Burundi : Enjeux et implications de la qualification des faits par la CVR
Analyses

@rib News, 28/07/2011

Note de réflexion

La Commission Vérité et Réconciliation et la qualification des faits : une question à première vue purement technique

Stef VandeginsteDr. Stef Vandeginste[1]

1. Introduction

Par décret N° 100/152 du 13 juin 2011, le Président de la République Pierre Nkurunziza a créé un Comité technique chargé de la préparation de la mise en place des mécanismes de justice transitionnelle. Sous la présidence de l’Ambassadeur Laurent Kavakure, le Comité est en outre chargé de «réfléchir et proposer des orientations méthodologiques de la Commission Vérité et Réconciliation» (art. 3). Parmi les nombreuses questions importantes en rapport avec le mandat et le fonctionnement de la future Commission Vérité et Réconciliation (CVR), celle relative à la qualification des faits qui feront l’objet des enquêtes par la CVR s’avère d’une importance majeure.

Dans ce qui suit, nous essayons de définir la qualification des faits et d’en présenter les enjeux tout en faisant référence à quelques expériences d’autres pays où une CVR a été mise sur pied. Ce qui, à première vue, se présente comme une simple question purement technique aura en réalité un impact majeur sur le fonctionnement et les réalisations de la future CVR.

2. Pourquoi qualifier ?

Lorsqu’ils parlent de certaines atrocités commises dans le passé, les Burundais ont souvent tendance à parler d’événements et/ou de la crise. L’utilisation d’un euphémisme n’est ni unique au cas burundais (dans le cas de l’Irlande du Nord, par exemple, il était question de «troubles») ni surprenant (car l’utilisation de certains termes, notamment le mot «génocide», pour décrire certains événements était très souvent automatiquement associée à une prise de position politique et à une appartenance ethnique).

A un moment donné, notamment dans le cadre de la recherche de la vérité, les termes événements et crise ne suffisent plus. Un des objectifs communs à toutes les CVR – une quarantaine depuis environ trente-cinq ans – est qu’elles doivent éclairer une société sur son passé. Elles doivent permettre une lecture largement partagée de l’histoire, entre autre afin d’enseigner l’histoire du pays aux futures générations. Pour ce faire, un qualificatif des différents cycles de violences et des souffrances des citoyens s’impose. Le qualificatif permet à la société, notamment à travers le rapport de la CVR, d’exprimer une évaluation, une appréciation, un jugement de valeur, au-delà de la simple description des faits. La vérité et la reconnaissance des victimes et de leurs souffrances exigent à ce que le viol, la torture, le crime de guerre, etc. soient appelés par le nom qui leur convient.

Le droit pénal et le droit des droits de l’homme - aussi bien national[2] (au niveau de la société directement concernée) qu’international (au niveau de l’humanité dans son entièreté) - constituent des ensembles de règles qui identifient et protègent certaines valeurs communes et certaines normes partagées et qui définissent certains actes comme étant contraires à ces valeurs. Qualifier un acte comme étant une violation des droits de l’homme ou un crime constitue donc, avant tout, un jugement de valeur collectif. Un processus de justice transitionnelle constitue, entre autres, une tentative collective de réaffirmation des valeurs communes à la société.

3. La qualification des faits par une CVR : de quoi s’agit-il ?

Aux termes de la loi du 27 décembre 2004 portant missions, composition, organisation et fonctionnement de la Commission nationale pour la Vérité et la Réconciliation, celle-ci est chargée de la mission d’enquêter pour établir la vérité sur les actes de violences graves commis au cours des conflits cycliques qui ont endeuillé le Burundi depuis son indépendance. A supposer que cette mission fera également partie du mandat de la future CVR, cette dernière mènera donc des enquêtes sur des faits qui ont été commis, des événements qui se sont passés, des actes qui ont été posés à un moment donné et à un endroit particulier. Dans la description des faits matériels, il sera question de telle personne qui a été arrêtée et battue par la police, de tel nombre d’élèves qui ont été enlevés et recrutés par tel mouvement rebelle après telle attaque à telle école, de tel témoin gênant qui a été assassiné, de tels réfugiés qui ont été massacrés, du rôle qu’ont joué les autorités locales, les religieux, les sages de telle ou telle colline.

Par la qualification de ses constats, la CVR donne un label juridique à ces faits, ces actes, ces événements. En fonction de la qualification juridique, la personne arrêtée et battue sera reconnu, le cas échéant, comme étant une victime de torture; les élèves enlevés et recrutés deviennent officiellement des victimes d’une disparition forcée et/ou d’un crime de guerre; le témoin gênant exécuté sera reconnu comme victime d’une exécution extra-judiciaire; les réfugiés tués deviennent victimes d’un crime contre l’humanité, et cetera. La qualification se fait donc à l’aide d’un arsenal juridique, notamment le droit pénal (national et international), le droit humanitaire et le droit des droits de l’homme, tel qu’il était en vigueur au moment des faits. La qualification nécessite donc une bonne compréhension de la définition des différents qualificatifs et de l’applicabilité des différents ensembles juridiques aux événements qui, dans leur ensemble, constituent le ‘passé burundais’ et qui font l’objet de l’enquête par la CVR.

