Une Africaine à la tête de la Cour Pénale Internationale
Droits de l'Homme

@rib News, 12/12/2011 – Source AFP

Fatou Bensouda, nouveau procureur de la Cour pénale internationale (CPI)La Gambienne Fatou Bensouda a été élue par consensus lundi, lors de la réunion annuelle au siège de l'ONU à New York, nouveau procureur de la Cour pénale internationale (CPI) par les 120 États membres de ce tribunal chargé de juger à travers le monde les auteurs de génocide ou de crimes de guerre. Fait inédit, sa nomination est la première d'une femme africaine à ce poste central de l'institution née en 2002.

Fatou Bensouda succèdera en juin à Luis Moreno-Ocampo, resté pendant neuf ans à la tête de la CPI. Il y avait en septembre, au début du processus de sélection, 52 candidats en lice. Mme Bensouda, ancienne ministre de la Justice en Gambie, est l'actuelle adjointe de M. Moreno-Ocampo à la CPI.

Musulmane pratiquante et mère de deux garçons, sa vie professionnelle s'est faite entre le public et le privé. Un diplôme de droit obtenu au Nigéria puis un master de droit maritime en poche, elle a notamment exercé les activités d'avocate, de procureur et de banquière en Gambie, son pays natal. Entre temps, elle effectue un passage en tant que ministre de la Justice sous Yahya Jammeh, de 1998 à 2000.

En 2002, elle devient conseillère juridique puis substitut du procureur au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) en Tanzanie. Mais c'est en août 2004 qu'elle rentre à la CPI en devenant adjointe du procureur argentin Luis Moreno-Ocampo.

Lors d'une courte déclaration, elle a fait part de son intention de rester « humble » après son élection, se déclarant particulièrement fière du soutien reçu par les pays africains.

« Le continent africain a de nouveau montré son soutien et son engagement en faveur de la justice internationale et de la Cour », a-t-elle ajouté.

« Mais laissez-moi insister sur cela : je serai le procureur de tous les États membres d'une manière indépendante et impartiale », a-t-elle souligné.

La future procureur de la CPI, face à des défis politiques

La Gambienne Fatou Bensouda, élue lundi nouveau procureur de la Cour pénale internationale (CPI), devra composer avec un élément de plus en plus patent: la chasse aux criminels de guerre devient un enjeu politique.

Régulièrement, les pays africains se plaignent de ce que la CPI vise, injustement, estiment-ils, le continent noir. De fait, les sept enquêtes ouvertes depuis 2003 concernent toutes des pays africains (Ouganda, République démocratique du Congo (RDC), République centrafricaine, Soudan (Darfour), Kenya, Libye et Côte d’Ivoire).

Mais Mme Bensouda veut croire que son origine africaine sera un atout. « Je ne pense pas aux dirigeants que nous poursuivons », disait-elle récemment lors d'un entretien à La Haye, où siège la Cour pénale internationale. « Je travaille pour les victimes d'Afrique, elles sont africaines comme moi, voilà d'où je tire ma fierté et mon inspiration ».

Nombreux sont pourtant les observateurs qui voient une très forte politisation de l'institution, qui est devenue sujette, selon eux, à une pression dont Fatou Bensouda aura bien du mal à se soustraire.

Richard Dicker, directeur du programme « Justice internationale » à l'ONG Human Rights Watch, juge que la toute jeune CPI (créée en 2002) « a pris une envergure nouvelle sur la scène internationale » en dix ans.

« Si certains gouvernements reconnaissent le rôle de la CPI dans les crises et conflits, d'autres ont tenté d'utiliser la Cour (...) à des fins politiques », note-t-il.

Stephen Lamony de l'ONG Coalition pour la Cour pénale internationale, qui soutient la Cour, renchérit : l'origine africaine de Fatou Bensouda risque de jouer contre elle et pourrait écorner l'image de la Cour sur le continent noir.

« Le fait que la nouvelle procureur soit africaine va lui compliquer la tâche. Elle va devoir affronter divers types de pressions », estime-t-il.

Certains pays africains ont ainsi tenté de pousser le Conseil de sécurité de l'ONU à suspendre les poursuites contre Omar el-Béchir, le président soudanais sous le coup d'un mandat d'arrêt de la CPI pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité au Darfour. De son côté, le Kenya fait campagne contre l'enquête lancée sur les violences postélectorales de 2007-2008.

L'Union africaine a décidé en juin de ne pas exécuter les mandats d'arrêt de la CPI à l'encontre des dirigeants africains.

Mais la pression vient aussi d'acteurs majeurs (Etats-Unis, Chine et Russie) qui, bien que ne faisant pas partie de la CPI, tentent à leur manière d'influencer son travail en fonction de leurs propres intérêts.

Christian Wenaweser, ambassadeur du Liechtenstein à l'ONU et président de l'Assemblée des Etats-parties de la CPI, espère pourtant que le Statut de Rome, qui régit le fonctionnement de la Cour, suffit à protéger le procureur.

« Nous Etats-parties sommes les défenseurs de cette loi. C'est cela qui protège le procureur », dit-il. M. Wenaweser juge même que l'origine africaine de Mme Bensouda va lui être bénéfique et aura un "impact politique", notamment dans ses efforts pour inciter les gouvernements à coopérer avec elle lorsque leurs dirigeants sont mis en cause.

Le travail du procureur « a sans aucun doute un effet politique et nous le voyons tous les jours. Et là, la nouvelle procureur va devoir trouver le juste équilibre », ajoute Christian Wenaweser.

La CPI est une Cour indépendante des Nations Unies, fondée en 1998 par 120 Etats, en vertu du traité de Rome. Elle ne dispose pas de sa propre force de police et dépend donc de la coopération des Etats pour interpeller ses suspects et juger les auteurs des crimes les plus graves qui concernent la communauté internationale, comme les crimes de guerre ou de génocide. Elle n'intervient pas si la justice nationale entame, en toute « bonne foi », une procédure judiciaire.