Burundi : Vers une crise sans précédent à la Mutuelle de la Fonction publique ?
Opinion

@rib News, 28/11/2011

Mutuelle de la Fonction Publique : nettoyage au sein du personnel

Siègeà Bujumbura de la Mutuelle de la Fonction publiqueTout est allé vite depuis le 15 novembre dernier. Depuis le départ de François Sindimwo de la tête de la Mutuelle de la Fonction Publique, le groupe dit « camp de Bururi » au siège de la Mutuelle de la Fonction Publique menaçait : « son entreprise ne doit plus compter autant de Hutus. Il faut nettoyer et tous les prétextes sont bons. »

Et dire que les démons de la haine ethnique avaient été exorcisés au Burundi ! Dans cette affaire à forte coloration ethnique, les médias dits indépendants se refusent d’alerter contre cette tragédie en cours d’élaboration. Où sont passées la société civile et les associations de défense des droits des travailleurs ?

Le 15 novembre 2015, le nouveau directeur général, monsieur Déogratias Nduwimana, ingénieur agronome et ancien ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Urbanisme, présidait la réunion du Conseil d’entreprise de la Mutuelle de la Fonction Publique. Au point 6 de l’ordre du jour était inscrit : « Relèvement des salaires en général ».

Au premier abord, une initiative louable. Mais pour comprendre les visées démoniaques des initiateurs de la proposition, il fallait s’arrêter un peu sur les autres points traités dans cette réunion. Le Conseil d’entreprise s’indignait du fait que des officines aient été ouvertes à Gatumba, Kanyosha et Rushubi sans étude préalable de rentabilité ! On se demande déjà si la Mutuelle de la Fonction Publique vise essentiellement les bénéfices ou plutôt l’utilité publique. Est-ce une entreprise commerciale ou un service public ? Et pourtant, qui dit ouverture d’officines, suppose création d’emplois. Et la fermeture d’officines entraînerait nécessairement la suppression d’emplois.

Le Conseil d’entreprise observait que la Mutuelle supporte un montant colossal d’arriérés dus par les grandes institutions de la République. Il fallait donc mettre l’accent sur une stratégie de recouvrement ou de suspension de services à l’endroit des institutions défaillantes. Mais cette décision courageuse, le Conseil d’entreprise ne la prône pas dans toute son ampleur. Il cherche les boucs-émissaires. Et il les trouve dans les nouvelles officines créées prétendument sans étude préalable. Les officines sont pointées du doigt comme responsables du résultat négatif d’exploitation et pire encore, comme ayant contribué à rendre le personnel de la Mutuelle pléthorique.

Malgré le résultat d’exploitation qui est négatif, le Conseil d’entreprise proposait une augmentation de salaire en faveur des cadres et agents de la Mutuelle. Paradoxal, non ? Pire encore, pour que cette augmentation soit possible, il fallait des sacrifices. Le procès verbal de ladite réunion est sans équivoque: « Le Conseil d’entreprise reconnaît en outre que la révision à la hausse des salaires des cadres et agents de la Mutuelle est une nécessité absolue au vu de la conjoncture économique actuelle. Néanmoins, avec la situation de pléthore du personnel que la Mutuelle connaît aujourd’hui et qui influence négativement son rendement, sa gestion et partant ses résultats financiers, il est difficile voire impossible de réaliser cette option. »

Dans ce même procès verbal, nous lisons que le Conseil d’entreprise suggère d’arrêter une stratégie de recouvrement des arriérés de cotisations afin de s’en servir pour la construction d’un immeuble multiservice. Il est déjà surprenant de savoir que le président du syndicat des travailleurs de la Mutuelle approuvait toutes ces décisions! Pour qui roule-t-il au juste ?

Le diable se cache dans les détails

Depuis 2005, la Mutuelle a amorcé une politique d’implantation d’agences et de pharmacies dans toutes les provinces du pays. Une initiative qui a soulagé beaucoup de familles de l’intérieur du pays. Cette politique a coupé les herbes sous les pieds des propriétaires de pharmacies partenaires de la Mutuelle. Or, parmi les propriétaires de pharmacies partenaires de la Mutuelle figurent des cadres de la Mutuelle, le fameux « camp de Bururi » ! Par le passé et avant la fermeté de monsieur Sindimwo, par conflits d’intérêts, lesdits cadres manipulaient les décisions du Conseil d’entreprise. Depuis la chute de Sindimwo François, ils offrent la patte de velours au nouveau Directeur Général et veulent faire croire que la Mutuelle irait mieux si elle restait coupée de certaines communes de l’intérieur du pays. Comme nous allons le démontrer, ces cadres, membres du Conseil d’entreprise, ne sont guidés que par des intérêts égoïstes ou tribalistes.

