 29 avril une journée du souvenir et ériger un monument rappelant le génocide contre les Hutu du Burundi »

2)      Lancer une campagne baptisée « Honorer nos héros »[10] afin de rendre justice à toutes celles et à tous ceux, burundais et non burundais, qui ont osé dire NON A L’INHUMANITE en sauvant d’une mort certaine tous les Hutu poursuivis par les sbires du régime de Micombero et dont la très grande majorité ont été abattus comme du gibier.

En même temps, dans un message diffusé à l’occasion de la 39ème commémoration de la mémoire des victimes du génocide contre les Hutu du Burundi en 1972, le groupe a réaffirmé son credo en rappelant que cette commémoration répond à un objectif multiple :

1)     Se souvenir de tous les morts du Burundi, victimes du génocide ou des massacres successifs qui ont endeuillé le Burundi, de 1962 à nos jours.

2)     Donner aux enfants, aux parents, aux veufs, aux veuves et aux orphelins, l’occasion de pleurer leurs morts, car cela a été rarement possible.

3)     Interpeller la communauté internationale, l’ONU en tête, pour qu’elle dénonce et reconnaisse ce génocide de 1972

4)     Interpeller le public sur le silence total observé sur ce drame et lancer un appel à la solidarité en faveur de toutes les victimes de ce génocide et des massacres successifs qui ont endeuillé le Burundi.

5)     Dire NON à ce génocide qui continue à hanter nos esprits sous le signe de l’impunité.

6)     Lancer un message d’espérance à tous les Burundais afin qu’ils mettent fin, une fois pour toutes, à la spirale de la violence qui engendre la haine, la méfiance, l’insécurité et la mortEn renonçant à l’idéologie de la mort, à cette folie meurtrière, on opte pour la VIE dans la Paix et la Sécurité pour tous et le Respect des Droits de l’Homme, ainsi que dans la dignité de tout le peuple burundais.

Brève Conclusion

Les organisateurs de la commémoration annuelle des victimes du génocide de 1972 savent qu’ils ne peuvent d’abord compter que sur eux-mêmes et que l’apport et la solidarité des amis ne peuvent venir qu’en appui à leur détermination. Ce faisant, ils ne veulent  pas nier la souffrance des autres, les Tutsi et les Twa. Avec l’ancien ministre burundais des Droits de l’Homme, Eugène Nindorera, ils affirment qu’«au Burundi, il y a eu génocide chaque fois qu’un Burundais a été tué pour son ethnie »[11].  Ils sont aussi convaincus que les Burundais doivent prendre leur courage à deux mains pour reconnaître eux-mêmes qu’il y a eu génocide.  «Il est temps, écrit encore Eugène Nindorera, de démystifier la Communauté internationale dont les motivations sont souvent caractérisées par les rapports de force et la prééminence des intérêts politiques et économiques».[12]

Les Hutu du Burundi l’ont justement appris à leurs dépends à propos de l’ONU. Celle-ci a toujours refusé de reconnaître le génocide contre les Hutu  de 1972.  Pire, elle a longtemps fait la sourde oreille à la demande des autorités burundaises de mener une enquête sur l’assassinat du Président Melchior Ndadaye, 1er Président démocratiquement élu et 1er Hutu à occuper ce poste. Et quand elle a décidé de le faire, elle a produit un rapport[13] scandaleux et pour le moins indigne d’une organisation comme l’ONU, comme l’ont démontré par un groupe d’intellectuels burundais[14]. En effet, au lieu d’enquêter sur l’assassinat du Président Ndadaye comme consigné dans son mandat, la Commission d’Enquête Internationale (CEI) a enquêté sur celui des Tutsi tués à la suite de cet assassinat. Et elle a conclu qu’il y avait eu génocide contre les Tutsi.  Produit après le rôle négatif joué par Ould Abdallah, ancien Représentant du Secrétaire général de l’ONU au Burundi[15], et l’attitude aussi négative que néfaste de la Mission d’Observation des Nations Unies au Burundi (MIOB) baptisée myope car elle refusait de voir les victimes hutu de l’armée et des milices tutsi, ce rapport a définitivement fait comprendre à tous les Burundais qui aspirent à la justice et à la démocratie qu’ils ne pouvaient plus rien attendre de l’ONU, une institution dans les mains et au service des puissants et des vainqueurs contre les faibles et les vaincus.


[1] NDAYAHOZE Martin: Rapport politique N° 093/100/CAB/68 paru in Unité et Révolution, Bujumbura 24 décembre 1968 sous le titre Le Tribalisme au Burundi, 6 p.

[2] LEMARCHAND René: Le génocide de 1972 au Burundi : Les silences de l’histoire », in Cahiers d’Études africaines, 167, XLII-3, 2002, pp. 551-567.

[3] KIRARANGANYA Boniface Fidèle: La vérité sur le Burundi, Edition Naaman, Québec, 1977, 110 p.

[4] Le Soir, Bruxelles, 24 mai 1972, cité par René Lemarchand

[5] Idem

[6] Ibidem

[7] RUTAMUCERO Diomède: Le génocide contre les Tutsi du Burundi, un crime avoué mais impuni, Bujumbura, 2009

[8] Cité par René Lemarchand

[9] Ibidem

[10] Voir Victor Ntacorigira, «Lancement de la Campagne ‘Honorer nos héros’», Bruxelles, 29 avril 2011, 2 p.

[11] Cité de mémoire

[12] NINDORERA Eugène : La problématique du génocide  et des autres crimes contre l’humanité au Burundi, point de vue, Bujumbura, 14 janvier 1999, p. 6

[13] Nations Unies, Commission d’Enquête Internationale sur le Burundi, Rapport final S119961682, New York, 23/07/1996, 96 p.

[14] Groupe de Réflexion et d’Action sur le Burundi (GRAB), « Scandale d’une enquête de l’ONU », Bruxelles, février 1997, 97 p.

[15] Voir notamment VANDENGISTE Stef: Justice, Transition politique et Coopération Internationale au Burundi (Centre d’Etude de la Région des Grands Lacs, l’Afrique des Grands Lacs, Annuaire 1997-1998, Paris, L’Harmattan 1998