4. La qualification des faits, l’identification des responsables et la détermination de leur responsabilité pénale

La qualification des faits n’est pas à confondre avec (a) l’identification des responsables, ni avec (b) la détermination de la responsabilité pénale individuelle des coupables. Si l’on compare simplement les expériences des cinq CVR les plus réussies (selon Priscilla Hayner, auteur de Unspeakable Truths. Transitional Justice and the Challenge of Truth Commissions), les pouvoirs d’une CVR en rapport avec l’identification et la responsabilité des auteurs individuels varient considérablement.

(a) Dans le mandat de certaines CVR, par exemple dans le cas du Pérou, rien n’est prévu sur l’identification des présumés responsables, ce qui donne un pouvoir discrétionnaire aux commissaires. Dans le mandat d’autres CVR, comme dans le cas du Guatemala et du Maroc, il leur est interdit d’identifier les responsables. Conformément à ce qui est demandé dans leur mandat, les rapports de certaines autres CVR, comme dans le cas de l’Afrique du Sud et le Timor Oriental, citent les noms de ceux qu’elles considèrent (les plus) responsables sur le plan politique, historique et moral.

(b) La détermination de la responsabilité criminelle des auteurs – ce qui requiert, bien évidemment, l’identification des responsables et la qualification des faits – relève normalement de la compétence d’un mécanisme judiciaire pénal (que ce soient des cours et tribunaux nationaux ou des tribunaux pénaux internationaux et/ou hybrides). Une CVR ne prend jamais une décision définitive sur la qualification de la responsabilité pénale individuelle. Par contre, tout en réaffirmant que la CVR ne peut nullement se substituer à la justice pénale, des listes confidentielles contenant les noms de personnes présumées responsables peuvent être remises aux autorités (notamment au procureur de la République et/ou au Chef de l’Etat, comme ce fut le cas pour les CVR du Pérou et de l’Afrique du Sud).

Dans ce qui suit, nous nous limitons à la question de la qualification des faits par la future CVR burundaise, sans tenir compte de son mandat relatif à l’identification des responsables. Notons simplement que, conformément à l’Accord d’Arusha, la loi du 27 décembre 2004 stipule que la CVR est chargée d’enquêter pour «établir les responsabilités ainsi que l’identité des coupables» (art. 2, a) et que, suivant le Rapport du 20 avril 2010 des Consultations nationales sur la mise en place des mécanismes de justice de transition au Burundi, 79.20% des Burundais répondent positivement à la question suivante: «Peut-on rendre public les noms des auteurs des violences graves rapportés devant la CVR?» (p. 135).

Eu égard aux expériences d’autres pays, il convient de souligner que, quels que soient les pouvoirs par rapport à l’identification et à la responsabilité des auteurs, les enquêtes d’une CVR peuvent, parfois plusieurs années après la fin de ses travaux, s’avérer utiles dans le cadre de poursuites pénales, notamment quand la CVR a établi une qualification des faits. Dans le cas du Guatemala, il était interdit à la CVR de publier les noms d’auteurs présumés responsables. Par contre, la qualification des faits par la CVR – même si, en droit, celle-ci, n’émanant pas d’une enquête judiciaire, ne constitue nullement une preuve irréfutable devant un tribunal[3] - a été très importante au moment des poursuites pénales dix ans après la publication de son rapport en 1999. En effet, une enquête par la CVR qui donne lieu, entre autres, à une qualification d’un enlèvement comme étant une disparition forcée ou d’un massacre comme étant un acte de génocide - le terme qui fut effectivement utilisé dans le rapport pour qualifier certaines opérations par des agents de l’Etat guatémaltèque contre des populations Maya entre 1981 et 1983 – inévitablement aboutit à tout un ensemble d’informations précieuses. Contrairement à ce qui peut se faire dans une simple description des faits, ce genre d’enquête qualificative s’intéresse notamment aux planificateurs, au rôle des différents échelons de commandement au sein d’une armée ou d’une rébellion, au caractère systématique des crimes, à l’attribution des faits aux différentes institutions et agents de l’Etat, etc., afin de pouvoir conclure si les différents éléments du crime tel que défini en droit pénal national ou international sont présents. En dehors des raisons particulières au cas du Burundi (voir Section 6 ci-dessous), ceci constitue un argument très fort en faveur d’un pouvoir de qualification des crimes par une CVR. Les travaux d’une CVR habilitée à qualifier les faits peuvent en effet constituer un important ensemble de mesures conservatoires qui s’avéreront utiles au moment où le contexte politique aura évolué.

