Une Burundaise devient la première femme au Comité Exécutif de la FIFA
Sports

FIFA, 22 mai 2012

Lydia Nsekera : "Plus de responsabilités pour les femmes"

 La Présidente de la Fédération du Burundi Lydia Nsekera a été cooptée membre du Comité Exécutif de la FIFA le 21 mai 2012 pour un an, sous réserve de ratification par le Congrès de la FIFA le 25 mai. La date est historique car la dirigeante burundaise est la première femme à accéder au Comité Exécutif de la FIFA.

Cette femme de 45 ans à l’énergie débordante a passé tous les échelons pour parvenir à ce poste prestigieux mais elle garde la tête sur les épaules. Dans un entretien exclusif avec FIFA.com, elle raconte son parcours, explique comment elle voit son rôle et détaille son amour du ballon rond.

Lydia Nsekera, que représente pour vous cette place au Comité Exécutif ?

C’est important pour moi et pour ma Fédération, qui m’a fait confiance dès 2004. Pour être honnête, à l’époque je ne pensais pas pouvoir diriger une Fédération, car c’est un travail très difficile. Quand l’équipe nationale perd des matches, quand on parle de l’arbitrage, quand il y a le moindre problème, le Président de la Fédération est pointé du doigt. La pression est constante. Et puis en Afrique, on ne considère pas naturellement qu’une femme est faite pour être dirigeante, qui plus est dans le football. Ça a donc été un long processus de se faire accepter, j’ai fait beaucoup d’efforts - certains disent des sacrifices ! - je suis dès lors d’autant plus contente maintenant pour moi, ma Fédération et les femmes.

Comment envisagez-vous votre rôle ?

Le Comité Exécutif de la FIFA est un organe crucial du football mondial. Je vais participer avec les autres membres, nous allons travailler ensemble. Je m’y vois comme un membre de la famille. Dans mon esprit, le football, c’est pour tout le monde. Ce qui m’intéresse c’est d’aider le développement du football en général. Bien sûr je représente le football féminin aussi et c’est important, je crois, d’avoir une femme dans un organe de direction, mais avant tout je représente la grande famille du football. Le football est universel, tout simplement.

Parlez-nous un peu de votre parcours…

Mon père était Président d’un club dans les années 70. Ma famille entière était dans le football, certains de mes cousins jouaient, j’ai vu les joueurs du club de mon père faire leurs rassemblements à la maison, donc je ne pouvais pas y échapper (rires) ! Je n’ai pas joué au football quand j’étais jeune car à l’époque en Afrique, les filles ne jouaient pas. Mais j’ai créé les premières équipes féminines à Bujumbura. Lorsque la FIFA a poussé pour développer le football féminin, on m’a appelé parce que j’étais la femme qu’on voyait souvent au stade. Je suis une passionnée de football, j’ai toujours suivi les Coupes du Monde, les matches de Coupe d’Europe, etc. On cherchait une femme qui pouvait organiser le football féminin. J’ai donc été d’abord vice-Présidente de la Commission du football féminin au Burundi et j’ai lancé le premier championnat national de football féminin. J’ai également créé plusieurs clubs.

Et ensuite, comment cela a-t-il évolué ?

En 2001, je suis devenue Présidente de la Commission des Compétitions. La Fédération n’était pas stable, la FIFA a demandé l’organisation d’élections anticipées en 2004. Je faisais partie d’une liste et les gens de la liste m’ont demandé si je voulais me présenter pour être Présidente. Je les ai regardés et je me suis dit : ‘Ces gens sont fous… Imaginer une femme Présidente de la Fédération de football au Burundi, c’est impossible !’

Pensez-vous que votre élection a permis de changer les mentalités ?

Clairement, mon exemple a servi. Mon pays a connu une guerre ethnique terrible. Pendant les négociations d’Arusha pour le partage du pouvoir, il a été affirmé qu’il fallait 30% de femmes aux postes de direction du pays. Et pendant toute l’année qui a précédé les élections présidentielles de 2005, mon nom était constamment cité comme un exemple de femme dirigeante. On disait que la Fédération de football avait vécu dix ans de problèmes internes et que depuis qu’une femme était en charge, il n’y avait plus de souci. Pour les femmes burundaises, j’ai un peu ouvert la porte.

Finalement, quel est votre objectif en étant présente dans un organe comme le Comité Exécutif ?

Du jour où j’ai été élue à la Fédération de football, je me suis dit : ‘ok, je suis là, mais je ne suis pas sûire que d’autres femmes auront des postes à responsabilité dans le football’. J’ai aussi réalisé que si j’étais restée dans le créneau du football féminin, j’y serais restée cantonnée. J’ai été élue parce qu’on a vu que j’étais capable de m’occuper des clubs en général au travers de la Commission des Compétitions. J’ai donc poussé pour éviter cette ségrégation hommes-femmes. J’ai fait en sorte que des arbitres femmes officient sur des matches masculins, j’ai systématiquement poussé les femmes qui étaient efficaces dans l’Administration à s’engager plus avant. C’est bien d’avoir des joueuses, des femmes arbitres, entraîneurs, mais c’est plus difficile dès qu’il s’agit de postes à responsabilités. Je pousse les femmes à ce qu’elles ne se limitent pas, qu’elles réalisent qu’elles sont capables.

Comment y parvenir ?

D’une part les femmes doivent comprendre qu’elles ne sont pas limitées au jeu, qu’elles peuvent très bien endosser des responsabilités, devenir dirigeantes. Quant aux hommes, ils doivent admettre aussi cela. Mais par expérience, je peux vous dire que ce n’est pas si difficile : les hommes m’ont acceptée à un poste de direction dans un pays où pourtant la femme n’est pas mise en avant.

Qu’est-ce qui vous passionne tant dans ce sport ?

Le rôle socio-culturel du football est incroyable. Je vais vous raconter une anecdote : j’ai créé des clubs dans des quartiers à majorité Hutu. Je ne suis pas Tutsi mais j’ai le "faciès", si l’on peut dire. En 2000, c’était la guerre. J’allais donc voir les matches dans ces quartiers dans l’après-midi, je donnais le coup d’envoi, je me mettais dans les tribunes, je regardais le match, et je n’avais aucun problème. Car pendant un match, il n’y avait plus de question ethnique. J’étais dirigeante de football, point à la ligne. Qui que ce soit d’autre aurait eu des soucis, mais moi, comme j’étais de la famille du football, non. C’est ça, la puissance de ce sport.