Ce qui n’est pas dit dans cette purge en cours de préparation, c’est que, par le passé, la Mutuelle affichait à plus de 95% de son personnel, uniquement des cadres et agents d’ethnie tutsie. Or, depuis 2006 et grâce à l’ouverture des agences et pharmacies à travers le pays, le nombre de Hutus qui ont été recrutés a permis de tendre vers les quotas fixés par les Accords d’Arusha, même si les Tutsis occupent plus de 70% des postes de cadres et 60% des postes d’agents ! En proposant de fermer les pharmacies et de réduire le personnel de la Mutuelle, le Conseil d’entreprise a tourné délibérément le couteau dans la plaie nationale. Une bombe à retardement désormais entre les mains du Directeur général et du Conseil d’administration.

Il est surprenant de savoir que l’actuel Directeur général ait approuvé une telle décision combien cruelle et impopulaire. L’argument d’offrir de meilleurs salaires au personnel ne tient pas la route. Le diable se cache dans les détails quand on sait que le Conseil d’entreprise a retenu comme critère de dégraissage la résiliation de tous les contrats des agents recrutés à partir de 2005 ! Pourquoi ne pas encourager les départs volontaires à la retraite anticipée et autres ? Même les agents désormais en sursis qui pourraient échappés au renvoi massif, se verraient proposer une politique de redéploiement. L’objectif de cette autre stratégie cruelle est de placer certains agents devant le dilemme : sacrifier leur vie de famille ou abandonner le travail. Et s’ils abandonnaient d’eux-mêmes, ce serait du bon débarras : aucune indemnité pour licenciement abusif.

Ce qui est en train de se commettre pour le moment à la Mutuelle est un crime contre l’humanité. De pire que la conjuration contre l’intérêt général, quand on découvre que les frais de lunetterie accordés sous le règne de Sindimwo risquent d’être supprimés. Or, il suffit de parcourir le pays pour voir que parmi les effets de la guerre, figurent les produits toxiques utilisés dans les munitions qui provoquent des difficultés de vue à bien des paysans.

Nous comprenons que le sort de toutes ces familles menacées ne préoccupe pas du tout le Conseil d’entreprise de la Mutuelle. Et pour cause : du moment qu’il s’agit de réduire sensiblement le nombre de Hutus afin que les autres se partagent un gros gâteau ! C’est le comble du tribalisme et du sadisme.

D’après le témoignage d’un agent de la Mutuelle qui a requis l’anonymat, la fermeture des pharmacies et de certaines agences de la Mutuelle serait motivée par d’autres calculs malsains. Avant l’arrivée du Directeur actuel en charge des pharmacies au sein de la boîte, les pharmacies privées (surtout celles appartenant aux cadres de la Mutuelle) entassaient des cartons de médicaments périmés et en échangeaient contre des médicaments en bon état dans le stock de la Mutuelle. Le limogeage en masse des agents (on parle de 300 personnes) et probablement celui du Directeur des pharmacies permettrait de restaurer les magouilles d’autrefois. Parmi les ténors de ce mouvement inhumain de dégraissage des effectifs, on cite le Directeur des prestations et le président du syndicat des travailleurs de la Mutuelle ! L’actuel Directeur général aurait accepté de soutenir le mouvement par dépit devant l’impossibilité de recruter autant d’agents comme son prédécesseur !

Le Directeur Général risque d’y laisser des plumes !

Une fois le procès verbal de la réunion rendu public, la tension est montée d’un cran entre les agents recrutés après 2005 et le président du syndicat. Les agents réclament sa démission de même qu’une autre commission chargée plutôt de recouvrer les arriérés de cotisation. Pour ce qui est du personnel pléthorique, les agents ne le voient pas de cet œil. Ils dénoncent l’égoïsme et le tribalisme. Ils en appellent au Président de la République pour que la politique d’implantation des agences et pharmacies ne se terminent pas en queue de poisson. Ils insistent sur le rôle d’utilité publique qui est celui de la Mutuelle. Ils s’indignent du fait qu’un ingénieur agronome soit à la tête de la Mutuelle et attribuent leur malheur au mauvais choix du chef de l’Etat.

Affaire à suivre ...

Nzisabira Patrice