Peut-on parler de pré-négociations inter-burundaises à Bruxelles ?
Opinion

@rib News, 27/06/2011

Contacts informels ou début des négociations ?

Par Daniel Kabuto

Après avoir lu mon clin d’œil aux autorités burundaises pour une action d’envergure en faveur du retour de la banque de la ZEP à Bujumbura, un internaute m’a écrit pour me demander si je venais d’emprunter le même chemin que les politiciens qui se sont mis à l’abri en Europe. Autrement dit, si je rejoignais l’ADC IKIBIRI ! Juste quelques semaines et je suis de retour. Je reste un libre penseur et un esprit plus ou moins indépendant, mais jamais un politicien amnésique et cupide. Disons qu’on est plutôt privilégié quand on appartient à la fois à la diaspora et aux gens du bercail. On peut interpeller aussi bien les autorités de la mère patrie que celles du pays d’adoption.

La tournure des événements semble prouver que le rejet du verdict des urnes n’aura été qu’un grand stratagème. Tout Burundais doit se sentir concerné par l’insécurité qui caractérise certaines parties du pays. Les embuscades sur les axes routiers reviennent, la collecte des cotisations en faveur des combattants n’est qu’un secret de polichinelle dans certaines provinces. Comment y remédier ? On ne doit pas fermer la porte au dialogue. On sait déjà que les protagonistes burundais s’efforcent de trouver une base, d’écarter des langages ou stratégies qui ne font que faire couler du sang innocent ou naïf. Quelles que soient les revendications, il n’y a aucune raison pour les Burundais de déterrer la hache de la guerre. Pour les nations puissantes par contre, les raisons sont nombreuses et pèsent dans la balance, notamment le contrôle du centre des intérêts du régime actuel, le contrôle des contrats d’exploration du sous-sol, le contrôle du marché des télécommunications, l’influence à avoir dans les affaires de la sous-région etc.  

A mon arrivée à Bruxelles, j’apprenais que les présidents du CNDD-FDD, du FRODEBU NYAKURI et de l’UPRONA étaient attendus pour des échanges constructifs. Lors de la rencontre des présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale du Burundi avec la diaspora du BENELUX à la résidence de l’ambassadeur du Burundi le vendredi 17 juin 2011, les deux personnalités ont reconnu qu’il y a des difficultés. Qu’il s’agisse de Gabriel NTISEZERANA ou de Pie NTAVYOHANYUMA, ils ont souligné qu’on ne peut point remettre en cause les élections de 2010. Ici semble se trouver le nœud du puzzle. Car la légitimité des urnes semble avoir requinqué le régime en place jusqu’à chambarder les lois et les règles du jeu démocratique.

Il me fallait aller du côté des diplomates chevronnés à Bruxelles et à La Haye pour entendre que le Burundi se comporte pour le moment comme un malade atteint d’un ulcère mais qui aimerait se faire soigner les ongles. Est-ce ici une affaire de pronostic ? Sinon, le diagnostic est-il sincère, objectif et moins tendancieux ? Dans l’histoire de l’Afrique, on a vu le roi Rudahigwa du Rwanda mourir entre les mains d’un médecin belge à Bujumbura alors qu’il ne subissait qu’un contrôle de routine ; on a vu le président Ahidjo du Cameroun céder le pouvoir sous prétexte qu’il ne lui restait que quelques mois à vivre. Il est mort bien des années plus tard en exil au Sénégal, dépressif et abandonné de tous. On a vu Laurent Gbagbo en sueurs.  

Mais sous un autre angle, il ne faut jamais sous-estimer la force de frappe d’un opposant ou résistant qui abandonne tout et s’éloigne avec l’espoir de revenir comme Charles de Gaulle au secours de la France occupée. Parmi les leçons de la seconde guerre mondiale, on retient qu’avant de voler au secours des peuples opprimés, les Occidentaux discutent carte sur table des retombées de l’intervention. Prague et Varsovie en savent quelque chose.

Autrement dit, une guerre n’est jamais celle dont se félicite le petit citoyen. On fait des cadavres un tapis sanglant vers la réalisation des enjeux à cent lieues des aspirations du peuple. Nicolas Machiavel disait: « On ne peut non plus appeler vaillance le fait de tuer ses concitoyens, de trahir ses amis, de ne pas avoir de parole, de pitié et de religion : toutes manières qui peuvent faire acquérir le pouvoir, non la gloire.»

Le Burundi s’achemine vers la fête de l’âge d’Abraham. Disons qu’aux Pays-Bas, quand on célèbre cinquante ans de vie pour un homme, on parle de l’âge d’Abraham. Mwezi Gisabo doit se retourner dans sa tombe car, mise à part la parenthèse coloniale, le Burundi existe depuis bien des siècles. Comme si la célébration du cinquantenaire dans l’effet d’entraînement continental devenait grotesque. Le bilan de ces années d’autonomie politique et économique en Afrique est généralement désastreux : coups d’Etat militaires, cynisme, dictatures, égoïsmes, népotisme, clientélisme, guerres, génocides, tribalisme et sous-développement chronique. On meurt encore de faim et l’eau potable fait cruellement défaut. Les budgets nationaux tendent les mains pour se gonfler de manne étrangère comme de cet amour-propre dont Voltaire disait qu’il s’agit d’un ballon rempli d’air et d’où sortent des tempêtes quand on lui fait des piqûres!

Une année avant le cinquantenaire de l’indépendance du Burundi, on s’y voit déjà. Les citadins de Bujumbura sont depuis peu soulagés par la réparation de deux avenues importantes : celle de la mission et celle de l’amitié. Cette dernière relie le marché central au boulevard de l’UPRONA en longeant les bureaux de la SOCABU et était en état de délabrement très avancé. Bientôt ce cauchemar ne sera qu’un souvenir. Partant, la ville devient de plus en plus belle et c’est tout en l’honneur des autorités. Inutile de signaler que la société japonaise qui va construire l’autoroute qui va partir de la brasserie, passer près du port et relier l’avenue du large au boulevard du 28 novembre est déjà à l’œuvre.

Ces efforts de reconstruction et de modernisation du pays méritent d’être salués. On devrait s’y attarder plus d’aux faits divers tragiques, hélas monnaie courante dans notre république en marche tortueuse vers la paix et le développement. Il est clair que vers l’âge d’Abraham, le Burundi mérite qu’on lui trouve assez de sagesse comme ses cheveux blancs sur la tête. Ce sera beaucoup de fierté pour nous, ses enfants et petits enfants. Cela commence par le rejet de la corruption, du clientélisme, du cynisme, des diffamations, des égoïsmes, des fuites en avant et des trahisons. Il faut un changement de comportements et de mentalités, pour plus de justice sociale, plus d’équité et de transparence dans la gestion publiques. Même si à certains citoyens, le Burundi n’a donné que calvaire, dégoût et désillusions, c’est notre patrie. On doit l’aimer malgré tout. Pour atteindre cet âge d’Abraham, notre pays a beaucoup souffert. L’hymne national nous le rappelle sans cesse.

A l’instar de Machiavel, disons que les responsables politiques de notre pays doivent faire montre de vaillance et éviter à leurs compatriotes l’enfer de la guerre. Nous saluons déjà ces contacts informels de Bruxelles. Que nos dirigeants sachent que « parmi toutes choses dont un prince doit se garder, il y a le fait d’être méprisable et odieux.» Ce serait une gifle grave sur la joue de Pierre Nkurunziza si le roi des Belges déclinait ’invitation de participer aux cérémonies de célébration du cinquantenaire. Ce qui est plus grave serait sans doute de célébrer le cinquantenaire sous le bruit des armes.

Pays-Bas, 27 juin 2011

Daniel KABUTO, écrivain.