Conférences : "Vérité et réconciliation au Burundi : État de la question"
Analyses

@rib News, 16/06/2011

Burundi : Vous avez bien dit post-ethnique ?

Repenser l’engagement politique dans le contexte actuel. Enjeux, défis et perspectives.

Emmanuel BamenyekanyePar Emmanuel Bamenyekanye

Justification

Certains de nos concitoyens pensent que nous avons vidé le contentieux ethnique, et que nous serions passés à un Burundi post-ethnique. Ils en veulent pour preuve les conclusions tirées du récent rapport du NDI – Le chemin devant – dans lequel 500 électeurs burundais sondés dans des groupes de discussion au sortir des urnes de 2010 déclarent ne plus tenir compte de la dimension ethnique dans le choix de leurs dirigeants. Nous vivons dans un pays schizophrène, dans la mesure où, paradoxalement, Arusha nous impose un jeu d’équilibres ethniques où, sur des listes bloquées, les électeurs sont obligés de choisir des dirigeants représentant les différentes communautés ethniques du Burundi. Un système de cooptation permet aussi une représentation des Batwa, véritables damnés de la terre burundaise et des institutions de notre République.

Sans entrer dans la polémique déclenchée par ce bricolage institutionnel qui, quelque gauche qu’il soit, nous a jusqu’ici assuré une paix relative, après des décennies de tragédies sans nom, nous pouvons constater que le discours politique burundais, repris comme une sorte d’incantation par divers acteurs, nationaux et internationaux, soutient que la question ethnique n’a plus de pertinence dans l’espace public. La gestion calamiteuse des fonds publics et des enjeux sécuritaires par la nouvelle équipe donne aux tenants de ce discours des munitions supplémentaires : dominé par la majorité hutu, le leadership politique actuel ne parvient pas à faire mieux que les régimes précédents, comme pour faire la preuve que, quelle que soit l’ethnie des dirigeants, la politique burundaise est la même : la corruption règne partout, les prisons sont pleines, les exécutions extrajudiciaires continuent et Bujumbura capte invariablement la majeure partie des ressources du pays, laissant l’arrière pays à son dénuement, etc. Plus ça change… plus c’est la même chose, diraient les cyniques. Désormais, soutiennent certains, il faut placer la lutte uniquement sur le terrain de la bonne gouvernance et de la défense des droits humains. La preuve en est que, dans les interactions de la vie quotidienne, les Burundais sont déjà passé à autre chose…

Au-delà et en marge des cadres institutionnels classiques comme les partis politiques, l’engagement politique au Burundi ne s’est jamais aussi bien porté : à travers les médias, à travers la société civile, à travers les ONG, nombre de Burundais s’investissent pour redonner du sens à l’appartenance à la communauté nationale. On pourrait se demander si cet engagement suit encore les lignes de fracture ethnique ou s’il reflète lui aussi, s’il reflète déjà, ce Burundi post-ethnique. On pourrait aussi se demander si le grand déballage mémoriel auquel nous prépare la Commission Vérité et réconciliation, que nous attendons toujours, risque de compromettre cet élan vers la liquidation du contentieux ethnique.

La conférence que je propose se donne comme objectif d’explorer ces voies et moyens de cheminer vers des lendemains qui chantent, parce que, précisément, ils ne sont plus placés sous la signe de la confrontation ethnique, de la guerre de tous contre tous.

Avons-nous vraiment vidé le contentieux ethnique ?

Poser des questions sur la liquidation du contentieux ethnique au Burundi relève de la provocation ou, pour certains, de la « ringardise ». J’ai été pris à parti au Burundi par un de mes amis quand j’ai soulevé la question de l’image du Burundi telle qu’elle apparaît sur nos écrans de télévision, suivant en cela les réflexions que l’on mène en Occident au sujet d’une juste représentation des composantes de la population dans ces espaces symboliques que sont nos écrans de télévision. Il m’a été reproché d’être dépassé par l’évolution du Burundi où ces questions d’ethnie ne font plus l’objet de débat, ayant eu, déjà, leur réponse. J’imagine que mon ami aurait réagi de la même manière si je lui avais dit que je déteste le film Na Wewe, parce qu’il présente les résistants armés comme des monstres, apparus en 1994, sans se questionner sur le ventre où ils ont pris naissance.

Mais la réponse institutionnelle aux déchirements ethniques, à qui nous devons cette embellie, nous empêche-t-elle de mener d’autres batailles notamment sur le terrain des symboles pour une plus juste représentation des composantes de la mosaïque nationale ? Telle profession représentée à 80% par une ethnie nous ressemble-t-elle ou faut-il travailler à la rendre plus représentative de nos différences ? Les tutsis sont-ils contents quand une délégation envoyée à l’étranger est monoethnique hutue ? Les hutus sont-ils contents quand une délégation à une foire internationale est monoethnique tutsie ?

Poser ces questions n’est ni ringard ni irresponsable. Quand il a fini sa rédaction du livre Portrait du colonisateur et portrait du colonisé, Albert Memmi s’est rendu compte que son analyse s’appliquait à toutes les formes de domination. Nous ne pouvons pas liquider en moins de 10 ans un système de ségrégation qui a marqué le pays et les esprits pendant si longtemps. Mais nous pouvons travailler à améliorer les institutions que nous avons mises en place en nous assurant que chacun y est représenté, sans forcément viser à aligner des statistiques. Il faut avoir le courage de bousculer les consensus factices, de ramer à contre-courant, en posant les questions qui dérangent !

La première série de conférences sera co-animée par deux éminents chercheurs :

1. Dr Fabien Cishahayo.

Professeur au département de communication de l’Université de Sudbury, en Ontario (Canada) Fabien Cishahayo a une double formation en langue et littérature françaises (Université du Burundi, Licence) et en communication (Université de Montréal, Maîtrise et Doctorat).

Titre : « Avons-nous vraiment vidé le contentieux ethnique au Burundi ? »

2. Dr Angelo Barampama

Dr en géographie, Professeur chargé de cours à l’Université de Genève et enseignant au Collège de Genève.

Titre : « Grands Lacs africains : Sortir définitivement de l’ethnisme pour empoigner les vrais défis du moment »

Lieu :

  • Bruxelles :   Samedi 18 juin 2011 de 14h à 16h

                           Auberge de la Jeunesse Jacques Brel

                           30, Rue de la sablonnière

                           Zavelputstraat

                           1000 Bruxelles

  • Lausanne :  Dimanche 26 juin 2011 de 15h00 à 17h00

                           Espace Riponne, Place de la Rippone 5

                           (En face de la cathédrale du Valentin,

                            2 parkings couverts à proximité)