5. Les pouvoirs de qualification de la CVR tels que prévus par l’Accord d’Arusha et après

La première référence à la création d’une CVR au Burundi se trouve dans l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi du 28 août 2000.[4]

5.1. Dans l’Accord d’Arusha, il est prévu la création d’une Commission nationale pour la Vérité et la Réconciliation chargée, entre autres, d’enquêter. Cette mission est spécifiée de la façon suivante: «La Commission fait la lumière et établit la vérité sur les actes de violences graves commis au cours des conflits cycliques qui ont endeuillé le Burundi de l’indépendance (le 1er juillet 1962) à la date de signature de l’Accord de paix d’Arusha, qualifie les crimes et établit les responsabilités ainsi que l’identité des coupables et des victimes. Mais cette Commission n’est pas compétente pour qualifier les actes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre» (Prot. I, Chap. II, art. 8, para. 1,a). La Constitution de Transition du 28 octobre 2001 - abrogée par la Constitution intérimaire post-transition du 20 octobre 2004 (qui à son tour fut abrogée par la Constitution du 18 mars 2005) qui reste muette par rapport à la CVR – prévoit une Commission nationale pour la Vérité et la Réconciliation «chargée d’enquêter sur les violations des droits de l’homme» (art. 229) sans pour autant spécifier si la CVR pourra qualifier les faits.[5] La Loi du 27 décembre 2004 – actuellement en vigueur bien que jamais mise en application – prévoit que la Commission sera chargée d’enquêter pour «établir la vérité sur les actes de violences graves commis au cours des conflits cycliques qui ont endeuillé le Burundi depuis le 1er juillet, date de l’indépendance» et pour «qualifier les crimes autres que les actes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre» (art. 2a). En résumé, dans l’état actuel du droit burundais, il est donc prévu une CVR nationale qui peut qualifier les crimes commis à l’exception des actes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Pour ces derniers, un autre mécanisme – de nature judiciaire et internationale – est prévu par l’Accord d’Arusha.

5.2. L’Accord d’Arusha prévoit «la demande, par le Gouvernement de transition, de la mise en place par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, d’une Commission d’enquête judiciaire internationale sur le génocide, les crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité qui aura pour mission: (a) d’enquêter et d’établir les faits couvrant la période allant de l’indépendance à la date de signature de l’Accord; (b) de les qualifier; (c) d’établir les responsabilités; (d) de soumettre son rapport au Conseil de Sécurité de l’ONU; (e) la Commission se servira de tous les rapports existants déjà à ce sujet, notamment le rapport Whitaker de 1985, le rapport des ONG de 1994, le rapport de 1994-1995 des Ambassadeurs Siméon Aké et Martin Huslid, ainsi que le rapport de la Commission internationale d’enquête des Nations Unies de 1996» (Prot. I, Chapitre II, art. 6, para. 10)[6]. L’Accord d’Arusha prévoit également la demande par le Gouvernement du Burundi de l’établissement, par le Conseil de Sécurité de l’ONU d’un Tribunal pénal international chargé de juger et punir les coupables, au cas où le rapport de la Commission d’enquête judiciaire internationale (CEJI) établirait l’existence d’actes de génocide, de crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité (para. 11). Les mêmes dispositions sont reprises dans l’article 228 de la Constitution de transition du 28 octobre 2001. En résumé, suivant l’Accord d’Arusha, la qualification de crimes comme étant des actes de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre relève de la compétence d’une CEJI à mettre en place par les Nations Unies.

5.3. Malgré une demande à cet effet par le Gouvernement de transition en date du 24 juillet 2002, l’ONU n’a pas mis en place la CEJI prévue par l’Accord d’Arusha. Par contre, le Président du Conseil de sécurité a prié le Secrétaire général de l’ONU, le 26 janvier 2004, d’envoyer une mission d’évaluation au Burundi en vue d’examiner l’opportunité et la possibilité de créer une telle commission. La mission d’évaluation, présidée par M. Kalomoh, Sous-Secrétaire général aux affaires politiques, a établi un rapport qui, en date du 11 mars 2005, a été remis au Président du Conseil de Sécurité par le Secrétaire général (UN Doc S/2005/158). Le 20 juin 2005, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a adopté une résolution priant le Secrétaire général d’engager des négociations avec le Gouvernement du Burundi sur la mise en œuvre des recommandations tenues dans le rapport Kalomoh (UN Doc S/RES/1606).

Le rapport Kalomoh se prononce sur la question de la qualification des crimes tout d’abord en arguant que «la démarcation entre les deux commissions [la CVR nationale et la CEJI prévues par l’Accord d’Arusha] n’est pas claire». La mission estime que «si les crimes relevant de la compétence de la Commission pour la Vérité et la Réconciliation étaient des ‘actes de violence grave commis au cours des conflits cycliques’ et étaient de nature à ‘endeuiller’ le Burundi, on peut difficilement soutenir qu’il ne s’agissait pas de crimes de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. De ce fait, malgré les limites imposées au pouvoir de la Commission pour la Vérité et le Réconciliation de se prononcer sur les actes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, sa compétence ratione temporis et ratione materiae, de même que ses pouvoirs d’enquête, sont, tant sur le plan juridique que sur le plan pratique, identiques à ceux de la Commission d’enquête judiciaire internationale» (para. 30). Etant donné ce problème de démarcation, le rapport Kalomoh propose la combinaison d’éléments des deux commissions et leur remplacement par une seule commission de la vérité à composition mixte. Le rapport Kalomoh propose alors une approche à deux étapes, notamment «la création d’un mécanisme non judiciaire de recherche des responsabilités sous forme d’une commission ‘vérité’ et la mise en place d’un mécanisme judiciaire d’établissement des responsabilités» (para. 53), les deux mécanismes étant à composition mixte. La CVR – qui serait donc composée de membres internationaux et nationaux – les premiers étant majoritaires (para. 55) – serait dotée d’un mandat consistant «à établir les faits et à déterminer les causes et la nature du conflit au Burundi, à qualifier les crimes commis depuis l’accession à l’indépendance en 1962 et à établir l’identité des coupables des actes de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis au divers cycles du conflit» (para. 55 b). Il est ajouté que, malgré la combinaison de certains éléments des deux commissions prévues par l’Accord d’Arusha, l’action de la CVR proposée ne constituerait pas une enquête pénale ou judiciaire, mais que ses enquêteurs devraient respecter intégralement les droits des témoins et la régularité de la procédure pénale. En résumé, le rapport Kalomoh propose donc une CVR mixte, à composition nationale et internationale, avec le pouvoir de qualifier les crimes sans faire une distinction entre, d’un côté, les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre et, de l’autre côté, les autres crimes.

