Somalie : Une société américaine forme les militaires de l'Union africaine
Afrique

Le Monde | 12.08.11

Officiellement, depuis leur tragique échec de 1993 marqué par la mort de 18 soldats, les Etats-Unis ne s'étaient plus impliqués militairement au sol dans le chaos somalien. Jugeant "provocatrice" toute présence visible sur le terrain, ils se sont contentés d'ouvrir le feu depuis des drones ou des navires sur les miliciens islamistes chabab qui tiennent le sud du pays.

Si le gouvernement américain ne risque plus la vie de ses hommes à Mogadiscio, il n'a pas renoncé à y combattre par procuration : une quarantaine d'anciens militaires, sud-africains, scandinaves et français, appointés par Bancroft Global Development, une société américaine spécialisée dans la sécurité, entraînent les soldats africains de l'Amisom, la force de l'Union africaine en Somalie, longtemps réputée pour sa passivité. Comme en Irak avec les gardes privés de la société Blackwater, les intérêts américains en Somalie sont ainsi sous-traités au privé.

Le New York Times, qui révèle cette situation, mercredi 10 août, assure que ces mercenaires pourraient jouer un rôle décisif dans le conflit en cours. Le retrait inattendu, samedi 6 août, des miliciens chabab de Mogadiscio pourrait être liée à l'efficacité nouvelle de l'Amisom, désormais entraînée ainsi à la guérilla urbaine. Le département d'Etat a financé indirectement Bancroft, dont le siège social est à Washington, précise le journal. La société facture ses services "des millions de dollars" aux Etats d'origine des soldats de l'Amisom – l'Ouganda et le Burundi. Mais ces sommes sont ensuite remboursées par les autorités américaines. "Depuis 2010, Bancroft a reçu environ 7 millions de dollars (4,9millions d'euros) grâce à cet arrangement", indique le New York Times.

"COLONEL SANDERS"

Un Français, Richard Rouget, alias "colonel Sanders", présenté comme un ancien bras droit du mercenaire Bob Denard, mort en 2007, est l'un des formateurs employés par Bancroft. M. Rouget, qui "nie être un mercenaire", selon le journal, est "un costaud, ancien officier de l'armée française, âgé de 51 ans". "Il a commandé un groupe de combattants étrangers pendant la guerre civile en Côte d'Ivoire en 2003, il a été condamné par un tribunal sud-africain pour avoir vendu ses services de militaire, et a fait un passage par la garde présidentielle des Comores (…)", écrit le New York Times, décrivant le Français comme "la figure inattendue de la campagne américaine contre les miliciens en Somalie".

Richard Rouget est effectivement une figure, s'agissant du mercenariat issu des rangs de l'extrême droite. Cet ancien responsable du GUD ( organisation étudiante d'extrême droite connue pour ses méthodes musclées) à Assas au début des années quatre-vingt, longtemps installé en Afrique du Sud dont il avait acquis la nationalité, a  bel et bien fréquenté Bob Denard avant de se mettre à son compte. Soupçonné d'avoir fait partie du commando ayant assassiné, en 1988, à Paris, Dulcie September la représentante du Congrès national africain (ANC), en France, il a été formellement innocenté par la justice en 1992.

Dans la capitale, le vaste quartier général de Bancroft est "un dédale de bâtiments préfabriqués entourés de sacs de sable, situé à un jet de pierre de l'aéroport décrépi de Mogadiscio, en bord de mer". Non loin de là, affirme le New York Times, la CIA a aidé à construire une vaste base destinée aux services de renseignement somaliens. Des agents américains "ont interrogé des terroristes présumés conjointement avec leurs homologues dans une prison somalienne délabrée". Le journal révèle, enfin, que la CIA finance l'Agence nationale de sécurité somalienne (SNSA), censément rattachée au fragile gouvernement fédéral de transition (GFT) mais qui agit de façon autonome. "Personne, pas même le président [du GFT] ne sait ce que fait le SNSA, témoigne un officiel somalien. Les Américains sont en train de créer un monstre."

Philippe Bernard et Caroline Monnot