République démocratique du Congo : la guerre des urnes
Afrique

L'Express, 28/11/2011

Par Vincent Hugeux

Chaos de l'Etat, déchirements ethniques : les élections présidentielle et législatives en République démocratique du Congo reflètent les maux endémiques dont souffre ce géant en proie à la violence et à la misère. 

Fâcheux présage pour un pays-continent si jaloux de sa souveraineté: ce lundi 28 novembre, date des scrutins présidentiel et législatif, les électeurs congolais glissent leurs bulletins imprimés en Afrique du Sud dans des urnes made in China.  

D'autres nuages, moins symboliques, plombent l'horizon. A commencer par la violence. "Il faudrait un miracle pour éviter l'embrasement", soupire un diplomate familier des convulsions de l'ex-Zaïre. Des accrochages ont émaillé la précampagne au Katanga, turbulente province du Sud richement dotée en cuivre. Au Kivu, à l'extrême est, les milices rivales et l'armée dite régulière sèment la terreur parmi les civils, femmes et adolescentes en tête; ce en dépit des efforts des Casques bleus de la Monusco, la mission onusienne. Quant à l'opposant historique Etienne Tshisekedi, 79 ans, enclin à se proclamer d'ores et déjà chef de l'Etat, il recourt à une rhétorique belliqueuse, menaçant de libérer par la force ses fidèles emprisonnés.

L'issue de la présidentielle à un seul tour - on n'est jamais trop prudent - ne fait guère de doute. Même s'il a perdu l'essentiel de sa clientèle au Nord et au Sud-Kivu, même s'il n'a tenu aucune des promesses de paix et de développement formulées à l'orée du quinquennat finissant, le sortant Joseph Kabila devrait l'emporter. D'autant que le contrôle de l'argent public et de l'appareil sécuritaire garantit une écrasante suprématie à ce personnage énigmatique guetté par l'autisme. Atouts renforcés par l'opacité d'une commission électorale "indépendante" dirigée par un féal de "Jo". Que vaudra demain la légitimité d'un chef élu avec moins du tiers des suffrages exprimés, scénario crédible? 

L'entêtement suicidaire de ses rivaux, aveuglés par leur ego, ne vaut guère mieux. Bien sûr, les consignes données depuis sa cellule de La Haye, siège de la Cour pénale internationale, par Jean-Pierre Bemba, finaliste malheureux en 2006, pèseront. Il n'empêche: seule la désignation d'un challenger unique aurait pu bousculer la donne. La RDC, pour son malheur, manque autant d'hommes d'Etat que d'Etat tout court. 

Les pièges de la cohabitation

Un autre fléau, récurrent en Afrique subsaharienne, assombrit le ciel: la polarisation ethnique. "Jamais un Nande de l'Est ne votera pour Tshisekedi, originaire du Kasaï, note un universitaire. Les procureurs de Kabila voient en lui un Rwandais otage de Kigali ou lui reprochent son clanisme pro-Katanga. Quant aux tensions entre Kasaïens et Katangais, elles résultent de rancoeurs ancestrales."  

L'alchimie électorale congolaise risque d'aboutir à une cohabitation paralysante: le sortant maître du palais, face à un parlement fragmenté, dominé par l'opposition. Combinaison idéale pour prolonger la léthargie du Congo-Kinshasa, géant couché sur un pactole minéral phénoménal, mais ravagé par la misère. Et repousser aux calendes zaïroises cet impératif absolu: la création d'une armée nationale, d'une police fiable et d'une magistrature digne de ce nom.

Un fauteuil pour quatre

Quatre des 11 candidats qui se disputeront la magistrature suprême sortent du lot.

Joseph Kabila (40 ans), le sortant. Propulsé au pouvoir en 2001 au lendemain de l'assassinat de son père, Laurent-Désiré, il devance en 2006 Jean-Pierre Bemba au second tour.

Etienne Tshisekedi (79 ans), le vétéran. Premier ministre puis ennemi juré du dictateur Mobutu, ce natif du Kasaï oriental, leader messianique de l'Union pour le développement et le progrès social (UDPS), avait boycotté le scrutin de 2006.

Vital Kamerhe (52 ans), le transfuge. Directeur de campagne de "Joseph" voilà cinq ans, cet enfant du Sud-Kivu mise sur les voix des provinces de l'Est, peuplées de déçus du kabilisme.

Léon Kengo wa Dondo (76 ans), l'ex-baron mobutiste. Originaire de l'Equateur, le président du Sénat pâtit de la fragilité de son assise électorale. 


@rib News, 28/11/2011 – Source Reuters

Election présidentielle en République démocratique du Congo

La République démocratique du Congo (RDC) vote lundi pour la deuxième fois depuis la guerre de 1998-2003. Le président Joseph Kabila est favori à sa propre succession face à une opposition divisée et malgré des progrès économiques limités.