Nous nous permettons un petit commentaire, simplement pour soutenir l’argument développé dans le rapport Kalomoh. Il nous semble, en effet, extrêmement difficile d’enquêter sur des massacres sans pouvoir les qualifier comme étant, par exemple, un crime de guerre si telle est la qualification requise. Si, par exemple, la future CVR menait des enquêtes sur le massacre de réfugiés Banyamulenge à Gatumba (août 2004) et que, pendant ses travaux, des informations lui étaient remises qui étaient de nature à démontrer qu’il s’agissait bien d’un crime contre l’humanité, que devrait faire la CVR? Se verrait-elle obligée de continuer ses enquêtes mais de qualifier le massacre autrement que par le nom qui lui convient? Ou se verrait-elle obligée de mettre terme à ses enquêtes sur ce massacre, juste au moment où la vérité est sur le point d’être dévoilée? Cela nous semble peu envisageable et, notamment pour les rescapés de ce massacre, difficilement acceptable.

5.4. Pendant les négociations entre le Gouvernement du Burundi et les Nations Unies, menées conformément à la Résolution 1606 du Conseil de Sécurité, deux mémorandums de la Délégation gouvernementale se sont prononcés sur la question de la qualification des faits par la CVR. Le Mémorandum de la Délégation burundaise chargée de négocier avec les Nations Unies la mise en place d’une Commission de la Vérité et la Réconciliation et d’un Tribunal Spécial au Burundi du 1er février 2006 prévoit, concernant les missions de la CVR – composé de quatre étrangers et de trois burundais (para. 7)[7] - qu’elle aura pour mission d’«(a) enquêter, établir les faits, et qualifier les crimes et délits liés aux différentes crises qu’a connues le Burundi depuis son accession à l‘Indépendance jusqu’à la date de la mise en place de la Commission; (b) identifier les présumés coupables et les victimes des actes qualifiés de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre ainsi que des autres actes de violences graves» (para. 5). Cette disposition est maintenue dans le Mémorandum du 26 mars 2006 (para. 27).

En résumé, par rapport à la question de la qualification, la position de la délégation gouvernementale semble donc s’accorder avec la proposition contenue dans le rapport Kalomoh.

5.5. Les négociations entre le Gouvernement du Burundi et les Nations Unies n’ont pas abouti à un accord, sauf en ce qui concerne l’organisation de consultations nationales. La question de la qualification ne semble donc pas avoir été tranchée en définitive.

Dans le Mémorandum du Parti CNDD-FDD du 5 mai 2007 sur la Commission Vérité et Réconciliation et le Tribunal Spécial pour le Burundi, aucune référence n’est faite à la qualification des faits par la CVR. Toutefois, dans certaines déclarations faites par des dirigeants du parti[8], on semble trouver inspiration dans l’Accord d’Arusha pour réaffirmer que la qualification des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre relève de la compétence exclusive du mécanisme judiciaire dont la mise en place (éventuelle) ferait l’objet d’une demande adressée par le Gouvernement aux Nations Unies si jamais la CVR juge opportun la mise en place d’un Tribunal Spécial (para. 32 du Mémorandum). Le pouvoir de qualification de la CVR serait donc limité, conformément à ce qui était prévu dans l’Accord d’Arusha.

Le Rapport du 20 avril 2010 des Consultations nationales sur la mise en place des mécanismes de justice de transition au Burundi ne fait pas explicitement référence à la question de la qualification des faits. Implicitement, on pourrait lire dans les recommandations une demande à la CVR de qualifier les faits, notamment où il est recommandé que la CVR doive «enquêter sur les violations graves des Droits de l’Homme et du Droit International Humanitaire ayant été perpétrées au Burundi depuis l’indépendance (le 1er juillet 1962) à la date de la fin de la belligérance (le 4 décembre 2008), autant sur les violations des droits civils et politiques que sur les violations des droits économiques et sociaux et également de se pencher sur la question des injustices économiques et sociales et autres discriminations qui ont pu alimenter la crise au Burundi» (p.125). Si effectivement le mandat de la CVR ratione materiae est défini en fonction de la notion de ‘violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire’, pourrait-on conclure que la CVR sera inévitablement tenue de qualifier les crimes qui font l’objet de ses enquêtes? Où est-ce qu’une telle conclusion serait prématurée, étant donné l’absence d’une question relative à la qualification qui, en effet, n’a pas été posée lors des consultations nationales?

