Burundi : les médias refusent le silence imposé par le gouvernement
Droits de l'Homme

Jeune Afrique, 23/09/2011

Depuis mercredi, le gouvernement burundais interdit aux médias nationaux de parler du massacre de Gatumba qui a fait 40 victimes. Une censure en bonne et due forme que les journalistes ignorent pour le moment. De son côté, la ministre de l'Information et la Communication, Concilie Nibigira, interrogée le vendredi 23 septembre par Jeune Afrique, invoque la "sécurité nationale".

Trois jours de deuil national et un président qui repousse son déplacement à New-York pour se rendre sur les lieux du drame… Cela donne un peu l’ampleur du traumatisme qu’a vécu le Burundi avec le massacre de Gatumba. Dimanche dernier, un groupe armé a attaqué à coups de kalachnikovs et de grenades un bar de cette localité située à 15 km de Bujumbura. Bilan encore provisoire : plus de quarante victimes.

Pour le moment, personne ne sait qui se cache derrière cette attaque meurtrière. L’enquête est en cours et le président Pierre Nkurunziza a promis que les responsables seraient « arrêtés et traduits en justice ». Jusque-là, rien d’étonnant. Ce qui l’est un peu plus, c’est un communiqué du ministère de l’Information tombé mercredi après-midi. Il interdit officiellement aux médias burundais de « publier, commenter ou analyser » des informations liées au massacre et impose la suspension de toutes les « émissions en direct à caractère politique » durant un mois, le temps que les enquêtes sur la tuerie progressent.

Pas de mesures de rétorsion

Tollé général dans les rédactions burundaises. « C’est une grande première », déplore Didier Bukuru, rédacteur en chef adjoint du site d’information indépendant Iwacu. « Il s’agit d’une mesure liberticide, tempête-t-il. On nous interdit de faire notre métier, c’est inacceptable ! ». Comme la majorité de ses confrères, il ne comprend pas en quoi le travail des journalistes empêche la justice de faire le sien.

Malgré la censure, Iwacu et les autres médias burundais continuent à publier leurs informations. «  Tout continue normalement », confie Didier Bukuru. Hier, cinq radios ont même organisé une « synergie des médias » en regroupant leurs rédactions et leurs programmes sur une antenne commune. Au menu : tables rondes et débats politiques sur le massacre de Gatumba et la résurgence de violence dans le pays depuis un an.

Pour le moment, aucune mesure de rétorsion n’a été appliquée contre les médias qui bravent la censure. Parmi les journalistes, le communiqué de mercredi est avant tout perçu comme une réaction « à vif » du gouvernement suite au massacre de Gatumba. « On attend une réponse de la ministre de l’Information, explique Didier Bukuru. Il devrait bientôt y avoir des discussions engagées avec les organismes médiatiques ».

Sécurité nationale

Du côté du ministère de l’Information et de la Communication, on fait le dos rond. Contactée par Jeune Afrique, la ministre Concilie Nibigira réfute toute atteinte à la liberté de la presse. « Il s’agit d’une question de sécurité nationale, il y a donc des mesures qui s’imposent », estime-t-elle. Concernant le non-respect de la censure par les médias burundais, Mme Nibigira rétorque que le gouvernement est en train « d’analyser la situation » et que des « mesures allaient être adoptées ». « Les journalistes peuvent faire un effort, poursuit-elle. Il ne s’agit pas d’une longue période : un mois, c’est tout ». Et si jamais l’enquête sur le massacre de Gatumba devait durer plus longtemps ? « On appréciera », répond évasivement la ministre.

Par Benjamin Roger