Le Burundi est-il au bord de l’implosion ?
Opinion

@rib News, 01/09/2011

Par Nzokira Jean Paul

Un vent parfois doux mais souvent fort souffle sans arrêt sur le lac Tanganyika. Il adoucit le climat et fait baisser le mercure à ces heures où la saison de pluie ne se décide pas vraiment à démarrer. Un brouillard épais couvre le ciel de la capitale comme si le ciel hésitait à ouvrir ses vannes pour arroser cette plaine nourricière. Le calme qui règne à Bujumbura et les va-et-vient des citadins et des véhicules font penser à un pays en paix, un peuple dynamique qui s’efforce de gagner son pain à la sueur de son front. Et pourtant, avant de franchir le seuil du marché central de Bujumbura, il suffit d’interroger quelque passant au hasard pour tomber des nues en apprenant que le pays va très mal. Mais comment est-ce possible ?

Sur le plan économique, la monnaie burundaise est en chute libre. Elle perd continuellement de la valeur face au dollar américain. A titre d’illustration, en début d’année, un dollar s’échangeait contre 1230 FBU. Pour le moment, il vous faut 1340 FBU pour avoir un dollar américain dans les bureaux de change. Et les cambistes se plaignent : il y a pénurie de dollars, de devises à la Banque centrale et sur le marché. La faute à qui ? Aux bailleurs de fonds qui ont fermé les robinets des appuis budgétaires et des financements de projets. Et le gouvernement du Burundi dans tout ça ?

Là, on interroge au hasard un diplômé d’Université, un chômeur qui ne décolère pas : « C’est la faute au gouvernement. Il a refusé les négociations avec l’opposition réunie au sein de l’ADC. Le ministre belge des affaires étrangères était ici et a posé cette condition pour le déblocage des fonds. Le président de l’assemblée nationale française est venu insister sur la nécessité de négocier pour restaurer un climat de confiance et de paix. Mais le Président de la République rejette catégoriquement ces exigences. L’heure est grave. Le chômage frappe de plein fouet les diplômés des universités. Les commerces ferment et les investisseurs boudent notre pays à cause des délestages et de la corruption. Et dire que nous avions voté pour ces anciens rebelles en 2005 ! »

Nous pénétrons à l’intérieur du marché central de Bujumbura. La nourriture abonde et les clients semblent satisfaits. Quand nous posons une question, probablement celle qu’il ne fallait pas poser, nous sommes assaillis par un flot de lamentations : « Tout est devenu trop cher. Le sucre, la bière, le carburant, le haricot, le riz, la farine de manioc. Faute de carburants, il n’y a plus de poissons du lac. Il ne nous reste qu’à attendre la mort dans l’indifférence des gens que nous avons élus ».

Nous évitons la polémique avec les clients qui disent que le pays est dirigé par des bandits, qui ont commis un hold-up électoral et font main basse sur les biens publics. C’est du côté des commerçants que nous entendons que les clients n’achètent plus car tout est devenu trop cher. La faute à qui ? A l’Office Burundais des Recettes (O.B.R). Pour renflouer les caisses de l’Etat, O.B.R a augmenté les frais de dédouanement. Un container de vingt pieds qui se dédouanait à moins de mille dollars américains, il vous faut maintenant pas moins de huit millions de francs burundais. Et comment voulez-vous que les prix baissent ?

A partir de ce premier septembre 2011, entrent en vigueur les nouveaux tarifs de la REGIDESO. L’eau et l’électricité vont connaître une augmentation de plus de 400% à en croire l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (OLUCOME). Les prix de toutes les denrées alimentaires vont partir en flèche. Mais les revenus de la population ne changent pas. Car si le gouvernement commettait l’erreur de revoir les salaires à la hausse, ce serait l’inflation comme au Zimbabwe. Mais alors, la population va-t-elle avaler la pilule si amère sans protester ? Non, elle proteste depuis longtemps mais son cri de détresse se perd dans les oreilles sourdes des autorités. Elle ne sait plus à quel saint se vouer.

Ce qui est certain, avec la flambée des prix et un gouvernement quasiment démissionnaire, il suffit d’une étincelle pour mettre le feu aux poudres. Le peuple tire le diable par la queue. Les prix exorbitants du sucre produit pourtant par une société étatique, la flambée des produits de la BRARUDI et la pénurie des carburants ont fini par convaincre la population qu’il n’y a pas de coordination du côté du gouvernement. Seuls les hommes d’affaires véreux ont le vent en poupe dans ce pays et sont de connivence avec les pouvoirs publics. Affirmation gratuite ?

Le directeur général de la SOSUMO vient de sortir de son silence pour implorer l’administration publique de l’aider à imposer le respect des prix officiels. Ce fut un aveu explicite du manque de coordination au sommet de la république et surtout de la deuxième vice-présidence qui répond des questions économiques et sociales. De l'avis dudit directeur général, le sucre est produit en quantité suffisante mais sans l'aide du ministère du commerce, du ministère des finances, de la police et des administrations publiques, le sucre est exporté en contrebande vers les pays voisins (Rwanda ou RDC) où les prix sont meilleurs. Pourquoi le gouvernement échoue-t-il si lamentablement à imposer le respect de la loi ?

Le même constat d’échec éclabousse la première vice-présidence responsable des questions politiques, diplomatiques et sécuritaires. En effet, la société civile ne cesse d’alerter contre les assassinats à caractère politique. Aucune nuit ne passe sans que les radios n’annoncent la mort par éléments des services de renseignements ou par des « rebelles armés » de quelque citoyen appartenant soit au parti au pouvoir, soit au parti FNL d’Agathon Rwasa. Malgré ces faits gravissimes, le ministre de la Défense a lu un communiqué sanctionnant la réunion du conseil national de sécurité en disant que la sécurité était bonne et que la société civile et les médias hostiles au régime n’avaient qu’à bien se tenir !

Il faut dire qu’un dialogue de sourds s’est depuis installé entre la communauté internationale, l’opposition et le gouvernement. C’est surtout avec la sortie médiatique du président de la république à l’occasion de l’anniversaire de son investiture pour son second mandat, qu’il est devenu clair que Pierre NKURUNZIZA est loin de mesurer la gravité de la situation.

Le Burundi est au bord de l’implosion. Un nouveau gouvernement est plus que jamais nécessaire pour tenter de colmater les brèches et d’assainir le climat social. Il est à espérer qu’avec le nouveau gouvernement, le président Pierre NKURUNZIZA sache opérer un virage à trois cent soixante degrés pour accepter la main tendue de l’opposition et engager vite les négociations. Il n'est pas question de remettre en doute les résultats des élections de 2010 mais aujourd’hui plus qu’hier, l’opposition a droit à un cadre juridique et légal qui garantisse une compétition plus libre et transparente en 2015. Il faut mettre un terme à ces assassinats à caractère politique et libérer tous les prisonniers d'opinion !

La société civile et l’opposition regroupée au sein de l’ADC penchent pour des manifestations contre la vie chère. Mais si elles ont longtemps redouté une réaction disproportionnée de la police présidentielle et de la milice Imbonerakure, les choix ne sont plus multiples. Le moment est venu de franchir le Rubicon. Ce sera l’énième révolution du peuple burundais car et il ne faut jamais l’oublier : « La liberté passe toujours par un soulèvement de masses et rien ne peut arrêter un peuple qui part à la conquête de sa dignité ». Les nouveaux tarifs de l’eau et de l’électricité deviennent comme une goutte qui peut faire déborder le vase.