5.6. En résumé, notre analyse sommaire (qui fait d’ailleurs abstraction de la question de la hiérarchie des normes qui pourtant devrait mériter notre attention) des différents textes – actuellement en vigueur ou contenant des propositions pour l’avenir – révèle une certaine ‘discontinuité’ dans la façon dont la question sous étude est abordée. Elle révèle également que la décision politique prise pour trancher cette question doit absolument porter attention à la cohérence entre les différents textes de loi (déjà en vigueur et nouvellement adoptés). Il en ressort également que la question de la qualification des faits par la CVR est inévitablement liée à d’autres aspects du mandat et du fonctionnement de la future CVR.

6. Pertinence particulière de la question de la qualification des faits dans le contexte burundais

Ci-dessus, nous avons déjà évoqué pourquoi la définition du mandat et des pouvoirs de la CVR en ce qui concerne la qualification des crimes est importante pour toute CVR. Il nous semble opportun d’ajouter quelques arguments liés au contexte burundais pour démontrer l’enjeu majeur de la question.

Nous présentons d’abord (sections 6.1. à 6.3.) quelques conséquences d’un mandat de la CVR qui ne lui permettrait pas de qualifier les crimes ou de qualifier uniquement les crimes autres que les actes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Ensuite (sections 6.4. et 6.5.), nous résumons quelques conséquences d’un mandat de la CVR qui lui permettrait de qualifies les crimes, y compris les actes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre (conformément à ce qui est proposé dans le Rapport Kalomoh).

6.1. La qualification des faits et l’amnistie et/ou le pardon

A moins que la loi du 27 décembre 2004 soit amendée sur ce point, la CVR peut «déterminer les crimes politiques pour lesquels une loi d’amnistie pourrait être votée» (art. 4, para. 1). Alors que l’art. 4, para. 2, stipule que «les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre ne sont pas amnistiables», il nous semble que cette dernière disposition perd son sens si la CVR n’est pas autorisée à qualifier les faits comme étant des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre. En effet, aucun événement mis en étude par la CVR ne pouvant être qualifié par cette dernière comme étant un acte de génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre, tous les massacres ou autres violations graves – à condition qu’il s’agisse de ‘crimes politiques’, une notion qui n’est d’ailleurs pas définie par la loi du 27 décembre 2004 mais qui dans le passé a été interprétée d’une façon très large dans le contexte burundais[9] – peuvent tomber sous l’application du premier paragraphe.

A plusieurs reprises dans la loi du 27 décembre 2004, dans les mémorandums de la délégation gouvernementale et dans le mémorandum du parti CNDD-FDD, il est prévu que la CVR peut prendre des décisions ou proposer des mesures susceptibles de promouvoir la réconciliation et le pardon. Si la CVR ne peut pas qualifier les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, des atrocités qui autrement pourraient être qualifiées ainsi pourront[10] donc faire l’objet de mesures d’amnistie et de pardon. Il est d’ailleurs prévu qu’au terme de l’enquête et aux fins d’arbitrer et de réconcilier, la CVR peut «arrêter ou proposer aux institutions compétentes des mesures susceptibles de promouvoir la réconciliation et le pardon» (art. 2b). Notre constat est confirmé par la première disposition dans la section portant sur la ‘procédure de réconciliation’ devant la CVR (para. 36 du Mémorandum de la délégation gouvernementale du 1er février 2006, para. 65 du mémorandum du 26 mars 2006) qui stipule qu’«Aucun acte, aucun fait établi par la Commission n’est d’avance exclu du processus de réconciliation».

6.2. La qualification des faits et l’immunité provisoire

Suivant les différentes propositions mises en avant par les Mémorandums de la délégation gouvernementale et par le Mémorandum du parti CNDD-FDD, le dossier d’un présumé responsable qui refuse de collaborer avec la CVR, qui refuse de reconnaître les forfaits qu’il a commis ou qui refuse de mettre en application les mesures de réconciliation arrêtées par la CVR, pourra être déféré à la justice nationale ou au Tribunal spécial.[11] Essayons de voir quel serait l’impact de l’immunité provisoire – dont continuent à jouir actuellement plusieurs personnes qui pourraient, dans un prochain avenir, être invitées à participer aux activités de la CVR – d’abord si le dossier était déféré à la justice nationale (a), puis si le dossier était déféré au Tribunal Spécial (b).

(a) A moins que le législateur en décide autrement, les nombreuses personnes bénéficiant d’une immunité provisoire pourront invoquer cette immunité pour refuser de comparaître devant la justice nationale.

Une immunité provisoire et temporaire a été accordée par plusieurs lois adoptées et décrets pris en exécution de l’Accord d’Arusha, de l’Accord Global de Cessez-le-feu avec le CNDD-FDD signé en novembre 2003 et de l’Accord Global de Cessez-le-feu avec le Palipehutu-FNL signé en septembre 2006.[12] Alors que les différentes législations sur l’immunité provisoire excluent son application aux crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, cette limitation restera sans effet. En effet, s’il est interdit à la CVR de qualifier ainsi les différentes atrocités qui ont fait l’objet de ses enquêtes, l’immunité provisoire pourra, en réalité, être invoquée dans toutes les affaires déférées à la justice nationale.[13] Quelle qu’ait été la gravité des crimes commis, si l’auteur bénéficie de l’immunité provisoire et que la CVR ne peut pas qualifier les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, il peut donc facilement refuser de collaborer avec la CVR car la justice nationale ne pourra pas le poursuivre.

