Du "deux poids, deux mesures" dans la compassion envers les victimes
Opinion

@rib News, 31/05/2012

Commémoration du 29 Avril 2012 à Bujumbura.

Le massacre des enfants de Buta en 1997, évènement qui en cache bien d’autres.

Emmanuel BamenyekanyePar Emmanuel Bamenyekanye

Au Burundi, 1972 est l’année de massacre de milliers d’innocents ayant pour seul tort être né hutu. Un régime génocidaire a décimé des générations et aucun monument n’a été érigé en mémoire de tous ces innocents massacrés. C’est déjà quarante ans que le déluge de sang d’une pluie de cartouches et de bambous taillés a déferlé sur tout le Burundi. Quarante ans de deuil et de douleur pour des milliers familles éprouvées.

Aucune organisation même parmi les très actives et actuelles de la société civile ne se lève pour réclamer justice aux milliers de nos compatriotes emportés par l’intolérance humaine depuis notre indépendance. Pour mémoire, il y a les massacres de paysans hutu de Muramvya en 1965, les exécutions sommaires des militaires hutu hauts gradés et des responsables politiques et des sociétés en 1969, le génocide des hutus en 1972 et 1973, le massacre de Ntega-Marangara en 1988, l’assassinat du Président Ndadaye en 1993, les civils de Musigati, les élèves de différentes écoles secondaires en 1993-1998, l’épuration ethnique de l’Université de Bujumbura et de la ville de Bujumbura en 1995 et d’autres tueries ciblées qui ont suivis jusqu’en 2003.

Et c’est en souvenir à ces centaines de milliers de disparus que des membres de la diaspora présents à Bujumbura et en communion avec leurs compatriotes résidant en Italie, à Bruxelles, au Canada, en Espagne, Afrique du Sud, etc. qu’ils ont déposé des gerbes de fleurs sur deux fosses communes clairement identifiées à Buterere en Mairie de Bujumbura et en présence de plus de 300 personnes de toutes tendances politiques et ethniques. Cette cérémonie s’est clôturée par une messe à la Cathédrale Régina Mundi.

Le 29 Avril 2012 : une manifestation commémorative à Bujumbura occultée par la RTNB

Deux stations de radio et télévision privées : radio Rema FM et TV Salama ont été les seules à diffuser le reportage et toutes les images prises le 29 avril 2012 sur une initiative des membres de la diaspora burundaise présents à Bujumbura pour commémorer la tragédie de 1972. La radio télévision nationale est restée muette alors que le 30 avril, le journal radio diffusé était dominé par les massacres des enfants de Buta. L’appel lancé par les organisateurs de la manifestation au Directeur Général de la Télévision pour qu’il se ressaisisse et diffuse l’évènement restera lettre morte. A ceux qui ne le savent pas, les séminaristes de Buta ont été tués dans un contexte exécrable de guerre et d’horreur fratricide. Ces horreurs n’avaient pas épargné l’université du Burundi, la famille Ntamwana, les réfugiés de l’évêché de Ruyigi et autres victimes des sans échecs, sans défaite de la ville de Bujumbura et de l’armée mono-ethnique tutsi de l’époque. Nous n’avons rien contre que le Burundi, les proches et la famille chrétienne se souviennent des massacres des innocents, mais cela ne doit pas se faire au détriment d’autres innocents massacrés.

Canonisation des enfants de Buta, prélude à la disqualification politique des organisations à prédominance hutu.

Or, nous apprenons qu’en date du 03 Juin 2012, le Groupe Coopération des Missionnaires de Suisse Romande (GCMSR en sigle), organise à Saint Maurice en Suisse, le 11ème pèlerinage aux Saintes et aux Saints d’Afrique sous le slogan « d’un monde partagé à un monde de partage ». Dans son invitation, le GCMSR stipule que « c’est dans la matinée du 30 Avril 1997 en effet que ces jeunes innocents ont été ignominieusement massacrés. Avant de passer au supplice de ces innocents, les miliciens leur ont demandé que les hutus se mettent d’un côté et les tutsi de l’autre. L’objectif était bien sûr l’élimination des seuls tutsi comme cela se faisait partout ailleurs où cette formation génocidaire (c’est nous qui soulignons) avait déjà sévi… ». Ce pèlerinage sera centré sur les jeunes témoins martyrs de Buta au Burundi. De sources non encore officielles, 2 grandes figures de la scène médiatico-religieuses du Burundi y seront invitées : Mgr Ntamwana Simon, Archevêque de Gitega et Mme Maggy Barankitse, la dame à 10 000 enfants. L’objectif ultime de cette rencontre, déjà annoncé par la télévision nationale le 30 avril 2012, étant de préparer l’opinion à la canonisation des enfants de Buta et à la disqualification politique des organisations à prédominance hutu.

Le ton est donc donné. Le crime est déjà qualifié en dehors du contexte de guerre fratricide dans lequel il s’est déroulé. C’est aussi important de rappeler qu’en 1997, le Petit Séminaire de Buta, à l’image de l’Université du Burundi et d’autres écoles secondaires, avait été transformé en un camp militaire avec des entrainements et encadrements de l’armée, armes et munitions distribuées. Les forces combattantes de l’époque qui avaient été mises au courant du fait, s’étaient dépêchées dans cet établissement non seulement pour y récupérer les armes mais aussi pour y recruter des nouveaux combattants comme elles l’avaient fait dans d’autres établissements scolaires comme à Ciya, dixit Mr Ndiho Jérôme, porte-parole du mouvement en guerre à l’époque.

Aujourd’hui et à y regarder de près, les bourreaux à déférer devant les juridictions internationales sont déjà désignés par une certaine opinion intérieure, relayés par leurs alliés extérieurs, sans tenir compte des causes de l’escalade de la violence ambiante à cette époque, qui, tout le monde le sait, reste l’assassinat ignoble du Président démocratiquement élu, SE Melchior Ndadaye.

Pour notre part, le problème burundais ne saurait être résolu tant que séviront les sentiments du ‘deux poids, deux mesures’. Ceux qui aiment le Burundi et les Burundais, ceux qui veulent les aider à vivre sans cauchemars se doivent d’avoir un minimum de compassion envers les victimes de tout bord tombés dans l’oubli. Il faut bien aider à panser les plaies des orphelins et des veuves de 1972 d’abord. Ils ont souffert une discrimination extrême à cause d’un système de divisions fondés sur des rivalités ethniques. La mémoire collective est quelque chose de fort qui risque de ressurgir tant que rien n’est fait pour écouter toutes les victimes, de tous les temps et mettre hors de nuire tous les bourreaux de tout acabit.

En ces périodes de réconciliation nationale approchant, le temps est venu de rapprocher les gens en commençant par honorer dans la dignité le précieux sang versé et la mémoire des personnes tuées en 1972 et de construire un monument en souvenir du génocide des hutus de 1972.

Emmanuel Bamenyekanye