Nobel de la Paix : trois femmes puissantes
Droits de l'Homme

Libération, 09/10/2011

Tawakkul Karman, Ellen Johnson Sirleaf et Leymah Gbowee.Le comité d’Oslo a couronné, vendredi, deux Libériennes et une Yéménite pour leur action en faveur de la paix.

Durant des années, le Liberia a été synonyme d’une atroce guerre civile, où se sont illustrés notamment des contingents d’enfants soldats, drogués et arborant des perruques fantasques. Les temps changent : il est aujourd’hui à l’honneur grâce à sa présidente, Ellen Johnson-Sirleaf, couronnée vendredi par le prix Nobel de la paix, aux côtés d’une autre Libérienne, Leymah Gbowee, surnommée la «guerrière de la paix», et d’une troisième femme, la Yéménite Tawakkol Karman, première femme arabe à recevoir ce prix.

Le comité norvégien a voulu ainsi rendre hommage à toutes ces femmes qui ont choisi des armes non létales pour changer le cours de l’histoire dans leur pays. Jusqu’à présent, seules 12 femmes avaient reçu le prix Nobel de la paix en cent dix ans d’histoire, la dernière étant l’écologiste kényane Wangari Maathai, décédée le 25 septembre.

En 2005, Ellen Johnon-Sirleaf, économiste de formation, était la première femme élue à la tête d’un pays africain. Soutenue notamment par les Etats-Unis, où elle a fait ses études (à Harvard) et une partie de sa carrière de haut fonctionnaire (à la Banque mondiale), elle l’emportait face à l’ex-star du football, George Weah.

Épinglée. Si cette récompense honore son pays, fondé au début du XIXe siècle par des esclaves affranchis venus des Etats-Unis, elle suscite aussi la polémique en apparaissant comme de l’ingérence dans les affaires intérieures du Liberia. Car elle a été annoncée à quelques jours seulement du scrutin présidentiel, auquel concourt la présidente sortante, âgée de 72 ans. Celle-ci s’est empressée d’affirmer qu’il s’agissait d’un prix «pour tout le peuple libérien». Aura-t-il un impact sur l’issue du vote de mardi ?

Même si des progrès notables ont été accomplis, essentiellement dans la capitale, Monrovia, où de nombreux quartiers disposent de l’eau et l’électricité, et où les routes ont été refaites, Ellen Johnson-Sirleaf a vu sa popularité chuter, rendant incertain le verdict des urnes. On lui reproche de ne pas avoir tenu ses promesses de développement économique - 80% des actifs sont toujours au chômage - et de ne pas avoir su œuvrer à la réconciliation des multiples communautés qui composent son pays.

Par ailleurs, la Présidente a elle-même été épinglée par la Commission vérité et réconciliation, qui recommandait même de lui interdire toute fonction officielle pendant trente ans ! En cause : son bref soutien à Charles Taylor, l’homme qui mit à feu et à sang le pays avant de s’emparer du pouvoir en 1997 avec ce slogan hurlé par les ex-enfants soldats : «Il a tué mon père, il a tué ma mère, je vote pour lui!» Sous-entendu : sinon, le carnage va recommencer. Ellen Johnson-Sirleaf s’est vigoureusement défendue en expliquant s’être fourvoyée et rappelant qu’elle était devenue très vite une opposante farouche à Taylor, déposé en 2003 et aujourd’hui jugé à La Haye (Pays-Bas) par un tribunal international ad hoc.

A la différence de la Présidente, la personnalité de Leymah Gbowee ne prête pas le flanc à la critique. C’est une personnalité hors norme de la société civile qui, avant de s’exiler au Ghana, où elle réside depuis 2005, a courageusement combattu la barbarie dans son pays. Avec des moyens inédits. Cette quadragénaire, mère de six enfants, avait d’abord demandé aux femmes de se rassembler, au-delà de tout clivage ethnique et religieux, dans la prière. Puis, elle lança, en 2002, un mouvement pacifiste pour le moins original : la grève du sexe. Pour obliger les hommes à négocier, elle incita les femmes à se refuser à eux. Prenant la menace au sérieux, Charles Taylor décidait de les associer aux pourparlers de paix.

Solidarité. Toutefois, ce sont des mouvements rebelles, venus de Côte-d’Ivoire et de Guinée qui, en 2003, obligeront Taylor à quitter le pouvoir. Ironie de l’histoire, Leymah Gbowee a siégé dans la Commission vérité et réconciliation, celle-là même qui avait mis en cause la Présidente.

Enfin, en récompensant la Yéménite Tawakkol Karman, le comité Nobel fait d’une pierre plusieurs coups. Celle-ci ne s’y est pas trompée, dédiant son prix à «tous les activistes du printemps arabe» et ajoutant qu’il s’agissait d’«un honneur pour tous les Arabes, les musulmans et les femmes».

A 32 ans, cette frêle journaliste est une figure emblématique du soulèvement populaire contre le président contesté Ali Abdallah Saleh. Fin janvier, elle appelait par SMS à manifester en solidarité avec les Tunisiens et les Egyptiens, n’hésitant pas à prendre la tête des défilés. Depuis mars, pour échapper aux manœuvres d’intimidation du pouvoir, elle s’est installée dans une tente sur la place du Changement, dans le centre de Sanaa, avec son mari et ses trois enfants, protégée par des militaires dissidents.