Si le législateur burundais veut éviter de maintenir ce ‘piège’ qui décourage les auteurs bénéficiant d’une immunité provisoire à collaborer avec la CVR, deux options se présentent. Soit il permet à la CVR de qualifier les actes de génocide, crimes contre l’humanité ou crimes de guerre, ce qui exclura l’application de l’immunité provisoire. (A noter toutefois que, pour la rendre réellement effective, cette option nécessite encore un autre amendement de la législation actuellement en vigueur, voir ci-dessous 6.5.). Soit le législateur burundais décide, moyennant l’adoption d’une loi qui abroge les textes repris dans la note de bas de page n° 12, de mettre fin à l’immunité provisoire et dite temporaire[14] – ce qui, à notre avis, onze ans après la signature de l’Accord d’Arusha et cinq ans après la signature du dernier accord de paix, avec le mouvement Palipehutu-FNL, ne serait pas excessivement tôt.

(b) Pour ce qui est des dossiers des présumés responsables qui seraient déférés au Tribunal Spécial, l’immunité provisoire ne pourra – en toute probabilité – être invoquée. Il paraît très peu probable que les Nations Unies acceptent qu’une immunité provisoire puisse être invoquée devant un mécanisme judiciaire qui serait mis en place en coopération avec l’ONU, ce qui a d’ailleurs été communiqué au Gouvernement à plusieurs reprises pendant le processus de négociations.[15]

Or, il reste à voir si le Tribunal sera mis en place suite à un accord entre le Gouvernement du Burundi et l’ONU (conformément à plusieurs textes y relatifs[16] qui prévoient, en tout état de cause, la mise en place d’un double mécanisme, non-judicaire et judiciaire) ou si, par contre, le Tribunal Spécial sera créé seulement au cas où la CVR le juge opportun, auquel cas se présente une autre difficulté (voir 6.3.).

6.3. La qualification des faits et la création du Tribunal Spécial

Il est proposé dans le Mémorandum du parti CNDD-FDD, que «c’est sur base des conclusions de la Commission Vérité et Réconciliation qu’on décidera ou non de l’opportunité de mettre sur pieds un Tribunal Spécial» (para. 32). Si effectivement telle était l’option retenue par le Comité technique et le législateur burundais et qu’en même temps la CVR n’aurait pas la compétence de qualifier les actes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, il n’est pas clair comment la CVR pourrait juger opportune la mise en place d’un Tribunal, dont la compétence matérielle serait en tout cas limitée à ces crimes. En d’autres termes, si la CVR, à la fin de ses travaux, ne peut avoir qualifié aucun événement comme étant un crime de génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre, comment pourrait-elle recommander la création d’un mécanisme judiciaire pour juger les auteurs de tels crimes?[17]

6.4. La qualification des faits et l’obligation de poursuivre

S’il est permis à la CVR de qualifier les crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, elle ne pourra pas recommander l’adoption d’une loi d’amnistie pour ces crimes (sauf si la loi du 27 décembre 2004 était amendée sur ce point, ce qui serait probablement inacceptable aux yeux des partenaires internationaux du Burundi, car cela serait en toute probabilité contraire aux obligations du Burundi en droit international). En outre, si la CVR qualifie certains actes comme étant des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre, et que le Burundi – comme tout Etat de droit est censé le faire – veut respecter ses obligations en droit international, il se verrait obligé de traduire en justice au moins ceux qui portent la plus grande responsabilité dans ces crimes. (En effet, même si l’étendue de l’obligation des Etats ne fait pas l’objet d’unanimité de la littérature, il est généralement admis qu’aucun Etat ne peut tolérer une impunité totale des crimes de droit international les plus graves).

6.5. La qualification des faits et la compétence du système judiciaire national

Si, conformément à la conclusion ci-dessus (6.4.), le Burundi veut poursuivre les personnes les plus responsables des actes qualifiés de crime de génocide, crimes contre l’humanité ou crimes de guerre par la CVR, il devra soit amender sa législation nationale, soit reprendre les négociations avec l’ONU afin de trouver un accord sur la création, le mandat et le fonctionnement d’un tribunal pénal international ou hybride. En effet, dans l’état actuel de la législation burundaise, les cours et tribunaux burundais ne sont pas compétents. Dans la loi du 8 mai 2003 portant répression du crime de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, adoptée conformément à l’Accord d’Arusha, il est prévu que l’enquête de tels crimes commis au Burundi entre le 1er juillet 1962 et la date de promulgation de la loi, sera confiée à la Commission d’enquête judiciaire internationale et au Tribunal pénal international pour le Burundi (art. 33). Entretemps, l’incrimination du génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre a été incorporée dans le Code pénal du 22 avril 2009 (art. 195-203). Or, la loi du 8 mai 2003 n’a pas été abrogée et l’article 623 du Code pénal («Les lois particulières dont certaines dispositions pénales ont été intégrées dans le présent Code restent en vigueur pour autant qu’elles ne sont pas contraires à la présente loi») confirme l’applicabilité de l’article 33 de la loi du 8 mai 2003. Par conséquent, si la compétence est accordée à la CVR lui permettant de qualifier tous les crimes et que – pour quelque raison que ce soit - un Tribunal Spécial ne serait pas mis en place, il sera nécessaire d’amender la loi du 8 mai 2003 afin d’organiser, au niveau des cours et tribunaux nationaux, la compétence pénale en rapport avec ces crimes.[18]  

