Le 19 octobre burundais
Analyses

@rib News, 19/10/2008

LE 19 OCTOBRE BURUNDAIS : LETTRE A ISIDORE

Par Nils Gasarara – Correspondance particulière

Au printemps 2004, au Palexpo sis à quelques pas de l’aéroport de Cointrin, Perpétue Nshimirimana, une Burundaise, a présenté avec succès, au Salon international du livre de Genève, LETTRE A ISIDORE, un poignant récit autobiographique de témoignages et de souvenirs. De quoi s’agit-il ?

Isidore Mugabonihera est gendarme dans une importante garnison de la capitale, Bujumbura. Il dispose d’une maison de fonction dans un quartier aisé. L’avenir s’annonce serein. Sauf qu’en ce mois d’octobre 1965, le capitaine Michel Micombero, patron de l’armée (et futur fossoyeur d’une monarchie multiséculaire), qui va bientôt instaurer dans le pays le règne permanent de la rumeur, de la terreur et du coup d’Etat, annonce l’échec d’un complot sanglant contre le roi régnant Mwambutsa IV Bangiricenge.

Rendu à son service comme à l’accoutumée, Isidore ne rentrera pas à la maison. Sa femme et ses enfants, deux filles et deux garçons, sont expulsés manu militari de leur logement, par les sbires de Michel Micombero. Ils naviguent entre la peur et l’espoir : Isidore a-t-il été sommairement exécuté, comme des milliers d’autres, ou vit-il en exil dans un pays voisin ? Des années ont passé.

Un hommage à toutes les mères courage

En 1979, sous le jeune dictateur Jean–Baptiste Bagaza (1er novembre 1976 – 3 septembre 1987 ; qui avait pris du galon suite à l’hécatombe de 1972), le fils aîné se rend à ses risques et périls au Rwanda retrouver le chef présumé des comploteurs, le capitaine de gendarmerie Antoine Serukwavu. Qui lui apprend la triste vérité : Isidore a été sauvagement exécuté.

Les années ont passé. La veuve d’Isidore se reconvertit à l’agriculture. Un bon Samaritain lui ayant fait don d’un terrain dans un faubourg, elle cultive la terre aux fins d’élever et éduquer ses enfants dans la dignité. Pari gagné ! Ils ont tous mené des études universitaires. Jean-Pierre, depuis le collège de Kivoga (commune de Mutimbuzi) dans les années quatre-vingt, devint même un footballeur de talent. Perpétue effectua des études supérieures de journalisme en Algérie…

En rédigeant ce récit, Perpétue Nshimirimana atteint l’universel. Il existe, hélas, trop d’ « Isidore » à travers le vaste monde ! Mais aussi, « les morts ne sont pas morts », puisque nous pouvons leur écrire, leur adresser… « une si longue lettre ». C’est également et surtout un vibrant hommage à toutes les mères courage du monde. Ces mères, lecteur inconnu, les nôtres, qui jamais ne seront béatifiées, dont l’inébranlable foi  a soulevé (et continue de soulever) des montagnes !

Ne pas être de ceux qui se taisent

Comme Rieu dans « La Peste » d’Albert Camus, Perpétue Nshimirimana a rédigé LETTRE A ISIDORE « pour ne pas être de ceux qui se taisent, pour témoigner en faveur de ces pestiférés, pour laisser du moins un souvenir de l’injustice et de la violence qui leur avait été faites, et pour dire simplement ce qu’on apprend au milieu des fléaux, qu’il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser ».

Madame Nshimirimana est une mère de famille établie à Lausanne, engagée dans l’humanitaire et le milieu associatif en Suisse et au Burundi. Elle est récipiendaire, en reconnaissance de son combat, du prix international « Femmes exilées -  Femmes engagées ». Perpétue Nshimirimana, faut-il le rappeler, est arrivée à Genève le 15 octobre 1993, où le président Hutu élu, Melchior Ndadaye, venait de la nommer cheffe de Mission à l’ONU, faisant d’elle la deuxième femme à l’occuper dans l’histoire du Burundi.

Le 21 octobre 1993, Melchior Ndadaye et ses proches collaborateurs sont mutilés, puis tués par des militaires mutinés, selon un communiqué digne de foi radiodiffusé par l’armée nationale. Le Burundi renoua, dès lors, avec les démons du passé. Parce que, à en croire Marc Manirakiza, « le passé porte l’avenir comme une mère son enfant » (Le Passé qui ne passe pas)… Perpétue Nshimirimana, quant à elle, sa « mission » n’est point « terminée » !