Discrétion absolue autour de la mort de Pierre Ngendandumwe

Quarante ans de discrétion construite sur la disparition du Premier ministre Pierre Ngendandumwe.

Témoignage de Rose Ntwenga - @rib News, 15/01/2005

Pierre Ngendandumwe, Premier ministre, pour la deuxième fois dans un gouvernement sous la royauté s’est effondré dans sa voiture*(1) le 15/01/1965 devant la clinique Prince Louis Rwagasore. Des coups de feu l’ont atteint. Gonzalve Muyenzi a vite été arrêté suspecté du forfait ainsi qu’une quarantaine d’agitateurs politiques, très critiques et violents envers le Premier ministre. Le ministre de la justice, Pierre Claver Nuwinkware s’est hâté d’emprisonner toutes ces personnes. Leurs protestations contre ces mesures ont sonné juste. Le leurre a parfaitement bien marché.

Le véritable auteur du tir fatal contre Pierre Ngandandumwe est une autre personne dont l’identité n’a jamais été un secret.

Quarante ans après, il me semble important de fixer les morceaux de souvenir de cet épisode. Je souhaite éviter cette sorte d’effacement, de non-existence de Pierre Ngendandumwe et de ses amis, politiciens Hutu des années soixante disparus par vagues successives.

Je me suis retrouvée dépositaire de ce difficile épisode après la mort de Gilbert Ntiryica en 1974*(2 ). En effet, les amis de Pierre Ngendandumwe n’ont compris le mécanisme du leurre Gonzalve Muyenzi que trois années après*(3). Une filature et une observation de ses faits et de ses gestes ont été organisés. Cette personne leur était connue et leur semblait incapable d’un tel sang froid.

De ma propre mémoire, je ne peux situer à quel moment l’auteur du tir s’est établi au Congo. Cependant, cette réalité des faits a provoqué un profond changement dans les convictions religieuses des amis de Pierre Ngendandumwe.

Tout en conservant leur foi catholique, ils ont abandonné la liturgie. Plusieurs dimanches matin de l’année 68 et 69 à la place de l’office religieux, M. Majorico*(4)et un employé de mon père dans le bâtiment, ont rapporté des détails et des précisions dominés par l’impuissance et l’incrédulité !

Ces échanges de points de vue se sont déroulés à Kamenge, secteur C n°29.

Personne parmi eux n’avait vu une arme à feu de près.

Ils ont parlé avec regret du Commandant du camp militaire de l’Ecole Normale de l’Etat (E.N.E) actuellement camp Kamenge qui aurait pu leur expliquer.

Ils ont demandé aux Congolais, ceux susceptibles d’avoir participé à la rébellion et qui avaient déjà vu une arme de près. Au-delà des récits folkloriques, ces congolais étaient avant tout des chasseurs traditionnels, plutôt éclaireurs que combattants. Un messager du major Thomas Ndabemeye arrivait régulièrement au moment de ces discussions sans les interrompre ni les influencer…

Après, les amis de Pierre Ngendandumwe ont été emprisonnés en 1969.

Puis ils ont tous disparus au cours du génocide de 1972*-1973. (5)

Au cours de l’année 1980-1981, ceux  « chargés de garder la mémoire » ont appris que Gonzalve Muyenzi est mort lapidé dans des circonstances mystérieuses à la prison de Makindye en Ouganda. « On » a rapporté que l’étiquette d’homme de main et d’assassin commençait à le fatiguer. Las d’avoir expliqué son rôle de diversion dans divers endroits, il a menacé de mettre son histoire sur la place publique.

Au milieu des années 80, mon demi-frère, Félix Ntwenga Junior a été informé par son cousin maternel*(6), que toutes les peines, vexations et humiliations subies par son père, étaient consécutives à l’assassinat de Pierre Ngendandumwe. Son cousin a été prêt de lui montrer la résidence de l’auteur du tir à Uvira (Congo), tout près de la sous région, côté lac. J’ai dissuadé mon demi-frère de se mêler de ces histoires d’adultes. D’autres personnes s’en sont chargées depuis 1968.

Puis, en 1994, je me suis retrouvée à me questionner sur l’intervention parasite de Christophe Mushite, sur ma participation à une initiative en faveur de la démocratie au Burundi. En tant que beau-fils de Pierre Ngendandumwe, il a estimé être mieux placé que moi pour parler des péripéties traversées par le Burundi depuis l’indépendance en 1962. Nous n’avions pas de compte à nous rendre sur nos engagements respectifs. Chacun suit son inspiration et les opportunités offertes !

Les explications sur la discrétion autour de Pierre Ngendandumwe, ses amis et les politiciens hutu des années 60 sont multiples. Cependant, à la faveur de la création de la Commission Vérité et Réconciliation, je souhaite qu’à travers les divers témoignages, leur vie leur soit rendue dans leur entièreté. Il n’y a rien de plus anesthésiant que cette appellation commode de politicien « Hutu des années 60 », label destructeur construit par la malveillance de leurs rivaux politiques.

Leurs enfants, péniblement remis de l’émotion des disparitions, se demandent encore aujourd’hui : « Qu’ont-ils réellement fait ? ». Cette discrétion absolue mine notre société depuis quarante ans. Construire un présent et un avenir communs implique d’assumer ce lourd passé tu et comme nié. Aujourd’hui, se remémorer publiquement, pour ceux qui le peuvent, est devenu un devoir impérieux. Afin que le souvenir même de leur existence ne s’efface pas !

Rose Ntwenga.


  1. D’autres témoignages décrivent le Premier ministre effondré à l’entrée de l’hôpital

  2. Fils de Zacharie Ntiryica, ministre des Travaux Publics le 18 juin 63 (premier gouvernement Ngendandumwe). Mon père, Venant Ntwenga était son Directeur Général. Je ne suis pas la seule dépositaire. D’autres personnes ont des informations inédites et complémentaires sur les mêmes faits.

  3. Le 15/01/66, les rescapés du génocide de 65 (Rapport Whitaker, ONU 1985) sont tous emprisonnés

  4. C’est une déformation de Dominique, agent de la poste. C’est mon parrain, mais tout allait trop vite autour de nous, que je ne connais pas son nom de famille.

  5. Rapport Whitaker, ONU 1985

  6. Le fils de Noël (le pasteur) et d’Angélina. Le capitaine Charles Ndikumagenge connaît les liens de parenté entre ce couple et Joséphine Mfubusa, la mère de Félix. Elle a été placée auprès de mon père pour surveiller ses activités politiques de 63 à 66. Ce sont des parentés complexes et croisées entre cette femme et M. Bangemu, M. Prime Niyongabo, C. Ndikumagenge, etc. La plupart sont à considérer comme les piliers de l’échafaudage de la Première République.