7. Conclusion

Lors de la préparation de la mise en place des mécanismes de justice transitionnelle au Burundi, de nombreuses questions devront être tranchées. La réponse à chaque question constitue un choix. Il est important que ce choix soit bien informé. Le choix appartient aux Burundais. Par cette note, nous espérons contribuer au débat qui sera sans doute, conformément à une belle tradition burundaise, mené non seulement par les membres du Comité technique mais également par les députés et sénateurs, les partis politiques, la société civile, les associations des victimes, les médias, le milieu académique, les bailleurs de fonds et autres partenaires.

Moyennant cette note, nous avons essayé d’illustrer – sans aucune ambition d’exhaustivité[19] – les implications d’un choix qui s’impose et qui nous semble d’une importance majeure. Quelle que soit la compétence accordée à la CVR en rapport avec la qualification des faits, les conséquences du choix sont majeures, aussi bien sur le plan ‘technique’ et juridique que sur le plan social. En effet, dans un pays qui, pendant des décennies et à plusieurs reprises, a vécu des atrocités d’une extrême gravité, la vérité telle que qualifiée sur le plan ‘juridique’ est en même temps intimement liée à la reconnaissance collective des souffrances et à la mémoire des victimes.

S. Vandeginste

Anvers, le 20 juillet 2011

Références bibliographiques :

Mark Freeman, Truth Commissions and Procedural Fairness, Cambridge University Press, 2006

Priscilla Hayner, Unspeakable Truths. Transitional Justice and the Challenge of Truth Commissions, Routledge, 2011

William Schabas and Shane Darcy (eds.), Truth Commissions and Courts. The tension between criminal justice and the search for truth, Kluwer Academic Publishers, 2004

Anja Seibert-Fohr, Prosecuting Serious Human Rights Violations, Oxford University Press, 2009


[1] Chargé de cours et chercheur postdoctoral à l’Université d’Anvers (Belgique)

[2] Signalons toutefois que, comme le cas de l’Afrique du Sud l’a démontré, que certains actes (par exemple des déplacements forcés) qui seraient légaux en droit national peuvent être perçus comme étant manifestement injustes par la grande majorité de la population, ce qui, dans le cadre d’un processus de justice transitionnelle, donne lieu à un autre problème que nous ne pouvons pas aborder dans cette note.

[3] Voir aussi le rapport de la CVR du Sierra Leone où il est dit que la Commission n’établit pas la culpabilité au sens du droit pénal, mais affirme simplement des constats de faits matériels en rapport avec la responsabilité («The Commission did not make any findings on questions of innocence or guilt. It made factual findings in relation to responsibility and accountability», Vol. 2, Chapter 2, para. 7).

[4] Il nous mènerait trop loin d’évaluer le statut juridique actuel de cet Accord – sur lequel la Cour constitutionnelle ne s’est d’ailleurs jamais prononcée - mais force est de constater qu’il reste jusqu’à ce jour un document de référence de grande importance et que, dans son tout premier paragraphe préambulaire, la Constitution actuelle y fait explicitement référence.

[5] Bien sûr, étant donné que l’art 229 fait référence aux «violations des droits de l’homme» pour définir l’objet des enquêtes par la CVR, on pourrait dire que celle-ci sera au moins tenue de qualifier les ‘événements’ sous étude comme constituant des violations des droits de l’homme.

[6] Dans au moins deux de ces rapports, le terme «génocide» est utilisé pour qualifier les massacres de Hutu en 1972 et les massacres de Tutsi en 1993. Aucun des rapports cités n’est le résultat d’une enquête judiciaire.

[7] Le Conseil des Ministres du 2 février 2006 retient l’idée que le nombre de Burundais soit plus élevé dans la future CVR composée de quatre burundais et trois étrangers.

[8] Par exemple l’intervention par le Président du parti, Honorable Jérémie Ngendakumana, lors des Journées de réflexion sur la justice transitionnelle et le fonctionnement d’une Commission Vérité et Réconciliation, organisées par l’Assemblée nationale et AWEPA (Bujumbura, 7-8 juillet 2011).

[9] Les concepts de ‘crime politique’ et de ‘prisonnier politique’ ont fait l’objet de différentes législations et activités de différentes commissions. Voir S. Vandeginste, Stones Left Unturned. Law and Transitional Justice in Burundi, Anvers, Intersentia, 2010, p.172-178. Il nous mènerait trop loin de résumer ces expériences ici.