Trente-deux millions de Congolais sont appelés à participer à ces élections législatives et présidentielle. Pas moins de 18.500 candidats brigueront les 500 sièges du Parlement et Joseph Kabila, fils de feu Laurent-Désiré Kabila, aura dix adversaires face à lui.

Les bureaux de vote ouvrent à 06h00 (05h00 GMT) et les premiers résultats sont attendus le 6 décembre.

La fin de campagne a été marquée par des incidents meurtriers et des retards dans la préparation du vote.

Au moins trois personnes sont mortes dans des heurts samedi entre camps rivaux, selon des sources internes aux Nations unies, mais les rues de Kinshasa, la capitale forte de dix millions d'habitants, étaient calmes dimanche.

Dans la soirée, des camions chargés d'urnes et de bulletins de vote traversaient la ville parcourue par des patrouilles de police.

Le scrutin, dans ce pays vaste et par endroits instable, constitue un véritable casse-tête logistique mais les autorités assurent que les difficultés seront surmontées.

Des hélicoptères venus d'Afrique du Sud et d'Angola ont continué cette semaine d'acheminer le matériel électoral dans des zones parfois accessibles uniquement par pirogue ou par la brousse.

Dans l'Est du pays, à 1.500 km de la capitale, l'élection se déroulera parfois dans des zones toujours contrôlées par une pléthore de groupes rebelles locaux ou étrangers.

"TOUT LE MONDE IRA VOTER"

A Kinshasa même, des électeurs se plaignent de la confusion qui règne, ne sachant pas où ils devront déposer leur bulletin.

Dans le quartier de Victoire, Justin Lisacy n'a pas trouvé son nom sur les listes. "Il y aura beaucoup de monde, je veux donc savoir où j'irai demain matin", a-t-il expliqué.

Nombre de spécialistes prédisent un report ou un vote étalé sur plusieurs jours, à moins d'une participation très faible.

Le président de la commission électorale nationale indépendante (Ceni), Daniel Ngoy Mulunda, un proche du chef de l'Etat, n'en a pas moins assuré dimanche soir que les élections seraient "une fête de la démocratie".

"Tout le monde ira voter. Le peuple congolais franchira la deuxième marche dans la consolidation de sa démocratie. Nous avons tenu notre promesse", a-t-il dit.

Joseph Kabila, qui a accédé au pouvoir après l'assassinat de son père en 2001 et remporté l'élection présidentielle en 2006, divise les 71 millions de Congolais.

Certains lui savent gré d'avoir unifié le pays après la guerre et ses millions de morts mais d'autres jugent qu'il n'a pas fait reculer la corruption.

Il reste néanmoins le favori aux yeux de la plupart des observateurs.

Discret et taciturne, âgé de 40 ans, il a réussi à conserver le soutien de puissances étrangères et à se réconcilier avec le Rwanda. Sur le plan intérieur, il a passé des alliances qui ont consolidé son pouvoir.

Le Parlement a approuvé une réforme constitutionnelle qui l'avantage, transformant la présidentielle en scrutin à un seul tour, à la majorité relative.

Les figures de l'opposition ne sont en outre pas parvenues à s'entendre sur un candidat commun malgré de longues négociations.

"L'OPPOSITION SERA BATTUE"

Kabila devrait l'emporter nettement dans le Katanga (Sud), fief de son père. Interrogé le mois dernier sur le résultat de l'élection, il a répondu avec une concision toute personnelle: "Divisée ou non, l'opposition sera battue."

Vital Kamerhe, ancien ministre de Kabila et grand artisan de sa victoire en 2006, est considéré comme l'opposant ayant mené la campagne la plus professionnelle. Il est très populaire aux Nord et Sud-Kivu, d'où il est originaire et où la population en veut au président pour n'avoir pas ramené la paix.

Deux anciens ministres de l'ex-président Mobutu Sese Seko sont également candidats, à près de 80 ans.

L'un des fils du maréchal qui a régné durant 31 ans, François-Joseph Nzanga Mobutu, se présente pour la deuxième fois. Âgé de 41 ans, il veut profiter de la nostalgie du Zaïre de Mobutu.

A 78 ans, Etienne Tshisekedi, opposant historique de Mobutu, brigue lui aussi la présidence. Il avait boycotté le précédent scrutin en dénonçant des fraudes.

Sa campagne a démarré tard mais a gagné en puissance au fur et à mesure qu'elle s'étendait aux régions occidentales anti-Kabila et il tend aujourd'hui à concentrer l'opposition au chef de l'Etat.

On a vu samedi des dizaines de milliers de ses partisans venir le rejoindre à l'aéroport de Kinshasa où la police l'avait bloqué pour l'empêcher de tenir un meeting dans la capitale.

"Paradoxalement, les tentatives maladroites du gouvernement pour faire obstruction à sa campagne n'ont fait que renforcer sa stature", constate Peter Pham, directeur du Michael S. Ansari Africa Center.