[10] Pour éviter toute confusion, la CVR ne serait pas obligée de décider ainsi. Il lui serait permis si elle le juge opportun.

[11] Le Mémorandum de la Délégation gouvernementale prévoit «une compétence concurrente» du Tribunal spécial et des juridictions burundaises (para. 100), avec une primauté de juridiction du Tribunal spécial (para. 101).

[12] Loi du 21 novembre 2003 portant immunité provisoire de poursuites judiciaires en faveur des leaders politiques rentrant de l’exil; Décret du 23 mars 2004 portant modalités d’application de l’immunité provisoire prévue par l’Accord Global de Cessez-le-feu du 16 novembre 2003; Ordonnance ministérielle du 23 mars 2004 portant nomination des membres de la Commission chargée de mettre en œuvre l’immunité provisoire prévue par l’Accord Global de Cessez-le-feu du 16 novembre 2003; Loi du 22 novembre 2006 portant immunité provisoire de poursuites judiciaires en faveur des membres du mouvement signataire de l’Accord de cessez-le-feu du 7 septembre 2006; Décret du 3 janvier 2006 portant immunité provisoire des prisonniers politiques détenus dans les maisons de détention de la République du Burundi; Décret du 20 décembre 2006 portant application de l’immunité provisoire prévue par l’Accord Global de cessez-le-feu de Dar-Es-Salaam du 7 septembre 2006.

[13] Une autre question est celle de savoir si l’immunité provisoire peut être invoquée devant la CVR elle-même. A moins que la loi du 27 décembre 2004 soit amendée sur ce point, ce ne sera pas le cas («Personne ne peut se prévaloir de sa fonction, de ses privilèges et immunités, de l’amnistie ou de la prescription ou de tout autre motif pour se soustraire à la compétence de la Commission», art. 25).

[14] A noter qu’aux termes de la loi du 22 novembre 2006, il est prévu que l’immunité «est valable pour la période d’avant la mise sur pied de la Commission Vérité Réconciliation et du Tribunal Spécial au Burundi» (art. 2, para. 2) et ne prend donc pas fin avec la seule mise en place de la CVR. D’autres lois et décrets (voir note de bas de page n° 12) sont moins clairs par rapport à la durée de l’immunité dite temporaire.

[15] Voir aussi le rapport Kalomoh, para. 32-37.

[16] Voir, entre autres, la Résolution 1719 du Conseil de Sécurité; l’Accord cadre du 2 novembre 2007 entre le Gouvernement de la République du Burundi et l’ONU portant création et définition du mandat du Comité de pilotage tripartite en charge des consultations nationales sur la justice de transition au Burundi;  la Résolution 1959 du Conseil de Sécurité du 16 décembre 2010 (relatif au mandat du BNUB).

[17] Si, par contre, le mandat de la CVR lui permet de qualifier les actes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, cette qualification préliminaire ne peut nullement lier le Procureur ou le siège du Tribunal Spécial.

[18] Pour les crimes commis après le 8 mai 2003, par exemple le massacre de Gatumba commis en 2004 et évoqué ci-dessus (p. 7), et qualifiés de génocide, crimes contre l’humanité ou crimes de guerre par la CVR, la justice nationale est compétente.

[19] Il serait probablement utile de faire un même exercice pour d’autres aspects (à première vue) techniques - comme celui de la composition de la CVR, la question de l’amnistie, les réparations, les différentes options et modalités en terme de ‘décalage’ entre la CVR et le Tribunal Spécial, etc. -  ainsi que d’analyser les conséquences de la combinaison des différentes réponses données à chacune des questions individuellement. A titre d’illustration, et sous forme d’hypothèse, prenez la combinaison suivante: (1) la CVR ne peut pas qualifier les actes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre; (2) la législation sur l’immunité provisoire est maintenue; (3) la décision relative à l’éventuelle création d’un tribunal est reportée et sera prise en fonction des recommandations formulées dans le rapport de la CVR. Dans cette hypothèse, les deux questions restées en suspens après le processus de négociations entre le Gouvernement du Burundi et l’ONU (en 2006 et 2007) pourront facilement faire l’objet d’un compromis entre l’ONU et le Gouvernement. Dans un accord-cadre entre l’ONU et le Gouvernement (et éventuellement dans l’acte fondateur de la CVR), il pourrait être inscrit et réaffirmé que (4) le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre ne sont pas amnistiables, et (5) les enquêtes et poursuites par le procureur d’un éventuel futur mécanisme judiciaire (le Tribunal Spécial) ne seront pas subordonnées aux activités et conclusions de la CVR. Cela permettrait au gouvernement d’accepter les conditions minimales mises en avant par l’ONU pendant les négociations et cela permettrait à l’ONU d’appuyer la CVR sans compromettre ses propres principes. Il reste à voir si les associations de victimes seraient également favorables à un tel compromis. Est-ce que, dans un tel scénario (points 1 à 5), les bailleurs de fonds seront disposés à financer et légitimer la CVR? Ou demanderont-ils, eu égard aux multiples implications de la question telles qu’évoquées ci-dessus, que la CVR soit non seulement – conformément au rapport des consultations nationales – de composition mixte, mais doive également pouvoir qualifier tous les crimes, y compris les actes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre?